Page images
PDF
EPUB

au premier vote. M. Morin proposait de réduire ces délais en faveur des propositions relatives à la révision, et il demandait que les propositions pussent être représentées après le délai d'un mois, sans distinguer si elles avaient été repoussées ou non au premier vote. Ici, comme on voit, il s'agissait d'interpréter l'article 111 de la Constitution, et de l'interpréter dans le sens le plus large, en décidant que la question ne serait pas tranchée définitivement, et que le droit de l'Assemblée ne serait pas épuisé par une première épreuve contraire à la révision. Cette interprétation avait été adoptée par la commission, qui, d'accord avec M. Morin, avait pensé que sur une question de cette importance, il était raisonnable et bon de faire plusieurs appels successifs à la sagesse et au patriotisme de l'Assemblée. Elle avait supposé que la minorité, qui aurait une première fois repoussé la révision, pourrait se rallier à la majorité dans une seconde épreuve. Enfin, elle avait compté sur les retours d'opinions que le temps et la réflexion peuvent opérer dans les consciences d'une grande Assemblée, délibérant sous l'empire des circonstances et sous le souffle immédiat de l'opinion publique. La commission s'était donc montrée favorable au principe de la mesure, en proposant toutefois d'étendre le délai d'un mois fixé par M. Morin.

Les deux propositions furent combattues, sans grand éclat, par M. Savatier-Laroche et par M. Laclaudure. Ces deux orateurs de la Montagne ne se renfermèrent pas, on le pense, dans la question. Pour eux, la discussion ne fut qu'un prétexte pour faire une campagne contre les projets inconstitutionnels que l'on prêtait à l'Elysée. Mais, du moins, ils respectèrent les formes et les convenances parlementaires. Il n'en fut pas de même pour M. Emile de Girardin.

Les paroles agressives de M. Emile de Girardin émurent profondément l'Assemblée. L'éminent publiciste n'est pas, on le sait, un orateur : il ne pouvait donc espérer qu'un succès de scandale. Il le trouva dans des personnalités amères adressées à la majorité. Il lui reprocha, sans motif apparent, sans transition suffisante, de n'oser jamais descendre dans la rue, même pour défendre son drapeau. Puis, poussant plus loin cette allusion, déjà si directe, aux événements de 1848, il interpella un des

[ocr errors]

représentants de la droite, et continua cette provocation étrange en déclarant que, pour lui, on le verrait au besoin descendre dans la rue pour défendre la Constitution, et se mêler à ces factieux << dont il ne faut pas médire. >>

Au lieu du sourire de doute qu'eût mérité cette sortie, l'Assemblée accorda à l'orateur tout ce qu'il avait espéré, explosion de cris, réclamations, défis réciproques, rappel à l'ordre.

Les deux propositions furent prises en considération. Mais on avait réussi à soulever un premier orage, et, à partir de ce jour, chaque séance fut une tempête.

Tantôt, à propos de l'élection de M. le général Durrieu dans les Landes, on incriminait une dépêche télégraphique de M. Léon Faucher, appelant les préférences de l'administration sur le candidat favorable à la loi du 31 mai. La Montagne trouvait tout simple que les partis anarchiques employassent la terreur et la menace pour repousser les électeurs du scrutin, mais non que le gouvernement patronât les candidats fidèles à la loi votée (23 mai).

Tantôt, à propos d'une seconde délibération sur la loi de la garde nationale, l'Assemblée se séparait en deux camps soulevés l'un contre l'autre, se provoquant et se menaçant de la voix et du geste, réduisant à l'impuissance l'autorité du président. M. Napoléon Bonaparte s'associait à ces violences, et, dans un langage plein d'amertume, attaquait à la fois le projet de loi, la commission qui l'avait préparé, la majorité dont cette commission s'était faite l'organe. « Vous voulez, s'écriait l'orateur, aux applaudissements de la Montagne, organiser la guerre civile, armer une partie de la nation contre l'autre, ériger la misère du peuple en système, et assurer votre domination par l'asservissement et l'oppression du pays (24 mai). »

M. Napoléon Bonaparte, colonel de la 2e légion (banlieue), avait, un des premiers, encouragé les officiers de la garde nationale à l'insubordination, en avisant M. le préfet de la Seine que, ses pouvoirs étant expirés, il quittait ses fonctions (8 avril). <«< Nommé, ajoutait-il, par les suffrages de mes concitoyens, je ne veux pas accepter une prorogation décrétée par la majorité de l'Assemblée. » Et il disait aux gardes nationaux de la légion, en leur

adressant ses adieux : « Soyez les plus fermes soutiens de la République et de la grande cause de la démocratie. »

Le lendemain, nouveau scandale. M. Victor Hennequin rappelait et approuvait la théorie de Robespierre, qui voyait dans la garde nationale un contre-poids à l'armée : traduisant cette pensée qui enfanta les sections, l'orateur socialiste disait que la garde nationale est instituée pour éclairer l'armée par son attitude.

Un autre jour, MM. Schoelcher et Crémieux se portaient garants de l'honnêteté des détenus politiques, et réclamaient pour eux le respect qu'on doit avoir pour des gens qui peuvent réussir. La fortune est variable, et, disait M. Crémieux: Hodie mihi, cras tibi. Triste morale que celle-là, toujours prête à justifier la révolte par le succès.

A ces scandales parlementaires répondit, dans les bas-fonds de la démocratie, une clameur sauvage. Les pétitions pour la révision de la Constitution, et pour la prorogation des pouvoirs du président de la République, arrivaient chaque jour plus nombreuses sur le bureau de l'Assemblée. L'élan était donné de toutes parts le pétitionnement prenait le caractère et les proportions d'un mouvement national. Les républicains avaient dit : la révision, c'est la monarchie; le pays répondait en demandant la révision.

Fidèles à leur rôle de minorité menaçante, les démocrates militants cherchèrent à étouffer cette explosion d'opinion publique par la terreur. Le Comité de résistance, qu'on pouvait croire dispersé ou intimidé à la suite des diverses arrestations et saisies opérées sur plusieurs points de la capitale, lança un onzième bulletin adressé au peuple et à l'armée. Ce bulletin, qui, comme les précédents, portait le timbre du Comité avec le bonnet rouge au milieu, fut envoyé au domicile des représentants favorables à la révision, et des citoyens qui s'étaient chargés de recevoir les signatures pour les pétitions.

[blocks in formation]

« Nous l'avions prévu : nos ennemis n'attendront pas 1852. Déchirant le

voile hypocrite dont ils se couvraient encore, ils viennent de jeter le défi à la république. Eh bien ! nous le relevons !

» Les uns nous menacent d'arborer l'exécrable drapeau blanc; les autres, de retenir dans leurs mains un pouvoir que la loi leur dénie et qu'ils ont souillé de crimes et de bassesses; tous ensemble, ils livrent l'assaut à la Constitution, le dernier rempart des droits du peuple, et le dernier obstacle à leurs projets ambieux. Ils font appel aux patriciens, aux exploiteurs, aux sangsues du pays, et les rallient sous l'étendard de la peur et de l'égoïsme.

>> Auront-ils le triste courage d'aller jusqu'au bout? Oseront-ils réviser la Constitution, proclamer la monarchie ou prolonger les pouvoirs ? S'ils ont cette téméraire audace, que le peuple, que l'armée, que la partie saine de la bourgeoisie, dont le patriotisme n'est pas étoufíé par les intérêts matériels, que la France entière se lève pour les frapper !

>> Le monde est témoin que nous ne sommes pas les agresseurs. Nous avons tout fait, tout enduré pour éviter l'agitation et la guerre civile. Une poignée de misérables provoquent de gaieté de cœur l'effusion du sang. Il faut, cette fois, qu'il retombe sur leurs têtes. Nous prévenons donc les membres de la majorité que ceux d'entre eux qui donneront par leurs votes le signal du carnage auront prononcé eux-mêmes leur arrêt de mort. L'insertion de leurs noms au Moniteur tiendra lieu de jugement.

>> Soldats!

» Vous le voyez; la justice est du côté du peuple. Votre devoir est tout tracé; vous ne devez obéir qu'à lui. Tout ordre qui tendrait à vous faire égorger vos frères devra être repoussé par vous avec l'indignation que mérite une provocation à l'assassinat, et ceux qui seraient assez dénaturés pour vous le transmettre, punis sur-le-champ. L'aristocratie vous fait l'injure de compter sur vous, elle se cache lâchement derrière vos baïonnettes; retournez-les contre elle, joignez vos coups aux nôtres, et le combat ne sera pas long.

>>>> Peuple!

» Tu n'eus jamais plus besoin de réunir la prudence à l'énergie. Maîtrise ton émotion, concentre ta colère jusqu'au moment où elle devra éclater. Point de mouvement prématuré, mais point d'hésitation non plus quand il faudra agir. Méfie-toi des impatients, et surtout des endormeurs, de ces hommes qui se disent circonspects parce qu'ils sont lâches, et qui s'efforcent de glacer ton généreux élan. Exige que ceux qui étalent leurs bonnes dispositions les montrent jusqu'à la fin, ou flétris-les comme des jongleurs.

» Maintenant attendons et prenons nos dernières mesures. Ils veulent une révolution; ils seront satisfaits. Mais celle-là sera la dernière, car il est temps enfin d'en finir avec cette caste incorrigible, dont on n'aura définitivement raison qu'en lui arrachant ses richesses mal acquises.

Vive la République sociale!

LE COMITÉ Central de rÉSISTANCE.

Si le pétitionnement pour la révision inspirait aux démocrates ces fureurs sanguinaires, les monarchiques impatients ne l'ac

cueillaient pas avec plus de faveur. A leurs yeux, le droit de pétition changé en arme contre leurs principes, n'avait plus rien de sérieux. De quelle utilité, disaient-ils, a-t-il été depuis vingt ans, soit au pays en général, soit aux pétitionnaires. Quelle pétition a jamais inspiré aux assemblées ou au gouvernement, une mesure salutaire, ou leur a donné l'occasion de redresser quelques griefs? Il en est du droit de pétition comme de tant d'autres, dont la révolution nous a gratifiés; c'est une arme de guerre, et rien de plus.

Il est juste d'avouer que, parmi ces pétitions couvertes d'innombrables signatures, un certain nombre n'avaient aucun caractère de sincérité. On voyait se reproduire les fraudes et les manœuvres, les scandales de toute espèce qui avaient été constatés par les investigations de la justice, et dénoncés officiellement à la tribune dans le rapport de M. Léon Faucher sur la fameuse campagne organisée par voie de pétition contre la loi électorale du 31 mai. Mais, quoi qu'on fasse, il n'est manœuvres ou fraudes qui puissent simuler un mouvement national, et, lorsqu'on vit M. Chapot proposer de réglementer le droit de pétition, on put croire que cette proposition protestait à l'avance contre l'élan de l'opinion publique.

La proposition de M. Chapot exigeait que la signature de chaque collecteur de pétitions fût légalisée; elle assujettissait les pétitions au timbre, et, pour les principaux délits commis dans les pétitions, elle substituait la juridiction de la police correctionnelle à la juridiction de la Cour d'assises. Elle fut prise en considération par 382 voix contre 226 (8 mai).

Le 31 mai, les deux propositions Moulin et Morin, déjà prises en considération, se représentèrent devant la Chambre. La commission à laquelle elles avaient été renvoyées, les avait fondues en une résolution unique qui contenait deux articles. Le premier dispensait de l'examen préalable les propositions relatives à la révision de la Constitution. A la commission mensuelle, il substituait une commission spéciale de quinze membres élus par les bureaux, laquelle serait tenue de déposer son rapport dans le délai d'un mois, à partir de sa nomination.

« PreviousContinue »