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L'article 2 portait que, si les propositions mentionnées dans l'article précédent étaient rejetées, elles ne pourraient être représentées avant un délai de trois mois, conformément à l'article 78 du règlement. Elles seraient, en ce cas, renvoyées à une nouvelle commission spéciale, élue dans les formes ci-dessus indiquées, et soumise au même délai que la première commission pour le dépôt de son rapport. Cette commission serait également saisie de toutes les propositions nouvelles qui seraient déposées après la première décision de l'Assemblée.

Le débat se concentra dans un amendement de M. Jules Favre, développé par son auteur dans un discours élégamment froid. M. Jules Favre demandait qu'une fois rejetées, les propositions ne pussent être représentées. Telle était, en effet, la pensée des membres de la gauche que, dans l'intention des auteurs de la Constitution, une seule tentative repoussée devait suffire pour éloigner toute modification: ce que ceux-ci avaient voulu, c'était que leur œuvre fût à l'abri des caprices individuels, des manœuvres de parti, des surprises d'opinion, qu'il ne pût dépendre d'un seul membre de remettre en question ce qu'une majorité considérable aurait jugé dangereux et inopportun. C'est en ce sens que M. Jules Favre interpréta le texte et l'esprit de l'article 3, dont le projet de la commission constituait, suivant lui, une violation réelle.

L'orateur entrant dans des considérations d'un autre ordre, repoussa encore le projet au nom de la tranquillité publique et de la dignité de l'Assemblée. Il montra les ennemis de la République et les oppositions factieuses renouvelant tous les trois mois l'agitation dans le pays, et cherchant, à l'aide d'une opinion factice, à exercer une pression sur la représentation nationale. « C'est nous, s'écria-t-il, qui sommes les véritables conservateurs, et non pas ceux qui appellent des révolutions nouvelles, ceux qui, incapables de s'entendre pour gouverner, conspirent dans une touchante unanimité contre l'existence de la République, ces néophytes nouvellement convertis à la souveraineté nationale dont ils se déclarent aujourd'hui les serviteurs, en se réservant de l'étouffer plus tard. »

M. Favre, avec son habileté ordinaire, était sorti du débat spécial pour aborder la grande thèse de la révision. M. Moulin, qui lui répondit, ramena la question à des proportions purement réglementaires il s'attacha à démontrer que les précautions prises par la Constitution établissaient des garanties suffisantes, et qu'il serait à la fois injuste et imprudent à l'Assemblée d'enchaîner dans un cercle inflexible et sa propre volonté et les vœux du pays. Renvoyant à M. Favre les reproches que cet orateur avait adressés à la commission : « c'est vous, dit-il, qui restreignez la souveraineté nationale. Votre système est aussi dangereux qu'antilibéral; il tend à comprimer l'élan des populations, et peut provoquer un jour les explosions les plus funestes. >>

Le vote n'était pas douteux. Tous les amendements proposés furent repoussés, même un paragraphe additionnel très-significatif, présenté par M. Vesin, et auquel une véritable avalanche de pétitions tombée sur le bureau du président, au commencement de la séance, donnait une opportunité incontestable. M. Vesin demandait qu'un rapport général sur les pétitions relatives à la révision, fût présenté avant le rapport spécial sur les propositions. M. Vesin rappela les scrupules que M. Léon Faucher avait manifestés à l'occasion des pétitions contre la loi du 31 mai. Celles qui assiégeaient journellement le bureau de l'Assemblée, étaient-elles plus sérieuses? Les vœux qu'elles contenaient étaient-ils librement exprimés? L'orateur cita certains faits qui, s'ils avaient été vrais, eussent engagé la responsabilité du pouvoir exécutif, dont les agents se seraient livrés pour obtenir des signatures à de coupables manœuvres.

A peine la proposition était-elle adoptée, qu'on vit se diriger vers le fauteuil du président M. le duc de Broglie, porteur de la proposition de révision de la Constitution, signée par les 233 membres de la réunion des Pyramides. Parmi les signataires, on ne remarquait pas un nom important de légitimiste. Entre ceux dont l'absence sur cette liste pouvait encore être remarquée, nous citerons MM. Molé, Thiers, le général Changarnier, Piscatory, Duvergier de Hauranne, Dufaure.

M. Payer, qui passait pour attaché à la ligne politique de

M. de Lamartine, présenta également une proposition tendant à la révision de divers articles de la Constitution, et notamment de l'article 20, qui portait que le pouvoir législatif est délégué à une assemblée unique, et de l'article 45, relatif à la non-réélection du président de la République.

La question était ouverte.

CHAPITRE VI.

LA RÉVISION.

du jour.

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Inauguration du chemin de fer de Dijon, ovation populaire, discours officiel, discours vrai; est-ce une déclaration de guerre, interpellations, la doctrine de l'obéissance raisonnée, M. Changarnier protecteur de l'Assemblée; désaveu, ordre du jour; encore l'obéissance passive. M. Baze élu questeur, la loi des clubs. Commission de révision, discussion dans les hureaux, les opinions diverses, nomination des commissaires. La société du Dix Décembre et M. Carlier, proposition d'enquête parlementaire, ordre Séances orageuses, l'agglomération lyonnaise, M. Pelletier, discours abominable. Les cinq propositions de révision, nouvelle rédaction de la proposition de Broglie, son adoption, amendement Charamaule écarté, M. de Tocqueville nommé rapporteur. Voyage du Président de la Ré. publique; inauguration du chemin de fer de Poitiers, une municipalité républicaine, le Président recommandé à la générosité des citoyens, discours habile du Président, confusion des républicains, le vrai peuple; la démagogie à Châtellerault, discours conciliant; discours de Beauvais, foi du Président en lui-même ; Louis-Napoléon Bonaparte et le douzième bulletin du Comité de résistance. Rapport de M. de Tocqueville, la révision totale; prévision d'une candidature inconstitutionnelle, protestation de M. Odilon Barrot; la Constitution sera-t-elle consacrée par un vote contraire; la révision nécessaire est impossible. Rapport de M. Melun (du Nord) sur les pétitions révisionnistes, un million et demi de signataires; manoeuvres du gouvernement, le mouvement national. Ouverture des débats sur la révision; M. Dupin, appel à la modération; M. de Falloux, la France des révolutions; MM. Payer et de Mornay; M. le général Cavaignac, la République de droit divin; M. Coquerel, le gouvernement de l'Evangile ; les orateurs de la Montagne, M. Lagrange condamné au silence, M. Grévy, M. Michel (de Bourges), la monarchie calomniée ; M. Berryer, apologie admirable de la monarchie, la France n'est pas républicaine, les dangers de la réélection; fin de la semaine de tolérance, M. Victor Hugo, scandale, indignation de l'Assemblée, châtiments; M. Dufaure, résignation et légalité; M. Odilon Barrot, argumentation solide; clôture du débat; la révision repoussée; alliances étranges. Les pétitions révisionnistes, M. Baze, ordre du jour portant

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blâme contre le ministère, les ministres resteront; autres hostilités, M. Pradié et la responsabilité, les princes exilés sont-ils éligibles. L'Assemblée se proroge, chances restées à la révision; valeur du remède; l'Assemblée d'un côté, le pays de l'autre ; forte position du Président de la République. Sur le seuil même de cette grande discussion parlementaire, un incident assez grave vint encore animer les passions parlementaires. Le Président de la République inaugurait la section du chemin de fer de Paris à Lyon, comprise entre Tonnerre et Dijon (1er juin). L'empressement, l'enthousiasme des populations rurales accourues au-devant du prince ne peut se dire. Elles étaient groupées, nombreuses, compactes; autour des plus minces stations, elles couvraient les tranchées, les talus. Elles n'avaient pas été attirées par quelque solennité officielle, car le convoi passait devant elles sans s'arrêter, rapide comme la foudre. Ce qui les avait appelées de toutes parts, c'était moins le chemin de fer que le neveu de l'Empereur. L'ovation populaire du 10 décembre se retrouvait là tout entière, avec ses espérances transparentes, avec ses vœux à peine déguisés. Les cris de Vive l'Empereur! Vive Napoléon! accompagnèrent jusqu'à Dijon le Président de la République.

Le maire de Dijon se fit l'interprète des sentiments de ces masses sympathiques, en mettant aux pieds du prince, héritier du nom qui porta le plus haut la gloire de la France, la reconnaissance de la nation qui, sans doute, disait-il, « saurait, dans l'exercice de sa souveraineté, trouver la meilleure expression de sa reconnaissance. >>

Le Président de la République avait à ses côtés le président de l'Assemblée nationale, trois de ses vice-présidents et deux de ses secrétaires, le ministre de l'intérieur et plusieurs autres ministres. Il répondit :

«Je voudrais que ceux qui doutent de l'avenir m'eussent accompagné à travers les populations de l'Yonne et de la Côte-d'Or. Ils se seraient rassurés en jugeant par eux-mêmes de la véritable disposition des esprits. Ils eussent vu que ni les intrigues, ni les attaques, ni les discussions passionnées des partis ne sont en harmonie avec les sentiments et l'état du pays.

>> La France ne veut ni le retour à l'ancien régime, quelle que soit la forme qui le déguise, ni l'essai d'utopies funestes et impraticables. C'est parce que je suis l'adversaire le plus naturel de l'un et de l'autre qu'elle a placé sa confiance en moi.

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