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mandez des explications, et vous vous prononcez avant de connaître nos actes! Attendez-les pour émettre un jugement. Les membres du cabinet ne peuvent-ils pas invoquer leur passé? N'ont-ils donc rien fait pour la cause de l'ordre ? Leur ligne n'est-elle pas indiquée par celle qu'ils ont suivie? On nous interroge sur notre politique. Notre politique est celle du Message du 12 novembre 1850. Ce que nous voulons; c'est le respect de tous les pouvoirs, c'est le respect de la Constitution, notre ancre de salut à tous dans ces circonstances difficiles; c'est la défense. courageuse, s'il était nécessaire, des droits du pouvoir exécutif. Ce que nous nous proposons, c'est d'écarter les discussions politiques inutiles ou irritantes, de nous occuper des améliorations que réclame le pays. L'Assemblée ne voudra pas les compromettre par une hostilité systématique contre un cabinet qui a la ferme intention de concilier tous les intérêts et de maintenir tous les droits sur le terrain de la Constitution.

Ces explications, données avec animation, étaient trop vagues pour paraître satisfaisantes. Il fallait entrer dans le vif de la question qui préoccupait tous les esprits. C'est ce que fit M. Berryer. L'illustre orateur précisa les griefs de la majorité. Il alla au cœur même de la question, la destitution du général en chef et la retraite des ministres qui avaient refusé de prendre la responsabilité de cet acte. Comment expliquait-on la détermination du cabinet et la révocation du général à l'issue de la séance où M. Changarnier avait obtenu un nouveau témoignage d'estime et de confiance de la part de l'Assemblée? On concevrait qu'on fût venu nous dire La sécurité est rétablie, le double commandement dont M. le général Changarnier avait été investi, n'est plus nécessaire. Mais non, on a conservé le commandement et on a changé l'homme que la représentation nationale venait d'honorer d'un vote de confiance. Enfin, comment expliquer la retraite du ministre qui, dans l'affaire de Grèce, avait obtenu par la fermeté de son attitude une satisfaction due à la France ? Pourquoi changer les personnes si les principes sont les mêmes?

A cette dernière question, M. Baroche eût pu répondre : Que vous importe? La responsabilité du Président de la République ne l'astreint plus aux anciennes exigences du régime constitu

tionnel. Le ministre se contenta de dire que l'ordre du jour du 5 janvier n'avait pas causé la démission du cabinet ; que la susceptibilité du ministère avait été mise à l'épreuve par plusieurs décisions antérieures; qu'un remaniement de cabinet n'était pas chose si grave qu'il justifiât l'émotion de l'Assemblée. Enfin, M. Baroche déclara que le programme politique était toujours le même et qu'il fallait au moins attendre les actes de l'administration avant de la juger.

Attendre les actes! s'écria M. Dufaure. Mais le ministère n'en a-t-il pas fait un, et des plus graves ! Et pour montrer la gravité de cet acte, M. Dufaure l'interprétait avec toutes les circonstances. Il rappelait les attaques dirigées depuis plusieurs mois contre l'Assemblée, par certains journaux français et anglais, qui prodiguaient l'éloge au pouvoir exécutif, et semblaient le provoquer à sortir de la Constitution. Il insistait sur les exclamations séditieuses poussées à la revue de Satory et sur la destitution du général qui avait voulu les réprimer. Il donnait à entendre que la commission de permanence avait usé de générosité, en tenant secrets ses procès-verbaux, mais qu'il était peut-être temps de les mettre en lumière. Enfin, il considérait la révocation de M. le général Changarnier comme un outrage et une humiliation pour l'Assemblée. Ce que l'on poursuivait, selon lui, c'était l'abaissement de la représentation nationale, et il fallait qu'elle se relevât dans l'opinion publique par une résolution vigoureuse.

C'est alors, quand le débat fut habilement envenimé, que M. de Rémusat vint proposer de nommer d'urgence une commission que l'on appela plus tard la commission des mesures à prendre. C'était, en d'autres termes, une déclaration de guerre, la mise en suspicion du pouvoir exécutif. M. Baroche fit tout pour éviter une pareille imprudence. Il représenta que l'adoption d'une proposition semblable porterait atteinte à la division des pouvoirs consacrée par la Constitution, et il supplia l'Assemblée de réfléchir sérieusement avant de s'engager dans une voie aussi funeste. Vaine prière! La passion l'emporta. L'Assemblée, après avoir voté l'urgence, décida, à la majorité de 330 voix contre 273, qu'elle se retirerait immédiatement dans ses bureaux pour nommer la commission (10 janvier).

603 membres avaient pris part au scrutin et la majorité absolue n'avait été que de 28 voix. Tout portait à croire qu'elle serait plus considérable. Mais la Montagne s'était divisée et une partie de la gauche s'était abstenue.

Que sortirait-il de cette commission? une proclamation au peuple Français? mesure qui pourrait devenir ridicule, si elle n'était pas violente et révolutionnaire. La nomination d'un général pour protéger l'Assemblée? Mais alors c'était beaucoup de bruit pour rien, et on se répétait tout bas ce mot du Président de la République: «S'ils veulent des troupes, ils en auront tant qu'ils voudront; s'ils veulent des ennemis, ils n'en auront pas. >>

Si maintenant on considère la physionomie de cette orageuse séance, on verra pendant trois heures, un ministère isolé dans la chambre, en butte aux interrogations les plus véhémentes, aux attaques les plus passionnées; tour à tour, MM. Berryer, Dufaure, de Rémusat, le sommant d'expliquer quelle pensée le ramenait sur ces bancs. Cette attitude menaçante de la majorité avait troublé les deux orateurs du cabinet. MM. Baroche et Rouher avaient soutenu la lutte avec quelque timidité; ils avaient accepté en quelque sorte le rôle d'accusés. On eut dit qu'ils plaidaient les circonstances atténuantes. Évidemment, il fallait remonter plus haut pour trouver l'énergie qui avait inspiré cette rentrée hardie du ministère.

Quant aux intentions secrètes et aux manœuvres des partis, quelques lumières inattendues jaillirent tout à coup d'un incident élevé, le 10 janvier, dans le dixième bureau de l'Assemblée. M. Pascal Duprat y attaqua directement M. Thiers, dans un discours qui ne manquait ni de verve, ni d'habileté. Vous nous avez fait, lui dit-il, proposer une alliance, vous nous avez fait demander nos voix. A ces mots, de vives protestations s'élevèrent de la part de M. Thiers et de ses amis. Mais aussitôt le témoignage de MM. Latrade, Antony-Thouret et de quelques autres membres de la Montagne vint se joindre à celui de M. Pascal Duprat. Vous nous avez envoyé vos amis, s'écrièrent-ils, pour nous demander nos voix, pour nous proposer une alliance. Aussi, M. Pascal Duprat putil continuer d'adresser à M. Thiers ses indiscrètes questions. Quelles sont, lui dit-il, les conditions de cette alliance? Vous vous plai

gnez du Président de la République; nous aussi. Si vous le voulez, nous le mettrons en accusation pour avoir violé la Constitution par la loi électorale du 31 mai dernier; nous n'avons pas une très-grande confiance dans son dévouement à la République, mais nous avons encore moins de confiance dans le vôtre et dans celui du général Changarnier; nous n'avons pas vu sans ombrage les revues de Satory, mais, pendant ce temps-là, était-ce pour défendre la République, que nous croyons menacée, que vous alliez, les uns à Claremont, les autres à Wiesbaden?

Il était difficile à M. Thiers de répondre à de pareilles questions; aussi se borna-t-il à quelques explications embarrassées sur son voyage à Claremont, où l'appelait un attachement auquel il était libre d'obéir.

Un nouvel incident précéda, le lendemain 11 janvier, le dépôt du rapport de la Commission des mesures à prendre. Ce fut la demande faite, en son nom, par M. de Broglie, de la communication des procès-verbaux de la commission de permanence, demeurés sous scellés, depuis les premiers moments de la réunion de l'Assemblée. Ici M. Baroche retrouva son énergie, un peu entamée la veille. Il appuya la demande de M. de Broglie. Il fit plus encore il demanda que les procès-verbaux fussent imprimés et distribués à l'Assemblée tout entière. Grâce à la curiosité générale, à l'espoir que chacun avait de trouver des armes dans ces mystérieux documents, la publication fut ordonnée à l'unanimité.

Au reste, on put voir que ces documents terribles ne contenaient rien qu'on ne connùt à l'avance. Tout le mérite des procès-verbaux avait été dans leur mystère. Le mot de M. Dufaure était donc retourné contre la majorité et M. Baroche put dire : « Nous acceptons le concours de tout le monde, mais nous n'avons besoin de la générosité de personne. »

Un incident significatif fut remarqué avant le vote du 10 janvier. M. Dupin, ancien président de la commission de permanence, parut sur le point de tomber dans une confusion singulière. Il s'agissait de faire voter la publication: M. Dupin se disposait à mettre aux voix la simple communication des pièces. Il fallut que M. Baroche insistât pour que la chambre écartât ce huis clos que le ministère ne demandait pas.

C'était là un premier échec moral. L'attitude des parlementaires devint encore plus fausse quand on vit ce qui allait sortir enfin de cette séance quasi-révolutionnaire, de ce comité des recherches autorisé à agir d'urgence. M. Lanjuinais vint, le 14, faire connaître la décision prise par la commission des mesures à prendre. Il ne s'agissait plus que d'un ordre du jour motivé, d'un blâme restreint contre le ministère.

Le rapport de M. Lanjuinais relevait tous les griefs reprochés au ministère, mais avec une modération relative, qu'on trouva même excessive sur quelques bancs de la droite. Il y avait eu de longues hésitations, des difficultés inattendues pour obtenir de la commission cette rédaction assez pâle. Deux membres avaient voté l'ordre du jour pur et simple. Trois avaient proposé un blâme à l'adresse du pouvoir exécutif. Sept s'étaient d'abord ralliés à une formule de censure qui ne portait que sur le pouvoir ministériel, mais cette formule avait été trouvée trop vague. Enfin, on avait obtenu 8 voix sur 15, pour l'ordre du jour suivant :

« L'Assemblée nationale, tout en reconnaissant que le pouvoir exécutif a le droit incontestable de disposer des commandements militaires, blâme l'usage que le ministère a fait de ce droit, et déclare que l'ancien général en chef de l'armée de Paris conserve tous ses titres au témoignage de confiance que l'Assemblée lui a donné dans sa séance du 3 janvier. »

Ce qu'il y avait de plus caractéristique dans le rapport qui motivait cet ordre du jour, c'était l'embarras avec lequel la commission, tout en voyant le danger pour la Constitution dans une prétention persévérante à restaurer le pouvoir impérial, tout en montrant que les actes anciens ou nouveaux signalés dans les procès-verbaux de la commission de permanence tendaient à favoriser l'établissement de l'Empire, concluait toutefois à un blâme dirigé contre les nouveaux ministres seulement.

Le 15, l'ordre du jour et le ministère se rencontrèrent en champ-clos. Cette fois, M. Baroche alla droit aux accusations. On imputait au ministère la pensée d'amoindrir le pouvoir législatif. Mais quoi! sur toutes les questions importantes, n'avait-il pas marché avec la majorité ? N'avait-il pas fait avec elle la loi de l'enseignement, la loi électorale, la loi de la presse, toutes lois

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