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ou que quelques autres disent être un prince prétendant, la France qui a eu le tort de vous envoyer une majorité composée de quoi ? vous disiez, vous, tout à l'heure, d'hommes monarchiques; cette France est républicaine!

Mais quand vous vous plaignez et du choix du premier magistrat et du choix des hommes qui composent la grande majorité de l'Assemblée; quand vous les appelez monarchiques dans leur origine et dans les principes qu'ils ont au fond du cœur ; car, ne vous y trompez pas, il y a ici beaucoup d'hommes qui sont décidés à la révision fondamentale de la Constitution, mais il y en a un trèsgrand nombre qui croient que c'est une témérité, qui ne trouvent pas les périls dont nous sommes préoccupés assez menaçants; qui disent qu'il y a une nouvelle expérimentation à faire; qu'il faut gagner du temps, et qui n'ont pas plus de foi que nous dans l'avenir que vous prétendez être l'avenir naturel, légitime, nécessaire de cette société française... non, Messieurs, non par ces faits bien manifestes, la France n'est pas républicaine.

La conclusion de ce magnifique discours fut pour la révision légale, strictement, religieusement légale, contre la prorogation des pouvoirs et contre la réélection du Président de la République. M. Berryer se prononça sur ce dernier point en particulier avec une énergie, disons presque avec une violence extraordinaire. Ce fut un véritable cri d'alarme. Supposez, dit-il, que, dans sa lassi tude, dans ses illusions, s'il en a encore, le peuple, alors qu'il s'agira de prendre un chef d'Etat, excité par le retentissement sous les chaumières de ce nom de Bonaparte, et il n'y a pas d'au tre nom en France aussi connu que celui-là; supposez que le peuple, malgré la Constitution qui limite la durée des pouvoirs présidentiels, veuille encore appeler par des millions de voix à la présidence de la France Louis-Napoléon Bonaparte; eh bien, tout est perdu! Voilà un homme, par le vote direct, par la volonté nationale, par des millions de suffrages, proclamé, placé au-dessus de la Constitution, au-dessus des lois. Or, continuait l'orateur, je maintiens qu'il faudrait qu'il fût supérieur à l'huma nité si, dans cette situation, ainsi perpétuée malgré les lois du pays, il ne s'imaginait pas qu'il était dans son droit, qu'il entrait même dans son devoir, de par les millions de yoix qui l'auraient élu, de briser tous les obstacles, de renverser Constitution et Assemblée, la nation l'ayant placé au-dessus de tous dans son indi→ vidualité. Que feriez-vous alors?

Nous résisterions! s'écrièrent des voix nombreuses.

<< Vous résisteriez! répondit M. Berryer avec un inimitable ac

cent de sublime ironie, vous résisteriez! je n'en doute pas; vous résisteriez ici, dans cette Chambre, pendant la semaine d'existence que vous auriez encore après cette réélection inconstitutionnelle; vous résisteriez, vous soutiendriez la lutte, et quelle lutte?... Nous ne voulons pas de guerre civile en France; mais en est-il une occasion plus favorable : le parti du Parlement, le parti du Président?

» Vous perpétueriez-vous? vous prolongeriez-vous pour soutenir cette lutte? vous feriez-vous Long-Parlement? En auriezvous?... Oui, vous en auriez l'énergie, parce que vous êtes patriotes; mais vous violeriez donc aussi vous-mêmes la Constitution? Ainsi, et par la nation, et par l'Assemblée, pour soutenir la lutte engagée, la Constitution serait violée, la lutte serait établie. »

Et l'orateur termina par une chaleureuse, mais inutile adjuration à la majorité de s'unir dans la légalité pour écarter ces périls.

La première semaine de la discussion avait été, selon la spirituelle expression de M. Dupin, une semaine de tolérance. M. Victor Hugo eut le triste honneur de rompre cette trêve des partis. Provocations, outrages lancés à la face de tous les partis, injures grossières contre tout ce qui est honorable, M. Victor Hugo n'oublia rien pour avoir, au moins, un succès de scandale. Ce discours plein de fiel, d'ambitions déçues, de vanité rancuneuse, n'avait pas même l'excuse de l'improvisation. Cette colère à froid, ces antithèses curieusement aiguisées, ces injures récitées, tout cela souleva l'indignation de l'Assemblée moins encore que son dégoût. Le néophyte forcené de la Montagne fut mollement soutenu par ses nouveaux amis. Sur les bancs de la majorité, tous les cœurs honnêtes se réunirent dans un même sentiment de répulsion, dont M. de Falloux se fit l'organe vengeur. « Le plus pindarique des lauréats de la Restauration » fut cruellement puni d'avoir osé outrager tout ce qu'il avait servi et chanté. M. Baroche flétrit à coups de souvenirs cet « homme qui n'avait pas même l'excuse d'un ancien attachement, » qui s'était, selon sa propre expression, faufilé dans le comité électoral de la rue de Poitiers, et qui, le 26 mai 1848, mendiait, à force d'antithèses contre la République rouge, une place dans le parti de l'ordre.

Un dernier châtiment fut infligé au rhéteur par le fils d'un illustre martyr politique, dont il n'avait pas craint de remuer la cendre pour y trouver une antithèse de plus. M. de La Moskowa dut l'adjurer de laisser à l'avenir les morts dormir en paix, et de ne pas se faire d'une douleur de famille un ornement à ses harangues.

Cette exécution terminée, les débats reprirent quelque calme et quelque dignité. L'honorable M. Dufaure apporta, au secours de la Constitution républicaine, une sympathie froide et raisonnée; il chercha à prouver que la France ne ressentait pour la République ni beaucoup d'enthousiasme, ni beaucoup d'aversion. Dès lors, pourquoi changer? pourquoi courir à l'inconnu? Avec une quiétude singulière, l'orateur voyait le seul argument sérieux en faveur de la révision, dans la crainte d'une candidature inconstitutionnelle. Or, cette crainte n'existait pas pour lui, une candidature semblable devant échouer contre le respect de la légalité et contre la résistance de l'Assemblée.

Posez, disait-il, la question de monarchie ou de République, et vous aurez la guerre civile. La révision totale est donc impossible. Alors, pourquoi réviser? Réviser pour le reste, cela ne vaut pas la peine de remettre en question tout ce qui a été décidé en 1848. On dit qu'il s'agit simplement d'obtenir quatre ans de prolongation de pouvoirs; mais n'arriverait-on pas à demander, ceux-ci dix ans, ceux-là vingt? Pourquoi ne demanderait-on pas que le pouvoir exécutif fût placé au-dessus du pouvoir législatif? Pourquoi la Constituante n'aviserait-elle pas ainsi à détruire le fondement même de notre nouveau gouvernement? (18 juillet).

L'argumentation la plus solide, la plus nourrie fut celle de M. Odilon Barrot. Se renfermant plus strictement qu'aucun de ceux qui l'avaient précédé dans la question spéciale, l'orateur fit une critique sévère et approfondie des imperfections radicales, des vices nombreux qui avaient été si souvent signalés dans la Constitution actuelle. Il insista particulièrement sur l'organisation du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif; sur la contradiction qui existait entre la souveraineté d'une Assemblée unique et la responsabilité du Président de la République; sur l'état perpétuel de conflit et de rivalité qui en résultait entre les deux

pouvoirs; sur l'inconvénient de la permanence accordée à l'un, et de la trop courte durée assignée à l'autre. On aurait pu se tromper sur la conclusion à tirer de ces prémisses, si l'orateur n'avait pris soin de la tirer lui-même. M. Odilon Barrot, comme M. Dufaure, conclut formellement pour le maintien de la République ; mais une différence essentielle à signaler entre les deux orateurs, c'est que M. Dufaure s'accommodait de la République actuelle, tandis que M. Odilon Barrot se prononçait pour une République réformée, améliorée, aussi peu semblable que possible à la République présente,

M. Odilon Barrot fit, avec une honnêteté profondément émue, appel au bon sens, au patriotisme de tous les partis. Puis, s'attaquant à la principale objection faite contre la révision : Eh quoi! dit-il, toute une société aura reconnu des vices radicaux, viscé→ raux, dans la Constitution, et elle sera tenue en échec parce qu'une chance pourra s'ouvrir à la réélection de M. le président actuel! Soyons plus sûrs de nous-mêmes, soyons plus sûrs de la nation; mais au surplus, si ces chances-là vous paraissent si certaines, songez-y, Messieurs, refuser la révision de la Constitution par cette seule raison, ce serait faire un bien grand rôle à celui que vous écarteriez ainsi !... Quelques-uns qui demandent l'entière révision de la Constitution la demandent dans l'intérêt d'un seul homme, contre un seul homme. Moi, je demande la révision dans l'intérêt de mon pays, pour faire sortir de nos nouvelles institutions tout ce qu'elles peuvent donner de sécurité et de grandeur.

Le débat fut clos sur ce discours. L'Assemblée passa immédiatement au vote sur la résolution rédigée par M. de Broglie.

Un seul amendement, dont l'auteur était M. Charamaule, avait été proposé. Il consistait, on se le rappelle, à dire que le you de la révision était émis « dans le but d'améliorer et de consolider les institutions républicaines. » Mais cet amendement n'étant pas appuyé, ne fut pas même mis aux voix.

Le scrutin eut lieu dans la forme la plus solennelle et la plus lente, avec la double formalité du vote à la tribune et de l'appel nominal. En voici le résultat :

Le nombre des votants n'avait jamais été aussi considérable :

il était de 724. Lamajorité des trois quarts, exigée par l'article 111 de la Constitution, était de 543, 446 voix se prononcèrent en faveur de la révision; 278 voix se réunirent dans le sens contraire. - La proposition n'ayant pas réuni la majorité des trois quarts était rejetée (19 juillet).

Le scrutin dénonça des alliances étranges, des accouplements de noms monstrueux, M. Thiers, M. Piscatory, M. Dufaure, M. le général Changarnier se rencontraient dans un même vote avec MM. Nadaud, Raspail et Lagrange. L'état-major de l'ancien parti de l'ordre était fourvoyé.

A part quelques excentricités regrettables, quelques explosions de passion politique, cette lutte si impatiemment attendue n'avait été qu'un duel froid, compassé, dont le résultat était connu à l'avance. Indiscret interprète d'une pensée commune, M. de La Rochejaquelein l'avait dit dès les premiers jours: c'est une partie perdue. Sûre de sa victoire, la Montagne avait ménagé ses forces et s'était donné le facile mérite d'une modération relative. Sauf M. Victor Hugo qu'elle avouait à peine et M. Raspail, enfant perdu, qu'elle n'avait pu empêcher de glorifier indiscrètement le 15 mai, elle avait envoyé à cette passe d'armes ses orateurs les plus courtois, et M. Pascal Duprat avait pu, sans exciter ses murmures, vanter « la parole divine » de M. Thiers.

Le 21 juillet, l'Assemblée avait à statuer sur les pétitions révisionistes. L'animosité tracassière de M. Baze et l'amitié maladroite de M. Larabit faillirent amener une crise nouvelle.

M. Baze attaqua M. le ministre de l'intérieur avec une acrimonie singulière. Accumulant des reproches puérils fondés sur l'action des préfets, sur la part prise par les juges de paix, les maires et les gardes champêtres au pétitionnement, M. Baze chercha à s'aveugler et à aveugler l'Assemblée elle-même sur l'importance de ce mouvement immense qui avait réuni près d'un million et demi de citoyens.

M. Baze avait proposé un ordre du jour motivé ayant pour but d'infliger un blâme formel au ministère. Cet ordre du jour était ainsi conçu :

« L'Assemblée, tout en regrettant que, dans un grand nombre » de localités, contrairement à son devoir, l'administration ait

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