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été faite à l'association par la Ville de Paris, qui avança 10,000 fr. L'association ne put fournir que le quart de la commande à l'époque fixée, et il fallut s'adresser aux ouvriers libres, qui livrèrent les fournitures au même prix, bien qu'on ne leur donnât ni local, ni subvention: voilà pour la bonne administration ! Plusieurs plaintes avaient été déposées au Parquet par certains associés contre la gestion des délégués: voilà pour le désintéressement. Enfin, M. le préfet de police avait signalé l'association comme un centre d'intrigues anarchiques : voilà pour la fraternité.

De même pour M. Nadaud. Il demandait l'abolition du salariat et l'établissement d'associations subventionnées par l'Etat. Estce à dire, fit observer l'honorable M. Loyer, qui avait passé une partie de sa vie dans les ateliers, est-ce à dire que les ouvriers se plaignent d'être salariés? Pas le moins du monde. Ce dont ils se plaignent, c'est que leur salaire, par la force des circonstances, devient souvent insuffisant. Est-ce à dire encore qu'ils ne peuvent s'associer? Toute latitude sur ce point leur est accordée par les lois. M. Nadaud trouvait cette faculté dérisoire tant que l'État ne mettrait pas à leur disposition le capital dont ils avaient besoin. Mais ce capital, il faudrait nécessairement le prendre sur les contribuables, et quelles garanties les associations offriraient-elles pour le remboursement? M. Nadaud s'était en outre élevé contre l'emploi des machines. M. Loyer démontra que si les ouvriers peuvent se vêtir aujourd'hui à bon marché, c'est à l'emploi des moteurs qu'ils le doivent.

Ainsi encore M. Boysset, s'appuyant d'une citation d'un ouvrage de M. Blanqui, prétendait qu'à Lille plus de 3,000 familles vivaient dans des caves où l'on ne placerait pas des animaux immondes, et que sur 21,000 enfants d'ouvriers il en mourait 20,700. Une vive rumeur d'incrédulité accueillit ces chiffres désolants, et l'Assemblée avait raison de protester. M. le ministre de l'intérieur, qui avait exercé pendant quatorze mois les fonctions de préfet à Lille, déclara que la commission municipale, dans les visites, faites en vertu de la loi votée l'année précédente, n'avait trouvé dans toute la ville que cent logements insalubres à changer. Quant au nombre des enfants décédés, M. le préfet, tout

en regrettant de ne pouvoir présenter une statistique officielle, fit observer avec raison que si la citation était exacte, la ville de Lille serait dépeuplée depuis plusieurs années, tandis qu'au contraire, le mouvement de la population avait toujours été en aug

mentant.

Si incroyables que fussent les chiffres apportés par M. Boysset, l'Assemblée ne s'en était pas moins vivement émue. L'autorité de l'honorable savant, invoquée par l'orateur, semblait trop grave pour qu'on ne vérifiât pas une assertion semblable. M. le ministre de l'intérieur tint à honneur de démentir un fait qui, pour nous servir de son expression, eût été une véritable honte pour notre civilisation. Il fit immédiatement demander, par le télégraphe, des renseignements aux autorités locales. Les documents officiels contredisaient complétement les chiffres de M. Blanqui. Une distraction de l'honorable économiste avait appliqué à Lille une statistique dressée pour Manchester.

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Or, voici pour la première de ces deux villes les chiffres véritables: Population, 72,000. Décès pendant les cinq dernières années (et parmi ces années figurent celles de 1847 et de 1849, où la disette et le choléra ont exercé leurs ravages), 12,451, soit en moyenne, 2,490. Dans ce chiffre, la mortalité des enfants audessous de cinq ans entre à peine pour un tiers: elle est de 4,414, soit en moyenne 860.

Au reste, il y avait même à faire sur ce travail statistique, dépouillé de ses erreurs grossières, une observation importante. Ce travail n'embrassait qu'une période trop courte pour permettre d'établir des résultats sérieux et, dans cette période, dix-huit mois au moins correspondaient à une époque de cherté du pain et de misère pendant laquelle la maladie et la mort avaient fait des ravages sans proportion avec les temps ordinaires.

Ainsi tombait devant la vérité des faits cette douloureuse et sombre fantasmagorie.

Le résultat de cette discussion passionnée était facile à prévoir. L'Assemblée décida, sur la demande de M. Baze, que les pièces de l'enquête seraient déposées dans les archives. Elle rejeta, à la majorité de 476 voix contre 199, la proposition d'un supplément d'enquête, faite par M. Pascal Duprat (31 janvier).

Quelques jours après, c'était M. Léon Crestin qui demandait qu'une commission composée de vingt-cinq membres fût chargée d'étudier les moyens de mettre notre législation actuelle en concordance avec le texte et l'esprit de la Constitution, et de présenter un rapport sur cette question aux prochaines séances de l'Assemblée.

C'était là sans doute un programme assez vaste: refondre la législation entière, organiser à nouveau toutes les matières qui se rattachent aux art. 8, 13, 15, 23, 25 et 115 de la Constitution, telle était la tâche que, suivant M. Crestin, l'Assemblée devait accomplir dans le plus bref délai, sous peine de compromettre le salut du pays. L'auteur de la proposition ne tenait nul compte des lois déjà promulguées pour satisfaire au vœu de la Constitution, des travaux nombreux, élaborés dans les commissions, et entr'autres de ceux qui avaient rapport à l'assistance. Ainsi les mesures proposées pour résoudre les questions que soulève l'art. 13 portaient toutes le signe de l'impuissance. C'est au moins ce que M. Crestin s'efforça de démontrer dans un long discours, où on chercherait en vain un système défini, uro idée praticable. En revanche, on y trouvait les déclamations habituelles du parti socialiste. Était-il donc vrai qu'il y eût en France 27 millions de mendiants, que la misère et les maladies y missent l'espèce humaine en coupe réglée, que l'infanticide y fût organisé, que l'assistance y fût une dérision? Il suffit de jeter les yeux autour de soi pour réduire à leur juste valeur ces violences de langage, ces exagérations systématiques. M. Benoist d'Azy les signala avec énergie. Il repoussa au nom de la société, au nom de la majorité parlementaire, ces inculpations, qu'il qualifia d'odieuses, et il rappela que dans notre pays la charité et la bienfaisance publiques n'ont jamais manqué à leur mission.

Est-il besoin de le dire, la proposition de M. Crestin fut repoussée à la majorité de 455 voix contre 117.

Quelquefois aussi, c'étaient des représentants de l'opinion conservatrice qui, par une horreur peut-être exagérée de la centralisation, repoussaient des projets destinés à améliorer le sort des classes ouvrières. Ainsi pour un projet d'établissement de bains et lavoirs publics.

Lors de la troisième délibération, MM. Raudot et de Vatimesnil insistèrent vivement, soit pour faire ajourner, soit pour faire écarter le projet. Le premier de ces orateurs invoqua la disposition introduite l'année précédente dans la loi du budget, et aux termes de laquelle aucun crédit supplémentaire ne devait être accordé, si ce n'est en cas d'urgence. M. de Vatimesnil soutint, comme il l'avait déjà fait, que les habitants des campagnes ne tireraient aucun avantage du projet de loi, et qu'il était injuste de leur faire payer la création d'établissements dont quelques grandes villes pourraient seules profiter. Les observations présentées par M. Schneider, ministre du commerce, et par M. Armand de Melun, rapporteur, obtinrent gain de cause. L'article 1er, fut adopté par 332 voix contre 277. Le vote sur l'ensemble présenta à peu près le même résultat : 318 voix pour et 178 contre (3 février). Dans cet ordre d'idées, la majorité conservatrice paraissait animée d'intentions plus sérieuses et plus fécondes.

Un rapport, distribué le 30 mars, sur un projet de loi présenté par M. Dufaure relativement à la création d'un conseil supérieur d'assistance, constatait qu'en dépit des exigences de la politique, des difficultés du moment et des préoccupations de l'avenir, l'Assemblée législative n'avait pas cessé un seul instant de s'occuper des intérêts et des besoins des classes pauvres. Elle avait toujours eu une loi ou une proposition d'assistance à son ordre du jour. Pourquoi faut-il ajouter que ces intentions si louables avaient été trop souvent neutralisées par la longueur stérile et par la confusion des débats parlementaires?

Quoiqu'il en soit, le rapporteur, M. de Melun (d'Ille-et-Vilaine) comptait, à cette époque, jusqu'à seize projets de loi votés ou à voter, ayant tous pour objet de fonder des institutions, d'ordonner des enquêtes et d'améliorer la législation pour prévenir et soulager la misère. Si l'on réfléchit qu'il serait injuste de demander à un régime plus qu'il ne peut donner, c'est déjà un fait honorable pour notre temps que ces préoccupations sérieuses, tenaces, dirigées, avec plus ou moins de fruit, vers ce noble but, l'amélioration du sort des masses souffrantes.

Grâce à ces travaux persévérants, disait l'honorable rapporteur, l'apprenti, le jeune ouvrier sera à l'avenir protégé dans sa santé,

son travail et son éducation, et il ne sera plus permis d'abuser impunément de la faiblesse et de la misère de l'enfance. L'orphelin, l'abandonné, recueilli, élevé, secouru avec plus de tendresse et de vigilance, recevra de la société qui l'adopte de meilleures. chances de vie, de moralité et de fortune. Une éducation spéciale, des secours exceptionnels suppléeront à l'infirmité si digne de compassion des jeunes aveugles et des sourds-muets, et les colonies agricoles défendront les jeunes détenus contre la récidive que leur enseignait la prison.

La reconnaissance des sociétés de secours mutuels, l'ouverture par l'Etat d'une caisse de retraite, offraient déjà à l'ouvrier un placement avantageux et solide pour ses économies, exposées jusqu'alors à tant de mécomptes, et l'assuraient contre les dépenses de la maladie et les besoins de la vieillesse.

Des lois successivement votées avaient assaini les logements, facilité le mariage du pauvre, rendu ses procès moins dispendieux, allégé le poids si lourd de ses emprunts trop souvent usuraires, et travaillé à faire pénétrer dans les familles laborieuses des habitudes d'hygiène et de propreté, pendant que des commissions d'enquête cherchaient les moyens de diminuer pour elles le prix des denrées de première nécessité, et que des peines plus sévères allaient prévenir et frapper les fraudes et les falsifications dont l'acheteur en détail est victime.

Enfin l'assistance n'avait pas oublié cette fois les habitants des campagnes; les hôpitaux, les hospices ne se fermeraient plus devant leurs blessures et leurs infirmités; le passant, l'ouvrier étranger ne seraient plus exposés à mourir faute de soins et de secours à la porte d'une maison hospitalière, et l'absence de tout secours médical dans les villages ne condamnerait plus le pauvre paysan à ne pas combattre la maladie pour éviter la ruine.

Certes, c'étaient là de louables efforts et, quoiqu'il pût arriver quel que fût le jugement juste ou sévère porté par l'avenir sur les travaux législatifs de ces quatre années de trouble moral et matériel, il resterait au moins dans la législation française un témoignage honorable pour l'esprit moderne dans ces aspirations incessantes de la charité publique.

Quant au projet de M. Dufaure, la commission approuvait la

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