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pagnes surtout, rapprochent la condition du domestique de celle des enfants; il a sa place à la table et au foyer, il est initié à tous les secrets, il est le confident obligé de ces malheurs intimes qui viennent parfois attrister la maison la plus honnête. Ne serait-il pas regrettable d'altérer ces relations, d'y laisser pénétrer des germes de discorde, des pensées de procès et de scandale? Et ce résultat ne serait-il pas à craindre si les garanties contenues dans l'art. 1781 étaient entièrement abolies?

Celte thèse, développée par M. Riché, trouva des adversaires chaleureux dans MM. Dain et Chauffour. Ce dernier orateur posa la question en termes très-simples. L'article 1781 établit une présomption de bonne foi pour les maîtres, de mauvaise foi pour les domestiques. Est-ce là, dit-il, une disposition compatible avec l'esprit démocratique de notre législation, avec le grand principe de l'égalité devant la loi, que la Constitution de 1848 reconnaît comme une de ces vérités supérieures aux Codes et aux lois écrites? Il est vrai que l'art. 13 proclame d'une manière spéciale l'égalité des rapports entre les patrons et les ouvriers; mais cet article, introduit dans un but tout particulier, n'a rien d'exclusif pour les domestiques. La Constitution qui les admettait au plein exercice des droits politiques ne pouvait consacrer à leur préjudice une infériorité dans l'exercice de leurs droits civils. Cette infériorité, on a beau chercher à la justifier par l'intérêt de la famille, par une assimilation forcée entre les enfants et les domestiques, elle n'en reste pas moins une atteinte portée à la dignité humaine, en même temps qu'une marque de méfiance contre la juridiction appelée par sa compétence à connaître des contestations entre les maîtres et les serviteurs.

Voilà les deux principes entre lesquels la discussion était engagée.

Le premier article du projet adopté par la commission était ainsi conçu : « Les conventions entre les maîtres et les domestiques, ou gens de travail, seront constatées par des livrets de compte dont la forme sera déterminée par des règlements. >>

Cet article offrait deux inconvénients assez graves. Il appliquait la formalité du livret aux gens de travail, c'est-à-dire (en le rapprochant de l'art. 4), aux ouvriers autres que ceux des manufac

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tures, fabriques ou ateliers, en d'autres termes aux ouvriers ruraux. Or, les circonstances dans lesquelles les engagements, se font dans les campagnes, la nature de ces engagements, le peu de lumières des contractants, souvent complétement illettrés, sont un obstacle à ce que le livret puisse pénétrer dans l'industrie agricole. En second lieu, la commission entendait que la forme des livrets fût déterminée par des règlements municipaux, ce qui eût tout simplement rendu le projet impraticable, Ajoutons, pour être juste, qu'elle finit par reconnaître son erreur et par substituer à des règlements rédigés par les autorités municipales, un règlement d'administration publique délibéré en conseil d'État.

M. Chauffour combattit avec talent l'article 1er, Aux objections de principe, il joignit une protestation contre la formalité despotique des livrets, et conclut en proposant un amendement qui ruinait le projet tout entier. Cet amendement fut repoussé au scrutin de division par 322 voix contre 280.

Quel était alors le rôle de la gauche ? Evidemment de se rattacher au projet de la commission, en cherchant à le faire modifier dans un sens plus libéral, en se ralliant, par exemple, à un amendement de M. Faure (des Hautes-Alpes), qui demandait qu'à défaut de livret les contestations fussent décidées sur l'affirmation de celle des parties à laquelle le juge croirait devoir déférer le serment. Au lieu de suivre cette voie, qui était à la fois la plus logique et la plus digne, la gauche préféra combattre purement et simplement le projet.

M. Dain, dans un discours dont la vivacité touchait à la violence, reprit les arguments de M. Chauffour. A partir de ce moment, la discussion devint si confuse que, lorsque l'article fut mis aux voix, l'Assemblée vota en hésitant et sans comprendre le sens de la décision qu'elle allait prendre. L'article 1er fut rejeté contre toute attente, au milieu d'un rire général.

Restait l'amendement de M. Nadaud, qui proposait l'abrogation de l'article 1781 il fut rejeté à une grande majorité.

Le résultat final ne satisfaisait donc personne. L'article 1781 du code civil était maintenu intact, malgré la gauche qui en demandait l'abrogation, malgré la commission qui en subordonnait

l'application au défaut du livret, malgré le gouvernement qui, autant qu'on put en juger par quelques paroles de M. Rouher, se ralliait à l'opinion de la commission (9 mai).

Nous avons insisté sur ce triste spectacle d'insuffisance parlementaire, pour donner une idée de la stérilité des discussions, qui n'intéressaient pas à un haut degré les passions politiques. Quant au résultat en lui-même, de quelque façon bizarre qu'il eût été acquis, pouvait-on regretter de voir qu'on n'eût pas touché imprudemment à un article du code civil et modifié dans un de ses principes.ce monument respecté de notre législation. Sans doute il y avait là quelque chose à faire, un progrès à réaliser, mais on pouvait préférer le maintien de ce qui existe à une improvisation législative, effet du caprice ou du hasard.

Mont-de-piété. Ces établissements qui furent, à l'origine, une œuvre de charité, exigent aujourd'hui des emprunteurs un intérêt usuraire ils prêtent, en effet, à 9, 10, 13 pour 100, et plus encore si l'emprunteur se sert de l'entremise des commissionnaires. Il était donc devenu urgent de songer à réduire le plus possible l'intérêt des prêts sur gage.

Un projet encore bien insuffisant fut préparé dans ce but. Une seule disposition importante y était contenue. Un mont-de-piété fait des bénéfices qui ne proviennent pas seulement de la différence de l'intérêt payé d'avec l'intérêt reçu, à savoir les bonis, qui résultent de la vente des objets remis en gage, non réclamés dans les délais, vendus à un prix supérieur et dont le propriétaire n'aura pas été retrouvé. Ces bénéfices sont ordinairement versés dans la caisse des hospices; le mont-de-piété de Paris a ainsi versé, depuis sa fondation, 13 millions. Or, le projet voulait que ces bénéfices fussent retenus par les monts-de-piété pour être ajoutés à leur dotation, ou pour leur en former une. De cette manière, ces établissements parviendraient à se constituer peu à peu un capital dont ils ne paieraient l'intérêt à personne et ils pourraient alors abaisser l'intérêt de leurs prêts. Par exemple, le mont-de-piété de Paris opère sur 20 millions. S'il eût possédé, en 1854, les 13 millions abandonnés aux hospices, il n'eût eu à réclamer des emprunteurs que l'intérêt de 7 millions et ses frais. Le projet du gouvernement supprimait les commissionnaires,

à l'entremise desquels il faut attribuer en grande partie l'exagération de l'intérêt payé par les emprunteurs. La commission de l'Assemblée avait préféré ne pas trancher la difficulté : elle en attribuait la solution à l'administration de chaque établissement particulier.

Venait ensuite un contre-projet présenté par deux membres de la Montagne, MM. Benoît (du Rhône) et Charassin, portant établissement dans chaque canton de la République, d'un mont-depiété qui s'appellerait caisse de prêt. Les auteurs de ce projet grandiose, n'avaient oublié qu'une seule chose, les voies et moyens, à moins qu'on ne prît au sérieux la proposition par eux faite de dépouiller de leurs biens les hospices, les établissements de charité et, le croirait-on, les caisses d'épargne.

Enfin, un contre-projet dû à M. Sain différait de celui de la commission sur un point, l'institution des commissionnaires qu'il supprimait sans indemnité, leurs charges ne constituant point de droits à leur profit.

L'attribution aux monts-de-piété de leurs excédants de recette comme dotations fut votée sans discussion. La suppression des commissionnaires, devant laquelle avait reculé la commission, fut formulée par M. Peupin dans un amendement chaleureusement et habilement développé. Combattu par M. Berger, préfet de la Seine, l'amendement fut adopté (11 avril).

Encore une discussion confuse, embarrassée, à laquelle l'Assemblée ne prêtait qu'une attention distraite. Qu'on se le rappelle, on était alors en pleine crise ministérielle.

Lorsque revint la question, lors d'une délibération nouvelle (24 juin), la suppression des commissionnaires fit encore à peu près tous les frais de la discussion. Un fait sérieux s'était produit dans l'intervalle des deux délibérations. Des réclamations contre le vote qui avait supprimé les commissionnaires avaient été adressées par les administrations des monts-de-piété de province, notamment celles de Rouen, de Bordeaux, de Lille, de Versailles, de Douai et de Valenciennes. Il est certain que la discussion qui avait précédé le vote avait roulé surtout sur le mont-de-piété de Paris. Or, tous les établissements de prêt autorisés par le gouvernement ne se trouvent pas tous dans les mêmes conditions:

une règle absolue pouvait manquer d'élasticité et offrir d'un côté des inconvénients insuffisants pour compenser les avantages qu'elle réalisait de l'autre. Aussi la commission, contre l'avis de laquelle la suppression des commissionnaires avait été adoptée, avait-t-elle cru devoir persister dans sa première opinion.

La disposition qu'elle présentait n'était, au surplus, qu'une disposition neutre, une mesure de transaction. Elle ne consacrait pas l'institution des commissionnaires; loin de là. Le rapporteur reconnut que ces derniers n'étaient pas possesseurs d'offices, qu'ils n'avaient aucun droit à réclamer, qu'ils existaient seulement << par convenance, par habitude, par nécessité. »

En fait même, la commission ne les maintenait pas d'une manière positive; elle ne prescrivait pas la création de bureaux auxiliaires, mais elle ne voulait pas que la question fût tranchée dès aujourd'hui : elle craignait que la suppression subite des intermédiaires ne fût funeste à l'intérêt public, le seul dont il y avait lieu de se préoccuper, et elle pensait que c'était par un règlement d'administration publique qu'il pourrait être pourvu à tout ce qui concerne l'institution et la surveillance des agents accrédités près des monts-de-piété.

Ce règlement, qui tiendrait compte des différences qui existent entre les divers monts-de-piété, soit sous le rapport des dotations qui leur sont affectées, soit sous celui des populations aux besoins desquelles ils doivent subvenir, lui paraissait suffisant pour réaliser tous les progrès, toutes les améliorations désirables.

L'Assemblée partagea l'avis de la commission, auquel déjà le gouvernement, par l'organe de M. Léon Faucher, avait déclaré se rallier elle se déjugea et, malgré les efforts de M. Peupin, elle adopta, à la majorité de 401 voix contre 228, l'amendement nouveau, ainsi que l'ensemble même de la loi.

Hospices et hôpitaux. Un projet de loi qui, malgré son apparence administrative, touchait à une question sociale des plus intéressantes, la question du paupérisme, fut mis à l'ordre du jour du 5 avril, sur la demande de la commission d'assis

tance.

Ce qu'il s'agissait en effet de réglementer, c'était la charité publique. C'était, suivant l'expression du rapporteur, une lutte

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