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politiques? La commission de permanence, elle, avait donné la mesure de ses préoccupations, de ses suspicions insultantes par l'incroyable démarche relative au prétendu complot.

M. Baroche vint enfin à la révocation, seul acte accompli par le ministère. Ici, le ministre fut habilement énergique. Il revendiqua la responsabilité de l'acte, mais en montrant quelle franchise était celle de ceux qui prétendaient diviser la responsabilité. Le droit, on ne pouvait le méconnaître. Où était donc l'atteinte à la dignité de l'Assemblée ? Dans la date de la révocation? Mais cette mesure avait été décidée avant le 3 janvier et le vote de la chambre, loin de la précipiter, l'avait retardée, en faisant naître des hésitations dans le cabinet, en provoquant des démissions partielles, une démission collective.

Puis, M. Baroche accentua clairement le véritable motif de la suppression du commandement extraordinaire. On n'avait pas voulu de trois pouvoirs quand la Constitution n'en avait établi que deux. Ici, une voix s'écrie: Vous l'avez supprimé par ce qu'il était un obstacle. Un obstacle à quoi? demande vivement M. Baroche. Aux cris de Vive l'Empereur! répond M. HowynTranchère. Eh! réplique le ministre, on a toujours crié quelque chose sous les armes. Vous êtes des ingrats, s'écrie un autre membre. Pour n'être pas ingrat, répond M. Baroche, fallait-il éterniser dans le gouvernement et dans l'État une anomalie transitoire, nécessitée par des circonstances qui n'existaient plus. Demandez-leur donc, dit M. Denjoy, demandez-leur s'ils sont bien reconnaissants envers le Président de la République pour les services rendus.

M. Jules de Lasteyrie fut le champion choisi par les adversaires du pouvoir exécutif.

M. Jules de Lasteyrie poursuivit d'acte en acte la dernière administration avec une amertume trop visible. Il semblait, à chaque instant, que l'orateur fût près de substituer l'accusation au blâme. Aux procès-verbaux insuffisants de la commission de permanence, l'honorable membre ajouta ses propres impressions longuement commentées et ses anciennes habitudes d'opposition parlementaire. Il donna la clef des réticences du rapport, et mit sous les yeux de l'Assemblée la vérité vraie de la situation.

Des orateurs moins autorisés, M. Monnet, par exemple, appuyèrent plus significativement encore sur les reproches adressés au pouvoir exécutif. M. Monnet alla même jusqu'à soutenir le droit du pouvoir législatif à dicter les choix ministériels à l'exécutif. M. Fresneau excita quelques sourires lorsqu'il déclara que M. le général Changarnier était, en quelque sorte, une garantie constitutionnelle placée près du Président de la République.

Un seul orateur, M. de Goulard, sans chercher à dissimuler les fautes commises de part et d'autre, fit appel à des sentiments d'union et de concorde et rappela avec à-propos à quelles erreurs peuvent se laisser entraîner les assemblées trop jalouses de leur omnipotence. Il cita à ce sujet la coalition de 1838 et ses tristes conséquences.

Jusque-là, les chefs des deux partis monarchiques n'avaient pas encore donné. Le lendemain, 16, M. Berryer vint, sans l'annoncer avec fracas, apporter cette vérité vraie qu'on n'avait fait encore que dévoiler par mégarde. Laissant de côté les formules vieillies d'opposition tracassière, l'éloquent orateur arbora hautement, honnêtement son drapeau. Oui, dit-il, je suis un homme monarchique; oui, je suis allé à Wiesbaden faire un acte politique. Quoi d'étonnant dès lors que M. Berryer trouvât mauvais que le pouvoir exécutif eùt secoué sa tutelle !

Ecoutons les loyales déclarations de l'orateur légitimiste, ces nobles aveux qui durent exciter la confusion chez ceux qui ne se sentaient pas capables de cette mâle franchise :

Vous parlez de voyages à Wiesbaden, de voyages à Claremont, de conspirations. Oui, pendant que des membres illustres de cette Assemblée allaient au lit de mort du vieux monarque qu'ils ont servi, pendant qu'ils allaient partager ou les anxiétés ou les douleurs de jeunes princes qu'ils ont aimés, et qui ont eu cet avantage que nos soldats les ont vus à Saint-Jean-d'Ulloa, à Mogador, à Constantine; pendant qu'ils cédaient aux inspirations d'un souvenir reconnaissant, auquel je ne reproche pas à plusieurs de MM. les ministres d'avoir obéi eux-mêmes, moi, Messieurs (laissez-moi toute ma liberté et toute ma franchise), moi, Messieurs, pendant ce temps, j'allais avec un grand nombre de mes amis voir un autre exilé qui est étranger à tous les événements accomplis daus ce pays, qui n'a jamais démérité de la patrie, qui est exilé, parce qu'il porte en lui le principe qui pendant une longue suite de siècles a réglé en France la transmission de la souveraineté publique ; qui est exilé parce que tout établissement

d'un nouveau gouvernement en France est nécessairement contre lui une loi de proscription; qui est exilé enfin parce qu'il ne peut pas poser le pied sur le sol de cette France que les rois ses aïeux ont conquise, agrandie, constituée, sans être le premier des Français, le roi!

Et l'orateur protesta qu'il avait fait, dans ce voyage, le sacrifice de tout intérêt de parti, pour ne songer qu'à l'union et à la fusion, qui seule pouvait protéger la société française. Et c'est cette union qu'on allait briser aujourd'hui. Si la majorité se dissolvait par la faute du ministère, qu'arriverait-il? Ici, M. Berryer traçait un tableau prophétique de l'avenir réservé, en pareil cas, au gouvernement parlementaire.

Arrêtez-vous au premier pas. Si la majorité qui sauve la société française est brisée; si elle est scindée, comme je le vois en contemplant l'agitation et les votes divers au sein de la commission, et les frémissements qui ont régné sur ces bancs depuis deux jours, si elle est brisée, je déplore l'avenir qui est réservé à mon pays, et je ne sais pas quels seraient vos successeurs, je ne sais pas si vous aurez des successeurs; ces murs resteront peut-être debout, mais ils se ront habités par des législateurs muets. Je n'accuse, écoutez-moi bien, je n'accuse, je ne soupçonne les intentions, les projets de personne. Nou, je ne vois qu'une chose, c'est la marche, c'est la puissance, c'est la domination des événements, si la digue de la résistance ne reste pas debout. C'est là ce que j'entrevois, et je dis que si la majorité de cette Assemblée est brisée, nous aurons à subir en France ou le mutisme d'une démagogie, la violence comme elle s'imposera, ou le mutisme qu'un absolutisme absurde tentera de placer sur le pays.

Ce magnifique langage avait eu, au moins, pour résultat d'élever le débat, de faire disparaître les honteuses mesquineries de la veille. A cette hauteur, il n'était plus question ni de cris poussés à Satory, ni des bastonnades de la place du Hâvre, ni des Yon et des Alais, ni de M. Neumayer, ni même de l'honorable général à la fois héros et victime de la coalition.

M. Berryer, cependant, avait traité assez lestement la République. Qui de nous, avait-il dit au milieu des cris de fureur de la Montagne, qui de nous, républicains ou monarchistes croit à la République? Qui de nous croit que la République est le gouvernement définitif et régulier de la France ? Qui ne sent, qui ne dit tous les jours que le régime établi depuis trois ans est un régime précaire et transitoire? M. de Lamartine se crut appelé à l'honneur de venger cette République qu'on avait l'air de compter pour

!

si peu. Le père, si on l'en croit, de la République du 24 février, ne pouvait moins faire pour sa fille. Qui vous a donné à tous la liberté, qui vous a donné l'ordre depuis trois ans, s'écria l'orateur, si ce n'est la République! Et la foi du poëte était si grande dans la vie de ce gouvernement par excellence, qu'elle allait jusqu'à lui donner toute confiance dans les intentions du premier magistrat de la République, qui n'avait jamais rêvé un empire idéal et impossible. Il se trouva, au reste, que M. de Lamartine n'était avec personne, ni avec les partisans de l'exécutif qu'il ne paraissait pas comprendre, ni avec les coalisés auxquels il reprocha des ambitions jalouses et hargneuses, des calomnies puisées à des sources ignobles, ni avec la Montagne qui accueillit assez mal son plaidoyer. Il est vrai que M. de Lamartine était avec la République.

Un autre membre de la commission qui, comme M. de Lamartine, avait voté pour l'ordre du jour pur et simple, M. Flandin, défendit avec plus de zèle que de succès les intérêts du pouvoir exécutif. Quelques-uns de ses arguments, développés avec mesure, eussent produit plus d'impression. Mais l'honorable orateur ne sut pas toujours glisser habilement entre les écueils de cette discussion irritante.

La séance du 17 janvier fut décisive. La lutte se caractérisait de plus en plus.

Ce fut d'abord M. Baroche qui vint répondre à la fois à M. Jules de Lasteyrie et à M. Berryer. I le fit avec bonheur souvent, toujours avec franchise. Une fois pour toutes, il mit à néant toutes les triviales accusations si souvent répétées. Les cris inconstitutionnels, ce n'était pas le gouvernement qui les avait provoqués. Le ministre mit ses adversaires au défi de le prouver et il s'étonna, à bon droit, de les voir reprocher avec tant de violence par ceux qui venaient jeter, pour ainsi dire, en pleine assemblée le cri de : Vive le Roi! La société du Dix-Décembre, le ministère l'avait dissoute lorsqu'il s'était convaincu qu'elle s'écartait de son principe pour s'occuper de politique. Et d'ailleurs que d'exagération dans les faits qu'on lui imputait! M. Baroche prouva, par exemple, qu'un document dont M. Jules de Lasteyrie avait donné lecture en l'attribuant à la société, n'était autre chose que le pros

pectus d'un comité napoléonien, constitué en vue des élections et tout à fait étranger à la société du Dix-Décembre. On avait dit que cette société n'était composée que du ramassis des bagnes, de six à sept mille coquins; un seul repris de justice avait été signalé parmi ses membres. Etait-il vrai que cette société se fût rendue coupable des violences auxquelles M. de Lasteyrie dé- · clarait avoir assisté, pendant quatre heures, sur la place du Hâvre? Une instruction judiciaire avait été ouverte : plus de soixante témoins avaient été entendus, et il résultait de l'ordonnance de non-lieu, qui était intervenue, que si de regrettables voies de fait avaient été commises, on ne pouvait par aucun témoignage les rattacher, soit directement, soit indirectement, à la société du Dix-Décembre.

Il fallait revenir à l'acte important, à la révocation du commandant en chef de l'armée de Paris. M. Baroche quitta la défensive pour attaquer à son tour. On s'était ému de cette mesure parce qu'elle ruinait les espérances de tous ceux qui considéraient la République comme un état précaire et transitoire. M. le général Changarnier était le point de mire des partis monarchiques. Sa révocation avait dérangé leurs rêves d'avenir. Tel était le véritable motif des passions déchaînées contre le cabinet. Il n'y en avait pas d'autre. Jamais le gouvernement n'avait songé à empiéter sur les droits de l'Assemblée et à la priver d'un défenseur. Un défenseur, eh! contre qui? L'Assemblée n'avait pas d'ennemis, et si elle pouvait en avoir, l'agression ne lui viendrait jamais du pouvoir exécutif. M. Baroche s'attacha ensuite à prouver que si la majorité était brisée, on ne devait pas imputer cet état de choses au cabinet, qui voulait rester fidèle à la Constitution et maintenir résolument la République, mais aux hommes qui avaient, en laissant percer leurs aspirations royalistes, dissous le faisceau de forces jusqu'alors unies pour le maintien de l'ordre. La responsabilité de la situation devait donc peser uniquement sur eux; c'était leur œuvre, bien qu'ils la répudiassent. En supprimantle commandement exorbitant de M. le général Changarnier, on ne s'était proposé qu'une chose, détruire l'influence d'un pouvoir sur lequel on comptait, pour l'époque où la France délibérerait sur ses destinées; on avait voulu déblayer le terrain, afin que

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