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être fondées ces colonies pénitentiaires, à quelles dépenses elles entraîneraient, de quels éléments devrait se composer leur personnel. Mais on verra bientôt comment la solution de la question devait sortir d'un acte spontané du pouvoir exécutif.

Bibliothèque des prisons. Signalons encore une heureuse tentative de moralisation, la création de bibliothèques des prisons. Cette œuvre, essayée par M. Carlier dès les premiers jours de 1850, avait porté quelques fruits. L'appel de M. le préfet de police avait été entendu, et de nombreux livres d'instruction, de morale et d'histoire, destinés à l'usage des détenus, avaient été envoyés à l'administration par des citoyens, heureux de s'associer à ces louables efforts. Dès le second mois de 1851, M. l'abbé Auger, inspecteur des bibliothèques des prisons, put constater l'effet moral produit par cette œuvre de véritable philanthropie.

Police des cafés et cabarets. Il est impossible de contester l'influence funeste que l'accroissement continu des débits de boissons exerce sur les mœurs, les désordres et les scandales dont ces lieux sont fréquemment le théâtre, les déplorables facilités qu'y trouvent de honteuses et coupables industries habituées à spéculer sur la démoralisation publique. Plus d'une fois, on avait pu déplorer l'impuissance de la législation existante pour remédier à des abus qui vont en s'aggravant. Le maintien du bon ordre dans les établissements de ce genre était, jusqu'à présent, confié, aux termes de la loi de 1790, à la vigilance des municipalités; mais les autorités municipales n'apportent malheureusement pas toujours une vigueur suffisante dans l'accomplissement de leur mission.

M. de Montalembert le fit observer avec raison, nos lois et nos règlements, à cet égard, sont beaucoup moins sévères que de l'autre côté de la Manche.

MM. Vaudoré et Pidoux pensèrent que, pour assurer une protection vraiment efficace à la société, le meilleur moyen serait de substituer à des règles variables, subordonnées à la volonté du maire, certaines dispositions législatives, qui s'étendraient à tout le territoire, et dont l'exécution serait remise aux soins des autorités administratives et judiciaires tout à la fois.

D'après la proposition qui fut discutée par l'Assemblée le 13 mars, on demanderait d'abord des garanties préalables aux personnes qui voudraient tenir des débits de boissons, et l'on interdirait la profession de cabaretier à tout individu frappé d'une condamnation pour crime, ou de deux condamnations pour délits contraires à la probité et aux mœurs. On renforcerait les mesures répressives, et, afin de rendre la répression plus active et plus certaine, on augmenterait, en ce qui concerne la constatation des délits, les pouvoirs conférés aux officiers de police judiciaire. Enfin, pour défendre le consommateur contre la cupidité du cabaretier et contre ses propres entraînements, on refuserait toute action pour les dettes de café et de cabaret, en n'admettant à cette règle que les exceptions nécessitées par les besoins et les habitudes d'une partie des populations ouvrières.

La proposition fut prise en considération, à la majorité de 441 votants contre 203. Mais elle ne reparut pas devant l'Assemblée sous sa forme définitive.

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Bourse des travailleurs. Peut-être faut-il ranger dans la même catégorie d'idées une proposition tendant à l'établissement, à Paris, d'une Bourse des travailleurs, où seraient fixés le taux des salaires, le prix des marchandises, la nature des travaux, et qui aurait, en outre, servi de lieu de réunion pour les ouvriers cherchant du travail, et de bureau central de renseignements et de placement. La commission d'initiative repoussa la prise en considération, se fondant sur ce qu'une création semblable avait un caractère purement municipal. Ces conclusions furent adoptées.

Sans doute la proposition était inadmissible dans les termes où elle se présentait; mais la prise en considération n'est qu'un engagement à examiner, et, de ce projet à peine ébauché, pouvait sortir peut-être une institution utile et moralisatrice. Il est inutile d'ajouter que le court débat élevé à ce sujet ne donna lieu qu'à des récriminations violentes, justes peut-être en partie, mais assurément peu adroites et peu modérées dans la forme, relativement aux transactions illégales, aux marchés aléatoires

qui, malgré de récents arrêtés de M. le préfet de police, se mêlaient encore aux opérations régulières de la Bourse.

Taxe des théâtres, droit des pauvres. L'Assemblée rejeta une proposition tendant à frapper le produit net, et non plus le produit brut, du droit perçu au profit de l'assistance publique, sur les recettes des théâtres, concerts, spectacles, etc. Il faut reconnaître, avec l'auteur de la proposition, que la perception ainsi exercée produit des injustices choquantes : ainsi, il arrive souvent qu'un théâtre qui réalise à peine de quoi faire face à ses frais, ou qui même fait de mauvaises affaires, se voit obligé de payer une taxe sur son déficit même. Ces observations si justes ne purent prévaloir contre quelques considérations présentées, au nom du principe de la charité publique, par M. Dupin, dans un discours vif et spirituel qui décida le vote de l'Assemblée.

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Falsification des substances alimentaires. Une proposition, convertie en loi, essaya de mettre un terme aux sophistications qui atteignent de mille manières différentes la santé et la fortune des citoyens.

A la troisième délibération (26 mars), l'article 1er donna lieu à quelques observations: il portait que ceux qui falsifieraient frauduleusement des substances alimentaires ou médicamenteuses seraient punis des peines édictées dans l'art. 423 du Code pénal. Sur la proposition de M. Sauteyra, appuyée par M. le ministre de la justice et combattue par MM. Riché et Persigny, l'Assemblée supprima le mot frauduleusement, comme constituant un pléonasme, attendu que la falsification emporte toujours l'idée de la fraude.

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Sapeurs-pompiers, secours et pensions. On se rappelle que, parmi les projets ayant pour but d'améliorer des situations professionnelles, celui de M. Antony Thouret, relatif aux sapeurspompiers, avait obtenu les suffrages des divers côtés de la Chambre. Il revint, cette année, pour obtenir une sanction définitive.

Les secours et pensions à accorder aux sapeurs-pompiers ou à leurs familles, seraient-ils mis à la charge du département ou de la commune, dans lesquels aurait eu lieu l'incendie? Lors de la première lecture, un amendement improvisé par M. Bouhier de l'Écluse, et adopté sans discussion, avait mis cette nouvelle dé

pense à la charge du budget départemental. Le 4 avril, la majorité de la commission proposait à l'Assemblée de revenir sur son premier vote, en décidant que les secours et les pensions seraient dus par la commune. De son côté, la minorité de la commission proposait un système intermédiaire qui participait des deux systèmes exclusifs, en disposant que, dans le cas où le budget communal n'offrirait pas de ressources, ou n'en offrirait que d'insuffisantes, il y serait suppléé par le département. Après un long débat, auquel prit part le ministre de l'intérieur, le système proposé par la minorité de la commission fut rejeté; celui que présentait la majorité de la commission fut adopté.

Le lendemain, 5 avril, le projet fut adopté dans son ensemble, par 503 voix contre 79.

Sortie péniblement d'une discussion difficile, pendant laquelle les amendements s'étaient succédés en grand nombre, cette loi n'était pas complète; sa bonne application exigeait sans doute des solutions complémentaires, mais elle consacrait formellement un droit important en faveur de citoyens dévoués, leur assurait, dans des circonstances douloureuses, un avenir moins incertain, et c'était là un résultat louable.

Sans doute la sollicitude constante des communes pour les sapeurs-pompiers qui succombent dans l'accomplissement de leur tâche périlleuse, ou qui en restent victimes jusqu'à la fin de leur vie, ne permettait pas de considérer la loi comme un acte de réparation; mais on ne pouvait qu'approuver la pensée de fixer législativement des droits si légitimes.

Tel est l'ensemble des efforts honorables faits par l'Assemblée pour assister, protéger et moraliser les masses. Dans cet ordre d'idées, deux écueils sont à éviter; il faut se garder d'exagérer le droit du pauvre, il faut éviter aussi de substituer incessamment l'action officielle de l'Etat à l'action individuelle de la charité. Ces deux tendances contraires n'avaient été que trop représentées des deux côtés de l'Assemblée. On pourrait dire sans exagération que la prétention à réglementer partout et toujours l'assistance que le riche doit au pauvre, n'est pas moins démoralisante que les doctrines haineuses qui partagent la société en deux camps ennemis.

Et cependant, comment ne pas prendre confiance dans la charité individuelle, quand on assiste à ses miracles!

Au milieu des déclamations qui attaquent la société moderne et qui appellent sur elle le déchaînement des plus mauvaises passions, un fait patent, incontestable, c'est que, dans le foyer même des déclamations et des misères, à Paris, la bienfaisance a plus que triplé depuis vingt ans. On donne plus, on donne mieux. Le recensement des pauvres, en 1850, constate que, malgré l'accroissement de la population et toutes les ruines qu'entraînent à leur suite les soulèvements révolutionnaires, le chiffre des misères est redescendu au point où il était en 1844.

Si Paris a donné l'impulsion, son exemple a été noblement suivi dans presque toutes les grandes cités et dans un grand nombre de villes de second et de troisième ordre. Il n'est pas une invention de la charité, pas une ruse de la bienfaisance pour attirer ou surprendre les dons qui n'ait eu des imitateurs.

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