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On compte en France 1,438 communes qui ont des octrois. Leur recette annuelle, déduction faite du prélèvement du trésor, s'élève à 80 millions. C'est à l'aide de ces ressources qu'elles peuvent pourvoir aux dépenses des salles d'asile, des hospices et autres établissements de bienfaisance. M.Joret ne voulait sans doute pas la suppression de ces institutions créées en faveur des classes pauvres. En proposant l'abolition des octrois, il aurait donc fallu indiquer immédiatement les moyens nécessaires pour remplacer leurs produits. M. Joret remettait à une loi, qui interviendrait ultérieurement, le soin de chercher ce remplacement, soit dans un impôt sur le revenu, soit dans un impôt sur le capital, soit dans toutes autres ressources. En d'autres termes, il proposait l'ajournement des moyens pour suppléer aux produits des octrois. Cela était-il admissible? Pouvait-on abolir un impôt dont la nécessité était reconnue sans s'être assuré préalablement qu'il pourrait être remplacé par un autre impôt, offrant moins d'inconvénients dans son établissement et sa perception?

L'impôt tant sur le revenu que sur le capital, a d'ailleurs été expérimenté il y a six ou sept siècles, et les difficultés qu'il soulève ont dû y faire renoncer. Les octrois ont aussi une origine très-reculée. On les supprima en 1791, mais au bout de quelques années il fallut les rétablir. Un essai avait donc été fait, il n'avait pas réussi, serait-il sage de le recommencer? Aujourd'h il était parfaitement loisible aux communes, en se renfermant dans les limites de l'impôt direct, de substituer cet impôt à celui des octrois et réciproquement. Si elles adoptaient l'un de préférence à l'autre, n'était-ce pas évidemment qu'elles y trouvaient un avantage? La proposition de M. Joret eût eu pour résultat de leur faire perdre cette faculté, c'est-à-dire qu'elle eût porté atteinte aux franchises municipales dont il est question aujourd'hui d'élargir le cercle. Il est vrai que l'honorable membre invoquait un intérêt respectable, celui des classes pauvres. Mais ne voyait-il pas que si l'impôt sur le capital était substitué aux octrois, le propriétaire ferait payer plus cher le loyer des instruments de travail? quel soulagement en résulterait-il donc pour les travailleurs? Il y avait, au surplus, une observation toute récente et qui trouvait naturellement sa place

dans cette discussion. On se rappelle qu'en 1848 la taxe sur la viande de boucherie fut supprimée. Les prix avaient-ils fléchi? Non, le consommateur ne profita en rien, et ne pouvait profiter, dans ses achats au détail, d'une suppression de droit qui aboutissait à une fraction de centime. Aussi la taxe fut-elle rétablie au bout de quelques mois d'expérience.

Tels furent les principaux arguments successivement développés par MM. Vaïsse, Heurtier et Carteret. M. Joret crut devoir insister, en prétendant que l'impôt de consommation était le moyen d'enlever le plus d'argent possible à ceux qui n'en ont pas. Il critiqua vivement, ainsi que M. Raudot, l'application des tarifs à certains articles de première nécessité. Plusieurs de ces critiques méritaient une sérieuse attention : les adversaires de la proposition le reconnurent. Mais l'Assemblée n'avait pas à se prononcer sur les améliorations dont la matière des octrois est susceptible : il s'agissait pour le moment de la proposition radicale de M. Joret. A la majorité de 389 voix contre 251, elle rejeta la prise en considération (5 février).

Venait ensuite la proposition de M. Sauteyra, plus radicale encore. Ce n'était pas seulement l'abolition des octrois qu'elle demandait, elle supprimait également tous les impôts locaux votés sous le titre de centimes additionnels, taxes municipales ou sous toute autre dénomination, et elle les remplaçait par l'impôt du capital sur toutes les valeurs mobilières et immobilières.

Tout avait été dit vingt fois sur cette utopie, et M. Sauteyra ne put la rajeunir. M. Léon Faucher lui montra que sa proposition dépassait le but et arrivait, d'une façon détournée, à l'abolition de toutes les contributions indirectes. Or, cette suppression profiterait-elle, comme on le pensait, aux classes laborieuses?

M. Léon Faucher proúva clairement, en prenant séparément les produits dont se compose le budget annuel de la France, que la partie qui pèse de la manière la plus lourde sur les pauvres ne s'élève qu'à la dixième partie de l'impôt total. Et cela se conçoit. Chez nous, l'impôt général est direct et l'impôt local indirect, tandis qu'au contraire, en Angleterre, les contributions indirectes forment la généralité de l'impôt. La substitution proposée par M. Sauteyra, pour les villes qui ont des octrois, aurait pour résu!

tat inévitable de jeter la perturbation dans leurs finances et de leur créer une situation exceptionnelle. Ainsi, d'après les calculs de M. Léon Faucher, le produit des octrois et taxes municipales peut être évalué annuellement à 150 millions. Ce serait donc cette somme que l'impôt sur le capital devrait atteindre. Or, l'impôt de trois pour cent sur le revenu mobilier, que proposa M. Goudchaux sous la Constituante, ne devait rendre que 60 millions pour toute la France, et l'impôt de un pour cent sur tous les revenus, proposé plus tard par M. Passy, ne devait produire également que cette somme. Quinze cents communes, comprenant environ cinq millions d'habitants, auraient à supporter, dans le système de M. Sauteyrą, un impôt direct de 150 millions pour faire face aux dépenses municipales. Ne serait-ce pas une anomalie étrange? A la vérité, on pourrait étendre ce système à toute la France, et peut-être devait-on dire avec M. Léon Faucher, que le but de la proposition était d'introduire l'impôt sur le revenu par la petite porte. Mais, sans parler des motifs généraux qui s'opposent à l'établissement d'un impôt unique, l'impôt sur le revenu a contre lui la difficulté de sa perception: il sera toujours impossible d'arriver à une évaluation exacte de la richesse individuelle.

Comme on pouvait s'y attendre, la proposition fut repoussée à une forte majorité (6 février).

On peut faire sans doute de fortes objections au régime de l'octroi; mais encore faudrait-il, en réclamant sa suppression, substituer des ressources sérieuses à celles qu'on veut enlever aux budgets communaux. C'est là une objection capitale, et qui, jusqu'à présent, reste sans réponse. Avant de détruire un impôt et de jeter la perturbation dans les finances d'un pays, n'est-ce pas un devoir de bon sens et de patriotisme de présenter les moyens de suppléer au déficit ? Sans doute il faut tout faire pour procurer la vie à bon marché aux classes ouvrières; mais ne serait-ce pas leur retirer d'un côté ce qu'on leur donnerait de l'autre, que de frapper dans leur existence ces nombreuses institutions municipales dont profite surtout le pauvre? Toutefois l'Assemblée n'avait accompli que la moitié de sa tâche en faisant actede prudence ; peut-eêtr eût-elle dû en même temps tenir compte des justes cri

tiques adressées au régime de l'octroi, et se préoccuper des modifications utiles qui pouvaient y être apportées.

Fraudes, falsifications.-Parmi les propositions mieux accueillies, et dont l'objet était le progrès du commerce et la moralisation de l'industrie, nous devons citer en première ligne une proposition dont nous avons déjà parlé ailleurs sous un autre point de vue. C'est la proposition relative à une répression plus efficace des fraudes commises dans le débit des marchandises et notamment des denrées alimentaires. On sait quelles indignes sophistications sont pratiquées par certaines avidités mercantiles, sur les produits le plus usuels. Cette plaie, l'une des plus honteuses de notre commerce, réclame un remède énergique, que la proposition prise en considération, ne donnait qu'en partie.

Il est triste, sans doute, d'obliger à la loyauté, à la bonne foi au nom de la loi; mais mieux vaut recourir à ce inoyen extrême que de laisser l'honneur et la santé publique compromis par d'odieuses altérations de marchandises.

C'est dans cette déloyauté du fabricant et de l'expéditionnaire qu'il faut chercher une des causes les plus actives de la décadence de notre commerce maritime: car la bonne foi est un élément de succès dans les transactions commerciales. Il est pénible de le dire, mais le commerce français ne jouit pas à l'étranger d'une réputation de probité comparable à celle dont sont honorés les négociants anglais. Des scandales nombreux, des abus de confiance déplorables ont fait naître et maintiennent cette mauvaise réputation. Une loi qui assurerait aux négociants la propriété exclusive de leur marque de fabrique ferait sans doute disparaître ces abus qui sont une honte, en même temps qu'un mauvais calcul.

Péches maritimes.

Un projet de loi tendant à modifier la législation de 1841 sur les grandes pêches maritimes, avait été préparé l'année précédente.

Ce projet fut soumis, le 21 janvier, à l'examen des bureaux et fut généralement approuvé, mais ne put aboutir. Le système des primes fut défendu, surtout au point de vue maritime. La pêche de la morue, de la baleine, du cachalot, emploie environ douze

mille excellents marins, qui seraient au besoin une pépinière précieuse pour notre marine nationale.

Les questions relatives au travail agricole et à la situation des classes qui en vivent, soulevèrent aussi quelques discussions utiles, mais plus souvent peut-être des attaques passionnées et systématiques.

Baux à ferme. C'était, par exemple, l'honorable M. Morellet qui demandait qu'on interdit, dans les baux à ferme, toute clause tendant à charger le fermier des cas fortuits, et qu'on établît au profit du fermier ou du colon un droit à la plus-value du fonds. La première disposition était une atteinte au grand principe de la liberté des conventions, qui domine toute notre législation économique; elle eût, d'ailleurs, tourné au détriment du fermier, car si la clause qu'on voulait supprimer a, pour le propriétaire, l'avantage de lui garantir la fixité du revenu, elle a, pour le premier, l'avantage de lui procurer une diminution de loyer proportionnelle aux risques qu'il court. Quant au droit à la plusvalue du fonds, il eût conduit à cette singulière conséquence de forcer le propriétaire à accepter et à payer des travaux exécutés sans consulter son goût et ses convenances. M. Barre fit entendre quelques paroles pleines de sens, et la proposition de M. Morellet fut repoussée par un scrutin qui ne lui donna que 104 adhérents (23 janvier).

Législation des cours d'eau. - Prenons, parmi cent autres, un exemple de ces utiles et modestes problèmes, dont la solution. eût donné plus de bien-être à la France que la plus brillante discussion politique. Délimiter le lit des fleuves et rivières et les alluvions artificielles, régler les intérêts de nombreux propriétaires riverains, ce serait là rendre un grand service à la propriété, à l'agriculture, à la viabilité du pays. Depuis longtemps la question est à l'étude. Elle a soulevé, avant 1848, de longs et stériles débats à la Chambre des députés, à la Chambre des pairs.

Des pétitions multipliées ont été adressées aux diverses Assemblées qui se sont succédé sous la monarchie et sous la république.

Le 29 juillet, la question se représentait encore. La dix-huitième commission d'initiative parlementaire proposait à l'Assem

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