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CHAPITRE II.

SOURDES HOSTILITÉS.

Les esprits se calment, retour apparent à la conciliation.

Reprise des

travaux, encore la contrainte par corps, glorification de M. Baze par luimême. — L'embarras de la victoire, où prendre un ministère? - L'opinion, la presse anglaise, prévisions. Les proscrits de Londres. - Fin de la crise, message présidentiel, ministère extra-parlementaire, essai d'interpellations, explications du cabinet. La coalition se dissout. Opinion publique, mécontentement en province, besoin de calme. - Germes nouveaux d'hostilité, on réclame un ministère définitif, les parlementaires rétrospectifs, la révision de la Constitution. Campagne nouvelle contre le pouvoir exécutif, composition hostile des bureaux de l'Assemblée, la dotation, commission hostile, rapport de M. Piscatory, la forme et le fond, on a hâte d'engager le combat, discours de M. de Royer, intervention brillante de M. de Montalembert, témoignage désintéressé, les coalitions et leurs chefs, allusions poignantes, le principe d'autorité, la cause du pays, le triomphe du socialisme, discours de M. Piscatory, vote de rejet. — Résultats du vote, séparation plus profonde entre les deux pouvoirs, le pouvoir exécutif plus populaire. Les divers partis, réunion élyséenne, l'alliance continue entre les légitimistes et la montagne, manifeste de M. le comte de Chambord.

L'Assemblée cependant, mal remise de ses émotions, continuait avec distraction ses travaux. Elle s'occupait, non sans quelque indifférence, d'une question naguère brûlante, celle de l'exercice de la contrainte par corps contre les représentants du peuple. Seuls, MM. Madier de Montjau et Bac mettaient quelque chaleur à réclamer, pour les représentants du peuple, le privilége de ne pas payer leurs dettes.

Le projet de la commission fut adopté à la majorité de 426 voix contre 235. Ce projet n'autorisait l'incarcération d'un député que par suite d'une requête adressée au président de l'Assemblée et d'un vote affirmatif. La déchéance du mandat serait

entraînée par la non libération dans le délai de trois mois (21 janvier). Le seul incident remarquable de la discussion fut une glorification de M. Baze par lui-même. Le récit des exploits de l'intrépide questeur fut accueilli par l'Assemblée avec quelque impatience (1).

La pensée du Parlement était ailleurs. Embarrassée, inquiète de sa victoire, la majorité interrogeait avidement les échos de l'Elysée. Quel ministère sortirait de cette crise? Et ce ministère serait-il capable de rallier la majorité? Beaucoup avaient voté par entraînement qui se refusaient à perpétuer la coalition. Ils n'avaient vu dans l'amendement Sainte-Beuve qu'une leçon à donner au pouvoir, non un plan de campagne.

Une conséquence redoutée de l'échec qu'on avait fait subir au ministère, c'était la formation d'un ministère pris dans la gauche. M. de Lamartine, disaient les uns, M. Billault, disaient les autres, avait été appelé auprès du Président.

Ainsi se vérifiaient les jugements de l'opinion européenne sur la lutte engagée entre les deux pouvoirs. Avec moins de sagesse, en effet, le pouvoir exécutif n'eût-il pas été naturellement entraîné vers les partis extrêmes?

On sait combien il est difficile de juger une situation dans laquelle on est plongé. On voit mieux de haut et de loin. Aussi, déjà dans ces premiers jours de l'année, la presse étrangère entrevoyait les résultats futurs de la lutte commençante. Les journaux anglais, des nuances les plus opposées, proclamaient à l'avance le vainqueur du tournoi. Leur raison, plus calme et moins engagée dans les faits, devançait l'avenir. Il est curieux de relire à distance ces avertissements alors incompris, ces prophéties si nettes et si peu écoutées.

Tantôt c'était le Morning-Herald qui disait :

Lorsque des mesures extrêmes deviennent nécessaires, a dit de Retz, elles ne sont plus que des mesures de sûreté, et celui qui sait y persévérer fait nonseulement preuve de courage, mais encore de sagesse. Les choses sont arrivées à un tel point dans l'Etat voisin, que M. L.-N. Bonaparte, l'élu de six millious de Français, était nécessairement forcé ou de paraître gouverner avec un vice

(1) Nous reviendrons avec plus de détail sur cette discussion dans une autre partie de l'Annuaire.

roi plus puissant que lui, ou de revendiquer son indépendance et sa liberté contre une usurpation arbitraire et inconstitutionnelle.

M. Bonaparte a choisi ce dernier parti, qui, sous le rapport politique, nous paraît à coup sûr le plus sage et le plus populaire. Il a donc déclaré qu'il fallait que ses ministres destituassent le général Changarnier ou qu'ils quittassent immédiatement leurs portefeuilles. Cet acte de fermeté et d'intelligence sera, nous l'espérons, non-seulement compris, mais encore applaudi par la plus grande partie de la nation française. Exécuté avec vigueur, il est destiné à relever le Président d'au moins cinquante pour cent dans l'estime de son pays, et en même temps fera honneur à son caractère auprès des peuples civilisés et des gouvernements intelligents.

Il reste à savoir maintenant si le Président, qui a montré du courage, de la résolution et de l'énergie, trouvera un ministère assez ferme pour mener à bonne fin ses desseins. Nous l'espérons, et sommes sûrs que sur trente millions de Français, vingt-cinq au moins se rallieront autour de l'homme qui vient de faire preuve de franchise et de fermeté, dans une crise qui mettait en péril la capitale, la paix et le crédit public.

Un journal démocratique, le Daily-News donnait raison au prince contre cette « coalition de politiques surannés, inconstants, incapables de s'entendre entre eux, et en même temps. résolus de ne permettre à personne de gouverner. »

N'était-ce pas là ce même mot adressé autrefois au chef de l'opposition parlementaire : « On ne peut gouverner ni avec vous, ni sans vous. » C'était le même mot, c'était le même homme. Le journal anglais ajoutait :

En favorisant l'élection de Louis-Napoléon, les notables parlementaires ont prévu sa conduite, et en lui faisant aujourd'hui cette opposition, ils se rendent coupables d'avoir élevé un président pour leur intérêt personnel du moment et qu'ils avaient le projet de combattre et de renverser plus tard. Par cette politique, les notables parlementaires ont répandu de toutes parts les semences de la guerre civile. Ils ont sacrifié Louis-Philippe et sa dynastie à leur vanité personnelle; ils en font autant avec Louis-Napoléon, mettant, aux deux époques, leur pays en convulsion et en syncope. Ces hommes sont, à nos yeux, les plus coupables et les plus insensés de toute l'histoire. Ils ont mis forcément LouisNapoléon dans une situation sans autre issue que de détruire l'Assemblée ou d'être détruit par elle.

Et le Times disait de son côté :

En s'efforçant de courber la tête du Président de la République sous le pouvoir militaire du général en chef, les meneurs ne font que se préparer un' joug pour eux-mêmes et pour le pays. Mais ces personnages sont notoirement à la tête de réunions organisées qui n'attendent que l'occasion favorable pour

faire une révolution dans l'intérêt de leur faction particulière, et le Président a peu de raisons, soit d'après le passé, soit pour l'avenir, de compter sur le caractère désintéressé de leurs conseils.

L'autorité du pouvoir exécutif est perdue si elle capitule dans cette crise.

Ce qu'il y eut de plus étrange, ce fut de voir tourner contre le pouvoir exécutif cette unanimité de la presse anglaise ; ce fut d'entendre des hommes politiques d'une valeur incontestée, M. Dufaure par exemple, accuser le Président de la République d'exercer une action sur ces feuilles si sévères pour la coalition parlementaire. Singulière ignorance de l'organisation de la presse britannique que de la croire à la disposition d'un gouvernement quelconque, intérieur ou étranger!

Pour mieux juger encore le triste effet du vote de coalition, on put consulter sur le dernier incident parlementaire l'opinion du socialisme militant. L'émigration de Londres tressaillit de joie à la nouvelle de l'échec infligé au ministère. Toutefois, la Voix du Proscrit, journal dirigé alors par M. Ledru-Rollin, reprocha à la coalition d'avoir « conclu au plus bas contre les ministres après avoir traîné le grand responsable, M. Bonaparte, dans toutes les accusations. >> Bientôt, au reste, ajoutait cette feuille, le peuple saurait se faire justice, punir ses éternels ennemis et fonder enfin la République démocratique avec toutes ses conséquences. Ụn éloge de Robespierre, « le glorieux martyr de thermidor, » expliquait suffisamment ce dernier mot.

La crise ministérielle ne fut provisoirement terminée que le 24 janvier. Le Président de la République fit connaître à l'Assemblée sa résolution par un Message qui pouvait en être considéré comme l'exposé des motifs. Le chef du pouvoir exécutif caractérisait en termes précis la situation où l'avait placé le vote récent de la Chambre. Pour faire un nouveau ministère, il ne pouvait en prendre les éléments dans une majorité née de circonstances exceptionnelles, et les efforts qu'il avait faits pour le reconstituer avec des noms pris dans la minorité étaient restés sans succès. Il avait dû former un ministère de transition, composé d'hommes honorables et connus par les services qu'ils avaient rendus au pays dans des fonctions secondaires. Tous étaient pris en dehors de l'Assemblée. La mission qu'ils avaient reçue était

plus administrative que parlementaire; ils étaient chargés d'expédier les affaires sans préoccupation de parti.

Voici, au reste, les termes mêmes du Message:

<< Paris, 24 janvier 1851.

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» A Monsieur le Président de l'Assemblée législative.

» Monsieur le Président,

L'opinion publique, confiante dans la sagesse de l'Assemblée et du Gouvernement, ne s'est pas émue des derniers incidents. Néanmoins, la France commence à souffrir d'un désaccord qu'elle déplore. Mon devoir est de faire ce qui dépendra de moi pour en prévenir les résultats fâcheux.

>> L'union des deux pouvoirs est indispensable au repos du pays; mais comme la Constitution les a rendus indépendants, la seule condition de cette union est une confiance réciproque.

» Pénétré de ce sentiment, je respecterai toujours les droits de l'Assemblée en maintenant les prérogatives du pouvoir que je tiens du peuple.

>> Pour ne point prolonger une dissidence pénible, j'ai accepté, après le vote récent de l'Assemblée, la démission d'un ministère qui avait donné au pays, à la cause de l'ordre des gages éclatants de son dévouement. Voulant toutefois reformer un cabinet avec des chances de durée, je ne pouvais prendre ses éléments dans une majorité née de circonstances exceptionnelles, et je me suis vu à regret dans l'impossibilité de trouver une combinaison parmi les membres de la minorité, malgré son importance.

>> Dans cette conjoncture, et après de vaines tentatives, je me suis résolu à former un ministère de transition, composé d'hommes spéciaux, n'appartenant à aucune fraction de l'Assemblée et décidés à se livrer aux affaires sans préoccupation de parti. Les hommes honorables qui acceptent cette tâche patriotique auront des droits à la reconnaissance du pays.

» L'administration continue donc comme par le passé. Les préventions se dissiperont au souvenir des déclarations solennelles du Message du 12 novembre. La majorité réelle se reconstituera; l'harmonie sera rétablie sans que les deux pouvoirs aient rien sacrifié de la dignité qui fait leur force.

>> La France veut avant tout le repos, et elle attend de ceux qu'elle a investis de sa confiance une conciliation sans faiblesse, une fermeté calme, l'impassibilité dans le droit.

» Agréez, M. le président, l'assurance de mes sentiments de haute estime.

» Signé: L.-N. BONAPARTE. >>

Voici quelle était la composition du nouveau ministère :

Guerre. Le général Randon.

Intérieur. M. Vaïsse, préfet du Nord.

Finances. M. de Germiny, receveur général à Rouen.
Travaux publics. M. Magne.

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