Page images
PDF
EPUB

ment acquise. On put bientôt prévoir quel en serait l'effet sur le scrutin auquel la nation allait être appelée.

Par exemple, Mgr Eugène, évêque de Marseille, écrivait à un journal de cette ville : « A mes yeux, les plus graves intérêts de la religion et de la société exigent qu'on ne s'abstienne pas. Plusieurs de mes vénérables collègues dont l'opinion m'est connue, pensent qu'il faut, dans cette circonstance critique, donner son appui au pouvoir chargé de nous défendre. Je n'en connais pas un seul qui soit d'un avis contraire. >>

Le 12 décembre, Mgr l'évêque de Chartres engageàit, par une circulaire, les membres de son clergé à répondre par un oui à la question posée par le Président de la République; il y disait :

« La Providence ne nous donne, en ce moment, que ce moyen de salut. Il est évident que si Bonaparte était rejeté, la France ne trouverait plus qui lui substituer. Le peuple, trompé par des intrigues et de fausses suggestions, pourrait faire un choix détestable, qui plongerait notre pays dans de nouveaux et incomparables malheurs.

» Nous avons évité le 2 mai 1852, qui ouvrait à la France un abîme effroyable. Il serait insensé de ramener cette chance de ruine et de mort.

>> Tout ce que nous apprenons ces jours-ci des abominations, des horreurs et des excès les plus sauvages qui viennent d'avoir lieu, sont en petit un échantillon et un crayon anticipé des monstruosités qui auraient été commises en grand et dans toute la France, si Dieu avait permis le triomphe du socia lisme. »

Ces dispositions sympathiques du clergé entraînèrent un certain nombre de légitimistes, qui, à l'exemple de M. de Montalembert, et se séparant en cela des parlementaires et de M. de Falloux, résolurent de voter pour celui en qui ils voyaient le sauveur de la France.

Ainsi le Président de la République rattachait à sa cause les grands intérêts agricoles par la sécurité, par ses tendances morales et religieuses. Les populations des campagnes et la bourgeoisie des petites villes étaient depuis longtemps saisies par le prestige de son nom; le succès de la veille, les espérances du lendemain venaient encore accroître cette influence. L'armée relevée à ses propres yeux, replacée au rang qu'elle doit occuper dans la civilisation moderne, associée par sa victoire aux actes du

[ocr errors]

Président, contractait envers lui chaque jour une dette nouvelle de reconnaissance: décorations, récompenses des anciens services et des services nouveaux, éloges flatteurs étaient versés sur elle en abondance. Restaient les classes industrielles et la bourgeoisie parlementaire et lettrée. De ce dernier côté, il n'y avait pas de sympathies bien vives à attendre. Ceux qui n'étaient qu'indifférents se refusaient à croire que le Président de la République personnifiât un ordre d'idées politiques capable de servir de base à un établissement durable. Ceux-là du moins considéraient l'acte du 2 décembre comme la solution provisoire d'une difficulté sériense. Mais d'autres sentaient que le régime nouveau ne favoriserait pas bien ardemment les libertés politiques et l'usage de la parole et de la plume. Un instinct secret avertissait les anciens amis du régime constitutionnel que la représentation nationale, sous le 'continuateur des traditions de l'empire, descendrait à un rang assez modeste. Quant à la presse quotidienne, presque tous ses organes avaient reconstitué leur rédaction et étaient rentrés sur le terrain de la polémique, mais avec une discrétion significative. Les conditions de la presse allaient changer: aux discussions violentes, aux luttes stériles, allait succéder la nécessité d'études sévères et consciencieuses sur les besoins et les intérêts fondamentaux de la société moderne.

Quant aux classes industrielles, elles purent, dès les premiers jours, comprendre qu'une ère nouvelle s'ouvrait pour les grandes entreprises.

Cinq jours après la victoire du 4 décembre, et lorsque grondaient encore les bruits lointains des insurrections départementales, parut un décret portant concession du chemin de fer de Lyon à Avignon. Le lendemain 10, un autre décret concédait le chemin de fer de ceinture.

Le premier de ces décrets assurait enfin l'exécution d'une ligne que le gouvernement parlementaire eût dù donner plus tôt à la France. Combien les difficultés de cette affaire n'avaient-elles pas jusque-là pesé sur nos finances? Elle absorbait les ressources du trésor, et surchargeait le budget de crédits extraordinaires qui, tout considérables qu'ils étaient, ne suffisaient pas cependant pour achever promptement un chemin aussi important pour tous les

grands intérêts nationaux. Aujourd'hui, la situation allait changer comme par magie. Non-seulement l'Etat n'aurait plus rien à fournir pour la continuation du chemin, mais il rentrerait dans les avances qu'il avait faites, et cette ligne, au lieu de figurer au budget des dépenses, prendrait place au budget des recettes (voyez à l'Appendice, p. 77).

Pour le chemin de fer de ceinture, son établissement répondait à l'intérêt politique de la défense du pays, à l'intérêt commercial, agricole et manufacturier des départements, à l'intérêt général des chemins de fer et des capitaux qu'ils représentent, enfin à l'intérêt de politique intérieure et d'administration centrale.

Un autre décret du 15 décembre déclara d'utilité publique l'exécution des travaux de construction de la Bourse de Marseille. Il serait pourvu aux frais au moyen 1° d'une subvention de 600,000 fr. sur les fonds de la ville; 2o des ressources que possédait la chambre de commerce de Marseille, évaluées à 2 millions 400,000 fr.; et 3o d'un emprunt que cette chambre était autorisée à contracter jusqu'à concurrence de deux millions de francs.

A tous ces efforts tendant à donner un nouvel essor au travail, il faut ajouter 10 l'attribution d'un crédit de 400,000 fr. aux travaux de construction des nouveaux bâtiments du ministère des affaires étrangères; 2o la distribution faite, par M. le préfet de la Seine, de 400,000 fr. de peintures et de sculptures. Plus de quarante artistes distingués furent appelés à prendre part à cette répartition. Les travaux à exécuter consistaient en statues, plafonds, bas-reliefs, boiseries et vitraux pour la décoration de la nouvelle église Sainte-Clotilde et des salles des fêtes à l'hôtel de ville; 5o l'ouverture d'un crédit de 2 millions 100,000 fr. au ministre des travaux publics pour l'achèvement du Louvre.

Déjà ces travaux entrepris sur une vaste échelle commençaient à répandre d'abondants salaires parmi les ouvriers et imprimaient à toutes les transactions une activité renaissante. Le spectacle de ces efforts et de ce mouvement fécond n'allait pas tarder à relever le moral des populations. La production industrielle allait prendre un essor tout nouveau. Pendant les deux dernières

années, il s'était fait, pour ainsi dire, un vide dans la consommation française. La production, retrouvant quelque sécurité, s'empressa de le combler. L'exportation, presque complétement interrompue depuis février, avait offert cette année un aliment plus. considérable au travail national; mais lorsque l'équilibre entre la production et la consommation serait rétabli, il faudrait nécessairement créer des débouchés nouveaux à cette activité surabondante.

On se tournerait alors avec plus d'ardeur que jamais vers les grands travaux d'utilité publique, et particulièrement vers les chemins de fer.

Quelques jours écoulés entre le moment où la France se rassit dans le calme et la fin de l'année, ne sauraient permettre d'apprécier les résultats de la situation nouvelle sur les finances du pays. Disons seulement que l'élévation subite des fonds publics et des valeurs industrielles, la diminution de l'encaisse métallique de la Banque de France et l'accroissement de la circulation des billets ne tardèrent pas à signaler une reprise dans les affaires et un retour à la confiance.

A défaut de documents réguliers constatant, dans les délais ordinaires, la situation des finances à la fin de l'année, nous empruntons quelques résultats généraux d'un rapport présenté par M. Achille Fould au Président de la République, sur les finances de la France (voyez le texte à l'Appendice).

Dans ce document, les découverts des exercices antérieurs à 1851 étaient évalués à 545 millions. Quant à l'année 1851, l'exercice ne devant être clos qu'au 31 août suivant, le chiffre des dépenses n'avait pu être évalué qu'approximativement. Il n'y avait que le chiffre des recettes qui pût être fixé, dès cette époque, avec précision. Les revenus de cet exercice, évalués par le budget à 1 milliard 571 millions, resteraient de 11 millions au-dessous de ces prévisions; ils ne dépasseraient pas le chiffre de 1 milliard 360 millions, et ils produiraient 2 millions de moins que l'année précédente.

Cette diminution, effet évident des agitations politiques, s'était manifestée surtout dans les trois derniers mois de l'année. En effet, les neuf premiers mois dépassaient de 12 millions ceux

de la période correspondante pendant l'année antérieure, et cette augmentation avait été complétement absorbée par la perte signalée dans le dernier trimestre.

Il ressortait des résultats constatés dans les différentes branches du revenu que les événements politiques avaient principalement affecté les droits de douane et les droits de timbre et d'enregistrement, c'est-à-dire ceux qui grèvent les transactions des classes aisées; tandis qu'ils n'avaient pas empêché l'augmentation des revenus provenant des contributions indirectes, c'està-dire de ceux qui attestent le plus positivement le bien-être et l'activité des classes ouvrières.

En comparant le chiffre des recettes ainsi fixé dans le rapport avec le chiffre approximatif des dépenses, le ministre évaluait à 86 millions le découvert de l'exercice 1851, ce qui porterait l'ensemble des découverts à 630 millions.

Quelle était la part pour laquelle les événements du 2 décembre figuraient dans les charges du budget? Selon le rapport, elle se réduisait à une dépense extraordinaire de 500,000 fr., savoir 300,000 fr. de crédits supplémentaires sur les fonds secrets de police générale, et 200,000 fr. pour la réparation des dommages causés aux propriétés privées et aux personnes. Le ministre affirmait que tous les autres crédits ouverts par décrets depuis cette époque, en dehors des prévisions du budget, avaient pour objet des dépenses de service et d'utilité publique indépendantes des événements. Le rapport ajoutait que la plupart de ces crédits avaient fait l'objet de propositions de loi ou avaient été compris dans les prévisions du gouvernement communiquées à la commission du budget de l'Assemblée.

Les découverts signalés par le ministre provenaient en trèsgrande partie, selon lui, de la dépense des travaux publics, et principalement des frais causés par la construction des chemins de fer, et qui, par conséquent, ne resteraient pas entièrement à la charge de l'Etat, puisqu'ils seraient réduits du montant des sommes dues par les Compagnies concessionnaires.

Quant à l'exercice de 1852, la dissolution de l'Assemblée législative ayant précédé le vote définitif du budget, il ne restait plus que le projet avec les modifications que la commission lui

« PreviousContinue »