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Dès le 14 février, un certain nombre de membres de l'Assemblée, pénétrés des dangers de la situation, avaient formé, des débris de l'ancienne réunion de la rue des Pyramides, une réunion nouvelle, sous la triple présidence de MM. Baroche, Léon Faucher et Beugnot. Cette réunion, dite élyséenne, devint dès ce jour dans l'Assemblée, le noyau compact d'un parti.

Ailleurs, continuait de se manifester par des actes une alliance bizarre, impossible. Le 20 février, la nomination de la commission de la loi départementale et municipale donnait ce résultat étrange: Président, M. le général de Lamoricière; vice-président, M. de Laboulie; secrétaire, M. de Larcy; vice-secrétaire, M. Farconnet. Au total, deux légitimistes et deux montagnards de nuance diverse. Si l'on rapprochait ces concessions mutuelles des tendances hautement avouées de ces deux partis, on ne pouvait assez s'étonner d'une entente aussi complète entre des principes aussi ennemis. Ainsi, un des organes de la Montagne se réjouissait de voir se consommer une séparation définitive entre les deux pouvoirs, et voyait un triomphe pour la République dans ce spectacle de désordre et de déchirement.

D'autre part, un nouveau manifeste politique, parti de Venise, condamnait par la loyale affirmation de principes invariables, la conduite et les alliances présentes des légitimistes parlementaires. M. le comte de Chambord y atténuait, non sans habileté, les récentes témérités du manifeste de Wiesbaden et s'engageait à donner de sérieuses garanties aux principes modernes d'égalité et de liberté sur la forte base de l'hérédité monarchique.

Voici, dans sa teneur complète, ce document important, qui parut sous la forme d'une lettre de félicitations adressée à M. Berryer, à l'occasion de son dernier discours.

» Mon cher Berryer,

« Venise, le 23 janvier 1851.

>> J'achève à peine de lire le Moniteur du 17 janvier, et je ne veux pas perdre un instant pour vous témoigner toute ma satisfaction, toute ma reconnaissance pour l'admirable discours que vous avez prononcé dans la séance du 16.

» Vous le savez, quoique j'aie la douleur de voir quelquefois mes pensées et mes intentions dénaturées et méconnues, l'intérêt de la France, qui pour moi passe avant tout, me condamne souvent à l'inaction et au silence, tant je crains

de troubler son repos et d'ajouter aux difficultés et aux embarras de la situation actuelle ! Que je suis donc heureux que vous ayez si bien exprimé des sentiments qui sont les miens et qui s'accordent parfaitement avec le langage, avec la conduite que j'ai tenus dans tous les temps! Vous vous en êtes souvenu; c'est bien là cette politique de conciliation, d'union, de fusion qui est la mienne, et que vous avez si éloqueminent exposée; politique qui met en oubli toutes les divisions, toutes les récriminations, toutes les oppositions passées, et veut pour tout le monde un avenir où tout honnête homme se sente, comme vous l'avez si bien dit, en pleine possession de sa dignité personnelle.

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Dépositaire du principe fondamental de la monarchie, je sais que cette monarchie ne répondrait pas à tous les besoins de la France, si elle n'était en harmonie avec son état social, ses mœurs, ses intérêts, et si la France n'en reconnaissait et n'en acceptait avec confiance la nécessité. Je respecte mon pays autant que je l'aime ; j'honore sa civilisation et sa gloire contemporaine autant que les traditions et les souvenirs de son histoire. Les maximes qu'il a fortement à cœur et que vous avez rappelées à la tribune, l'égalité devant la loi, la liberté de conscience, le libre accès pour tous les mérites à tous les emplois, à tous les honneurs, à tous les avantages sociaux, tous ces grands principes d'une société éclairée et chrétienne me sont chers et sacrés comme à vous, comme à tous les Français. Donner à ces principes toutes les garanties qui leur sont nécessaires par des institutions conformes aux vœux de la nation, et sonder, d'accord avec elle, un gouvernement régulier et stable, en le plaçant sur la base de l'hérédité monarchique et sous la garde des libertés publiques, à la fois fortement réglées et loyal ment respectées ; tel serait l'unique but de mon ambition. J'ose espérer qu'avec l'aide de tous les bons citoyens, de tous les membres de ma famille, je ne manquerai ni de courage ni de persévérance pour accomplir cette œuvre de restauration nationale, seul moyen de rendre à la France ces longues perspectives de l'avenir, sans lesquelles le present, même tranquille, demeure inquiet et frappé de stérilité.

» Après tant de vicissitudes et d'essais infructueux, la France, éclairée par sa propre expérience, saura, j'en ai la ferme confiance, connaître elle-même où sont ses meilleures destinés. Le jour où elle sera convaincue que le principe traditionnel et séculaire de l'hérédité monarchique est la plus sûre garantie de la stabilité de son gouvernement. du développement de ses libertés, elle trouvera en moi un Français dévoué, empressé de rallier autour de lui toutes les capacités, tous les talents, toutes les gloires, tous les hommes qui, par leurs services, ont mérité la reconnaissance du pays.

>> Je vous renouvelle encore, mon cher Berryer, tous mes remercîments, et vous demande de continuer, toutes les fois que l'occasion vous en sera offerte, à prendre la parole comme vous venez de le faire avec tant de bonheur et d'à-propos. Faisons connaître de plus en plus à la France nos pensées, nos vœux, nos loyales intentions, et attendons avec confiance ce que Dieu lui inspirera pour le salut de notre commun avenir.

» Comptez toujours, mon cher Berryer, sur ma sincère affection.

» Signé: HENRI, »

CHAPITRE III.

sée.

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LES PARTIS A L'OEUVRE.

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Le parti républicain, ses divisions, les deux Montagnes, églises particulières, les proscrits, démocratie cosmopolite; l'idée démagogique allemande, organisation du communisme en Europe; direction véritable de la propagande anarchique en France. L'amnistie réclamée à l'Assemblée Nationale; anniversaire du 24 février, désordres à Mâcon, à Poligny, à Montpellier, à Angoulême, à Marsillargues; manifestation anarchique de la garde nationale de Strasbourg, démission collective des officiers, rassemblements, dissolution et désarmement; interpellations à ce sujet, ordre du jour, - Banquet des égaux à Londres, scission entre les socialistes et les révolutionnaires, M. Louis Blanc et l'État serviteur, M. A. Blanqui, toast sauvage, qui a du fer a du pain. Les réfugiés en Suisse. L'amnistie repousMenées des napoléoniens, tentative avortée. Les partis monarchiques, réapparition de la proposition Creton, M. Berryer repousse l'abrogation de la lui d'exil; M. Marc Dufraisse, apologie du régicide, indignation de l'Assemblée; ajournement de la proposition Creton. fusion, attitude significative des princes d'Orléans. mentaire, M. Berryer propose le re mboursement des 45 centimes, propositions analogues; proposition de M. de Larochejacquelein relative aux officiers démissionnaires. La presse religieuse, mandement de monseigneur l'archevêque de Paris, lettre pastorale de monseigneur l'évêque de Chartres, monseigneur l'archevêque de Paris la défère au concile provincial. Menaces à court terme, la Voix du Proscrit, exhortation à l'esprit révolutionnaire en Ita ie et en Autriche; essai de révolte armée en France, les passions politiques et religieuses dans le midi, sociétés secrètes, affilia tions découvertes; racine des sociétés secrètes, comité révolutionnaire de Londres, union des communes, communisme pur, doctrines sanguinaires; organisation d'une propagande à Paris, Bulletins du Comité de résistance ; arrestation de quelques meneurs. Caractère de l'insurrection future, disLes théoriciens dé

L'utopie de la Tactique parle

sensions entre les chefs, Barbésiens et Blanquistes. mocrates, comité parisien pour la révolution espagnole, les blasphèmes de l'apostat Gavazzi, M. Ledru-Rollin et J.-J. Rousseau.

Exploitation ha

bile des folies révolutionnaires, le spectre rouge, jaquerie ou dictature.
L'opinion publique à Paris, apathie profonde.
meute, suspension du cours de M. Michelet.

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Tentative avortée d'éL'euse guement officiel anarchie mo.ale, professeurs d'athéisme; réaction religieuse, progrès de l'enseignement catholique.

Ce serait retracer d'une façon bien incomplète l'histoire des

partis en France, que d'en prendre les traits dans l'Assemblée Nationale seulement, ou dans les régions officielles du Pouvoir exécutif. L'administration à tous ses degrés, la presse sous toutes ses formes, l'opinion publique dans ses rapports avec les sentiments et les intérêts des masses ou avec les passions et les calculs des partis militants, voilà les sources véritables d'une histoire de la France pendant cette année si féconde en agitations morales et en événements imprévus.

Au moment où se dessinait, comme on vient de le voir, l'antagonisme des deux pouvoirs, un seul parti travaillait avec éclat pour la réalisation d'un avenir prochain. Le parti républicain, ou pour mieux dire le parti socialiste, car celui-ci avait absorbé celui-là, nouait avec une patiente énergie les fils du tissu, dans lequel il comptait, à un jour donné, envelopper la France. Ce n'est pas dans les régions parlementaires qu'il eût fallu chercher la direction suprême de cette conspiration savante. Car, là aussi, triste signe des temps, le parti extrême lui-même était divisé. On y comptait deux Montagnes, l'une composée de vingt-cinq, l'autre de quatre-vingt-cinq membres, l'une politique surtout, l'autre exclusivement socialiste. Encore ne faut-il pas oublier quelques églises particulières comptant presque autant de chefs que de soldats. Et, en dehors de l'Assemblée, le parti des proscrits, fier de ses épreuves, les considérant comme des titres, prétendant à gouverner de Londres l'ensemble des mouvements de la démocratie et suivant d'un œil jaloux et sévère, ceux qu'il appelait dans la Voix du Proserit; a Les gagistes du suffrage universel, »

Enfin, pour compléter le tableau, une sorte de démocratie européenne, mobile, circulante, comme disait lord Palmerston (circulating); c'était comme l'armée cosmopolite de la révolution. moderne.

Parmi les émigrés du Coblentz révolutionnaire, les Allemands avaient sur tous le mérite de la sincérité. Ils allaient franchement jusqu'au bout de l'idée démagogique. On le vit par un compte-rendu de l'autorité centrale, comité secret établi à Londres. Cette espèce de rapport était adressé à une association secrète com muniste, qui étendait ses ramifications sur toute la

gurface de l'Allemagne. Cette association s'était donné pour but d'organiser les prolétaires révolutionnaires, la domination exclusive des travailleurs. L'autorité centrale était comme la tête et l'âme de cette vaste machine.

C'était cet esprit révolutionnaire européen, qui dirigeait, en réalité, l'organisation des sociétés secrètes en France, la propagande anarchique dans les villes et dans les campagnes. La démocratie parlementaire n'était le plus souvent qu'un écho affaibli de ces doctrines souterraines, qu'un instrument provisoire de ce parti sans nom. Le mot d'ordre parti d'en bas n'arrivait que plus tard à l'Assemblée.

C'est ainsi qu'à l'approche de l'anniversaire de la révolution dernière, l'amnistie dut être réclamée, soit comme un moyen de soulever une fois de plus les orages de la tribune, soit comme une occasion de rappeler aux souvenirs et aux espérances, le personnel éprouvé des révolutions passées et futures.

"Le 21 février, cent-soixante-six représentants, appartenant aux nuances les plus marquées de la gauche et de l'extrême gauche, déposèrent une proposition tendant à accorder une amnistie complète à tous les condamnés pour faits politiques depuis le 24 février 1848.

Trois jours après, l'anniversaire du 24 février servait de prétexte à des manifestations qui commentaient clairement la proposition parlementaire. A Paris, l'autorité centrale était trop énergiquement préparée pour qu'on osât rien tenter : il n'en fut pas de même dans quelques départements.

A Mâcon, l'anniversaire fut l'occasion de regrettables désordres. Malgré les injonctions formelles de l'autorité, plusieurs banquets eurent lieu, auxquels avaient été invités les meneurs les plus remuants des communes rurales environnantes de Saône-et-Loire et même de l'Ain. Les salles de ces banquets furent promptement évacuées, non sans résistance. Alors quelques centaines de perturbateurs se portèrent sur l'hôtel de ville, où un prisonnier avait été déposé. Le préfet, le maire et le procureur de la République durent faire opérer des arrestations nouvelles et rétablir la circulation par la force. A Poligny (Jura), à Montpellier, à Angoulême quelques scènes semblables eurent lieu.

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