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A Marsillargues, c'était un commissaire extraordinaire faisant fonctions de maire qui, dans le temple protestant, se livrait à une violente apologie de la république sociale. Animée par ces déclarations imprudentes, la population sortait du temple en dansant des farandoles, et allait chanter des chansons démagogiques sous l'arbre de la liberté. L'imprudent commissaire, bientôt débordé et menacé lui-même, réclamait des secours à Lunel et à Montpellier.

Le désordre prit, à Strasbourg, un caractère plus grave. Des instructions générales avaient été données pour toute la France, à l'occasion de la commémoration du 24 février. La garde nationale de Strasbourg, ou plutôt une minorité bruyante, qui suppléait au nombre par l'audace, voulut ajouter aux dispositions de ces instructions, qui lui semblaient peu propres à marquer l'enthousiasme pour la révolution. On déclara qu'il n'y avait pas, lieu à faire pour la ville de Strasbourg, ce qui ne se faisait pas pour les autres. Cette décision administrative mécontenta le colonel qui, la veille de la solennité, publia et fit afficher un ordre du jour, dans lequel il désapprouvait la détermination prise par l'autorité. Le lendemain, 24 février, eut lieu une autre manifestation, la démission collective de soixante-huit officiers de la garde nationale, démission donnée dans des termes inconvenants. Il y avait là, en même temps, une violation de la loi et un scandale. Ce ne fut pas tout. Un bataillon commandé pour assister au service funèbre, parcourut les rues sous les armes, avec son drapeau, chantant des refrains provocateurs, semant par toute la ville l'agitation et le tumulte. Un assez grand nombre de gardes nationaux non commandés, suivaient en uniforme.

On craignait pour le soir des troubles sérieux, une manifestation contre la préfecture. Des précautions durent être prises: la force armée dut être disposée sur les divers points de la ville, et on vit bientôt les troupes entourées tumultueusement de gardes nationaux en uniforme. La population fut plus sage que cette minorité turbulente : elle refusa de s'associer à ces désordres.

Évidemment une garde nationale semblable ne présentait plus les garanties nécessaires. Elle avait, par des délibérations col

lectives, par des protestations violentes, par des rassemblements de mauvais exemple, violé la loi qui prescrit l'obéissance commè le premier devoir de la force armée, et qui défend toute délibération de sa part. La garde nationale de Strasbourg fut dissoute et désarmée, pour être réorganisée dans des conditions nouvelles.

Cette mesure, si bien justifiée, fut, dans l'Assemblée, attaquée par un représentant de l'extrême gauche, M. Chauffour. Après quelques allusions amères à un voyage récent, qui n'aurait pas donné toute satisfaction à M. le président de la République, l'orateur affirma que la seule cause du châtiment infligé à la garde nationale de Strasbourg, par un gouvernement républicain, c'était son dévouement à la République.

M. le ministre de l'intérieur se contenta de constater énergiquement le droit que la loi de 1831 donnait au gouvernement, et de rappeler les faits qui avaient rendu une dissolution nécessaire.

En vain M. Jules Favre chercha à passionner le débat par d'amères récriminations: en vain lança-t-il ses traits les plus acérés aux ministres, dont il contestait la responsabilité sérieuse, au président de la République « qui ne saurait être un candidat sans être en même temps un factieux. D L'éloquent orateur de la gauche reconnaissait d'ailleurs le droit de dissolution en luimême mais il en qualifia l'usage d'inique et d'immoral. La garde nationale, suivant lui, était une de ces institutions primordiales, auxquelles il est défendu de toucher, sans une nécessité absolue Son droit, ajouta-t-il, est de défendre avec ses armes, les lois, la considération et le sol du pays.

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Oui, sans doute, répondit M. Dupin, mais il faut pour cela qu'elle soit légalement convoquée. « La force publique, émployée pour maintenir l'ordre à l'intérieur, n'agit que sur la réquisition des autorités constituées, suivant les règles déterminées par le Pouvoir législatif. » Voilà ce que dit la Constitution.

Un ordre du jour, qui invitait le gouvernement à réorganiser immédiatement la garde nationale de Strasbourg avait été proposé par plusieurs représentants du Bas-Rhin il fut écarté, et l'ordre du jour pur et simple fut adopté par 445 voix contre 223 (24 mars).

Là se bornèrent, en France, les scandales de l'anniversaire. Mais à l'étranger, la démocratie extrême pouvait, sans péril, aller au bout de sa pensée.

Un banquet dit des égaux, signala à Londres la commémoration du 24 février. Une éclatante scission y sépara en deux camps les socialistes et les révolutionnaires. D'un côté, avec M. Louis Blanc, des réfugiés de divers pays, allemands, italiens, français, polonais, hongrois, proclamèrent la fraternité des hommes et la solidarité des peuples, la prééminence du dogme de l'égalité sur le dogme de la liberté, l'obligation qu'a la société de donner à chacun ce qu'il faut pour développer ses facultés et pour satisfaire ses besoins, la nécessité de l'association et les bienfaits du communisme pratique. Quatre-vingt-deux démocrates de la Suisse et de l'île de Jersey, donnèrent leur adhésion à la théorie qui réclame la solidarité dans la production et la solidarité dans la consommation, ainsi qu'à la formule de l'État

serviteur.

Mais les doctrines sauvages du vieux jacobinisme, mêlées aux aspirations confuses d'un socialisme grossier, s'étalèrent avec toute sincérité, dans un toast envoyé de Belle-Isle-en-Mer, par M. Auguste Blanqui, à une société de démagogues socialistes dissidents, dite société des Amis de l'égalité.

Voici ce curieux document:

Toast envoyé par le citoyen L.-A. Blanqui à la commission près les réfugiés de Londres, pour le banquet anniversaire du 24 février.

Avis au peuple,

Quel écueil menace la révolution de demain ? L'écueil où s'est brisée celle d'hier, la déplorable popularité de bourgeois déguisés en tribuns.

Ledru-Rollin, Louis Blanc, Crémieux, Marie, Lamartine, Garnier-Pagès, Dupont (de l'Eure), Flocon, Albert, Arago, Marrast!

Liste funèbre ! noms s uistres écrits en caractères sanglants sur tous les pavés de l'Europe démocratique.

C'est le gouvernement provisoire qui a tué la révolution! c'est sur sa tête que doit retomber la responsabilité de tous les désastres, le sang de tant de milliers de victimes.

La réaction n'a fait que son métier en égorgeant la démocratie. Le crime est aux traîtres que le peuple confiant avait acceptés pour guides et qui out livré le peuple à la réaction.

Misérable gouvernement ! Malgré les cris, les prières, il lance l'impôt des 45 centimes qui soulève les campagnes désespérées.

Il maintient les états-majors royalistes, la magistrature royaliste, les lois royalistes. Trahison!

Il court sus aux ouvriers de Paris le 16 avril, il emprisonne ceux de Limoges; il mitraille ceux de Rouen le 27; il déchaîne tous leurs bourreaux, il berue et traque tous les sincères républicains. Trahison! trahison!

A lui, à lui seul le fardeau terrible de toutes les calamités qui ont presque anéanti la révolution!

Oh! ce sont la de grands coupables, et entre tous les plus coupables ceux en qui le peuple, trompé par des phrases de tribun, voyait son épée et son bouclier; ceux qu'il proclamait avec enthousiasme arbitres de son avenir.

Malheur à nous, si, au jour du prochain triomphe populaire, l'indulgence oublieuse des masses laissait remonter au pouvoir un de ces hommes qui ont forfait à leur mandat! une seconde fois c'en serait fait de la revolution!

Que les travailleurs aient sans cesse devant les yeux cette liste de noms maudits, et si un seul, oui, un seul, apparaissait jamais dans un gouvernement sorti de l'insurrection, qu'ils crient tout d'une voix : Trahison!

Discours, sermons, programmes, ne seraient encore que piperie et mensonges; les mêmes jongleurs ne reviendraient que pour exécuter le même tour avec la même gibecière ; ils formeraient le premier anneau d'une chaîne nouvelle de réactions plus furieuses. Sur eux, anathème et vengeance, s'ils osaient reparaître! Houte et pitié sur la foule imbécile qui retomberait dans leurs filets.

Ce n'est pas assez que les escamoteurs de février soient à jamais repoussés de l'hôtel de ville, il faut se prémunir contre de nouveaux traîtres.

Traîtres seraient les gouvernants qui, élevés sur le pavois prolétaire, ne feraient pas opérer à l'instant même: 1° le désarmement général des gardes bourgeoises; 2° l'armement et l'organisation en milice nationale de tous les ouvriers.

Sans doute il est bien d'autres mesures indispensables; mais elles sortiront naturellement de ce premier acte, qui est la garantie préalable, l'unique gage de sécurité pour le peuple.

Il ne doit pas rester un seul fusil aux mains de la bourgeoisie. Hors de là point de salut.

Les doctrines diverses qui se disputent aujourd'hui les sympathies des masses, pourront un jour réaliser leurs promesses d'amélioration et de bien-être, mais à la condition de ne pas abandonner la proie pour l'ombre.

Elles n'aboutiraient qu'à un lamentable avortement si le peuple, dans un engouement exclusif pour les théories, négligeait le seul élément pratique assuré, la force!

Les armes et l'organisation, voilà l'élément décisif du progrès, le moyen sérieux d'en finir avec la misère ! Qui a du fer a du pain. On se prosterne devant les baïonnettes, on ba'aie les colues désarmées. La France hérissée de travailleurs en armes, c'est l'avénement du socialisme.

En présence des prolétaires armés, obstacles, résistances, impossibilités, tout disparaîtra.

Mais pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridica

les dans les rues, par des plantations d'arbres de liberté, par des phrases sonores d'avoca', il y aura de l'eau bénite d'abord, des injures ensuite, enfin de la mitraille, de la misère toujours.

QUE LE PEUPLE CHOISISSE!

En même temps les réfugiés étrangers établis en Suisse se refusaient, malgré les ordres du gouvernement central, à quitter le canton de Vaud; M. Mazzini avait choisi Lausanne comme un centre d'action et répandait de là dans le monde entier, des écrits mystiquement incendiaires : enfin le rédacteur responsable du journal de Berne, la Nation, M. Stockmar, faisait hautement un appel au droit sacré de l'insurrection.

C'était, il faut en convenir, un moment assez mal choisi pour réclamer une amnistie, que celui de ce réveil des passions les plus violentes. Des symptômes inquiétants étaient signalés de toutes parts, la résurrection menaçante du parti socialiste, l'étendue et la force de l'organisation révélée par le complot de Lyon, l'impulsion manifeste que la conspiration du sud-est avait reçue des réfugiés français et étrangers en Suisse, les menées actives et les provocations incessantes des réfugiés habitant l'Angleterre.

La commission chargée d'examiner la proposition d'amnistie, fut, à une grande majorité, d'avis qu'il n'y avait pas lieu d'accorder la prise en considération (26 février).

Au reste, hâtons-nous de le dire, la démocratie n'était pas le seul parti qui renfermât des agitateurs violents, disposés à en appeler à la force.

On se disait mystérieusement qu'un certain parti, fatigué du trop long calme de la place publique, organisait aux portes de Paris une manifestation pour imposer une prorogation à cette Assemblée, qui n'avait plus cependant longtemps à vivre. On attribuait aux amis trop zélés du Pouvoir exécutif la pensée de cette démarche imitée des plus mauvais jours de la révolution dernière. Mais une note insérée, le 21 février, dans les journaux semi-officiels, désarma ces sympathies imprudentes. Le gouvernement déclara que toutes ses mesures étaient prises pour réprimer une tentative coupable et, le lendemain, 22 février, la démonstration se borna à quelques rassemblements à Belleville,

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