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à quelques groupes plus bruyants qu'offensifs réunis aux abords de l'Elysée.

Les partis monarchiques avaient eu, eux aussi, leur proposition d'amnistie.

Le 29 novembre 1850, l'Assemblée avait ajourné à trois mois, c'est-à-dire au 1er mars 1851, la discussion de la proposition de M. Creton, ayant pour objet l'abrogation des lois qui interdisent l'entrée de la France aux membres des deux dernières familles régnantes; il avait paru à cette époque, que renvoyer à trois mois l'explosion de cette machine de guerre, c'était ajourner indéfiniment un danger. Mais le jour était arrivé. Maintiendraiton la proposition à l'ordre du jour?

La discussion s'ouvrit (1er mars) par un discours de M. Creton, qui eut pour résultat d'amener M. Berryer à expliquer la contradiction étrange signalée entre les discours où l'éloquent orateur avait combattu les lois de proscription, avant le vote, et son opposition connue à l'abrogation de ces lois.

Il ne s'agit pas ici, dit M. Berryer, de déchirer une loi de proscription qui ne peut rien quand il s'agit des héritiers des races royales, ce n'est pas la loi qui exile, c'est la force, c'est le principe des révolutions. L'abrogation sérieuse, c'est la révolution politique. Le rappel d'une loi impuissante, ce n'est autre chose, sous le masque d'une prétendue générosité, qu'une tentative pour diminuer ce qui reste de dignité et de grandeur personnelle aux exilés.

En présence des préoccupations, des alarmes, des menaces de certains partis, ajoutait l'orateur, en présence de certaines ambitions, de tentatives d'opérer, ou par surprise ou par violence, une transformation dans les pouvoirs actuels, fallait-il donner aux entreprises des prétextes et des excuses. L'abrogation n'eût été, aux yeux de M. Berryer qu'une provocation aux aventures inconstitutionnelles, et il fallait la repousser par les mêmes motifs qui avaient donné lieu à la déclaration de non-confiance et au refus de dotation.

Après M. Berryer qui, dans un magnifique langage, avait réclamé l'éternité de la peine, contre l'éternité du droit, M. Desmousseaux de Givré s'était prononcé pour la proposition et le

gouvernement, par l'organe de M. de Royer, avait protesté de sa sympathie pour cet acte de réparation et de justice. Le ministre avait même revendiqué pour le président de la République, l'honneur de la pensée qui avait inspiré la proposition. Mais il avait dû en repousser la réalisation immédiate, en vue de la paix publique. Un républicain modéré, M. Barthélemy Saint-Hilaire, avait même défendu l'abrogation dans l'intérêt républicain.

La Montagne s'expliqua la dernière, et M. Marc Dufraisse. parla en son nom. Ce discours eut pour résultat de soulever un des plus violents orages qu'ait vus la France parlementaire.

L'apologie de la terreur, l'apothéose de la Convention, la glorification du régicide, toutes les doctrines sanglantes de 93 élevées à la hauteur d'une religion, tel fut le discours laborieusement opposé à la profession de foi de M. Berryer, par le même homme qui, après la criminelle tentative de Fieschi, divinisait les assassins qui, pour atteindre un roi et ses enfants, massacraient au hasard quatorze innocents (1).

La parole brève, âpre de M. Marc Dufraisse, sa logique aux prétentions inflexibles, à l'allure tranchante, son cynisme puritain produisirent d'abord une émotion profonde, puis firent éclater un long murmure d'indignation et de dégoût. L'œil en feu, le geste noblement irrité, M. Berryer s'élança à la tribune, pour venger l'honneur du pays, la morale et la conscience publique outragées.

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Après les paroles détestables que nous venons d'entendre, s'écria-t-il, au milieu d'applaudissements indignés, au nom de la morale éternelle, les convictions, les paroles, les votes ne sont plus libres. >>

Et il proposa l'ajournement. à six mois. Malgré les efforts de quelques membres de la droite, l'ajournement à six mois fut prononcé à une majorité considérable (1er mars).

C'est sous l'impression de ces émotions ardentes, que la proposition malencontreuse de quelques habiles avait échoué de la

(1) Le rapport fait par M. Mérilhou sur l'insurrection du 13 mai 1839, contient une lettre écrite à M. A. Blanqui par M. Marc Dufraisse sur l'acte moval da 28 juillet, sanctifié par la raison, le sentiment et la passion (Moniteur du 15 juin 1839).

manière la plus imprévue. On venait de reconnaître une fois de plus que d'aucun côté de l'Assemblée, on n'avait le sang-froid nécessaire pour décider avec calme sur la mesure proposée. Sclon les uns, il n'y avait dans l'abrogation qu'un acte de réparation morale, un hommage et rien de plus ; d'autres y voyaient, avec plus de raison peut-être, un acte politique, une machine de guerre.

C'est qu'en effet, du grand travail de reconstruction générale de l'opinion publique, se dégageaient peu à peu des aspirations plus précises, des systèmes plus nettement tranchés.

Ce fut d'abord la réconciliation des deux branches de la maison royale de France. On nomma ce parti, le parti de la fusion. Etait-ce un parti à vrai dire? Quelle sincérité y avait-il dans ce rapprochement d'espérances contradictoires. La fusion des deux royautés ennemies, c'était, au dire des hommes pratiques, une cause de division ajoutée à toutes les autres. C'est à peine, disaient les plus sincères parmi les monarchistes euxmêmes, si quelques esprits honnêtes et naïfs poursuivent sérieusement cette chimère. Vous n'y revenez, au moins en apparence que quand, d'un côté ou d'un autre, vous croyez votre jeu compromis, votre partie mal engagée. Quel résultat aurait cette politique, sinon celui d'éterniser ces divisions au sein des partis monarchiques? Quel était ce rôle qu'on voulait faire jouer à la famille récemment descendue du trône ? Accepterait-elle vraiment cette position commode, cette sorte de mise en disponibilité, qui eût consisté à conserver toutes les chances favorables, sans en courir de contraires? Voudraient-ils, les princes exilés, être suivant les circonstances, les humbles citoyens de cette République qui aurait chassé leur père, les chefs hasardeux d'une dynastie sans racines, ou les successeurs impatients des Bourbons Renieraient-ils le passé révolutionnaire en marchant à la suite de a légitimité ?

On citait bien cette phrase d'une lettre adressée par un prince de la famille d'Orléans à un homme politique. Après avoir remercié ses amis de leur concours dans la proposition Creton, il les engageait à ne pas perdre courage, et rappelait à leur mémoire, ce trait du chef carliste Gomez, acculé entre la mer et Gibraltar.

«Mes amis, dit Gomez à ses compagnons, nous sommes perdus si nous restons réunis ; séparons-nous. Nous nous retrouverons en Navarre. »

Et tous, en effet, ajoutait le prince de Joinville, car c'est à lui qu'on attribuait la lettre, tous arrivèrent en Navarre.

Mais, de temps à autre, quand un accord de tous les intérêts monarchiques paraissait le plus assuré, quelques réserves faites à propos, démontraient le vide de ces combinaisons chimériques.

L'attitude des princes d'Orléans était déjà significative : un journal autorisé la rendit plus claire encore par ses explications catégoriques. La position, l'intérêt des princes leur commandaient de a rester ce qu'ils sont et d'attendre. » Représentants de la monarchie constitutionnelle et libérale, « ils ne reconnaissaient à personne de droit contre la volonté nationale; » ils se contentaient d'être aux ordres de la France et de n'avoir d'engagement absolu qu'envers elle. »>

Après cette réponse passablement décourageante pour les partisans de la fusion, on ajoutait avec une grande force de bon

sens:

« La fusion, si jamais elle doit être possible, si à un jour donné c'est le moyen que la Providence réserve pour rallier toutes les volontés et sauver la France, ne l'escomptons pas dans de puériles discussions, ne la rabaissons pas aux proportions d'une intrigue ou même d'une pure affaire de parti. N'essayons pas d'en devancer l'heure et le moment. La fusion ne sera quelque chose, c'est-à-dire ne sera une vraie fusion, que si c'est la France qui la veut et qui l'opère, et que si elle se fait dans les cœurs de tous avant d'être dans la bouche de quelques-uns. La fusion entre les familles royales sera bien aisée quand il n'y aura plus que celle-là à conclure et que la France aura signé au traité. »

Le parti légitimiste se contentait, lui, des ressources ordinaires de la stratégie parlementaire; trop loyal pour conspirer dans l'ombre ou pour dissimuler son drapeau, il accordait peut-être trop de confiance à la tactique des Assemblées.

On considéra comme une manœuvre, plus que comme un acte de réparation sincère, une proposition de M. Berryer, ayant

pour but le remboursement, par une remise proportionnelle sur les contributions directes, pendant les années 1852, 1853, 1854 1855, de l'impôt des 45 centimes, décrété par le gouvernement provisoire. C'était se tromper peut-être que de fonder une espérance de popularité sérieuse, sur le remboursement d'une charge sans doute onéreuse en son temps, mais oubliée désormais. et classée parmi les faits accomplis. D'ailleurs rien ne pouvait sortir d'une proposition semblable, si ce n'est un scandale inutile.

La proposition inattendue de M. Berryer produisit la plus vive sensation: c'était de l'étonnement tout ensemble et de la douleur. Quant aux membres de la Montagne, ils s'empressèrent, comme à l'envi, de saisir l'Assemblée de propositions analogues. M. Charles Lagrange demanda le renvoi d'une proposition identique, réclamant en même temps l'éternel milliard des émigrés. M. Ducoux proposa, pour le remboursement du milliard attribué par la loi du 27 avril 1825 aux émigrés, déportés et condamnés révolutionnairement, et pour le remboursement des 45 centimes extraordinaires perçus en vertu du décret du 26 mars 1848, qu'il fût prélevé chaque année un impôt de 25 pour 100 sur tous les revenus des bénéficiaires jusqu'au paiement intégral d'un milliard, et que le prélèvement fùt réparti sur tous les contribuables, à l'exception des bénéficiaires, après qu'il en aurait été distrait une somme de 174 millions 262,404 fr. 21 c., montant des sommes perçues par l'impôt des 45 centimes, qui serait distribué aux ayants droit. Enfin MM. Colfavru, Daniel Rey, Saint-Romme et Chavoix apportèrent chacun leur contingent à cette armée de propositions de remboursement dont la Chambre fit justice.

A cet ordre d'idées, se rattachait une proposition de MM, de Larochejacquelein et de la Broise, ayant pour objet de faire rentrer dans tous leurs droits, les officiers déclarés démissionnaires pour refus de serment, à la suite de la révolution de 1830. Les auteurs de la proposition et du rapport pensaient, qu'il y avait eu injustice flagrante à enlever, pour des causes uniquement politiques, à des officiers savants et honorables, une position conquise par de longs services.

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