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leuses et impatientes qui pullulent à l'Elysée et qui brûlent de se ruer sur le pays comme sur une riche proie; de l'autre, la royauté de droit divin et la royauté constitutionnelle que tu as toi-même jetées dans la boue, voilà l'alternative où tu es placé. Quel que soit celui qui triomphe, tu es perdu.

Alerte donc ! que toute la France soit en éveil. Jamais la liberté ne courut de plus grands dangers. Nos oppresseurs apprêtent leurs armes, et comptent leurs satellites dévoués: soyons prêts à leur répondre avec la force digne d'un grand peuple. Organisons-nous sans délai. Que tous les hommes de cœur s'entendent; que les associations militantes donnent l'exemple de l'activité et du dévouement qui les distinguent. Soyons bien convaincus que la lutte n'est pas éloignée; tenons-nous en garde contre une surprise que tout rend probable.

Notre rôle est tout tracé. Ce n'est pas de nous que doit partir l'agression. Nous devons observer, l'arme au bras, toutes les phases de l'intrigue qui se déroule devant nos yeux; dès qu'elle aura atteint son dénoûment, alors nous interviendrons, et cette tourbe monarchique tombera sous nos coups, comme une bande de brigands pris en flagrant délit.

Le moment est suprême. Tout le monde fera son devoir. L'armée et la garde nationale connaissent leurs ennemis. Les représentants du peuple, restés fidèles à leurs mandats, savent tout ce que l'on est en droit d'attendre d'eux. Impuissants dans l'Assemblée, c'est au milieu du peuple qu'ils doivent déployer le grand caractère dont ils sont revêtus. Quant à nous, nous ne dormirons pas tant que durera cette crise. Si elle se prolonge, nous ne cesserons d'avertir; si la lutte est prochaine, on nous retrouvera les premiers sur la brèche, et présents partout où la cause de l'égalité, pour laquelle nous travaillons, exigera

notre concours.

Peuple! tes oppresseurs ont juré d'étouffer dans ton sang les principes généreux dont leur égoïsme redoute l'application. Jurons, à notre tour, de sauver la République, ou de nous ensevelir sous ses augustes ruines!

Vive la République!

LE COMITÉ CENTRAL DE RÉSISTANCE.

Le caractère anarchique de l'insurrection future, si hautement annoncée, pouvait être suffisamment déduit du caractère même des conspirateurs dans leurs relations mutuelles. La forteresse du Mont-Saint-Michel en renfermait un assez grand nombre, et leurs haines mutuelles donnaient un avant-goût des dissensions terribles qui pourraient naître après la victoire. La discorde la plus complète régnait entre ces prisonniers. Là, comme ailleurs, ils s'étaient divisés en plusieurs partis. Il y avait les Barbétistes ou Barbèsiens, ainsi nommés du nom de leur chef, M. Barbès. Sous ce drapeau se rangeaient les détenus qui avaient reçu le plus d'instruction et qui étaient le moins disposés au désordre. Ceux-là

étaient traités d'aristos par les autres. Presque tous les ouvriers, les détenus sans éducation, les turbulents, les indisciplinés suivaient la bannière de M. A. Blanqui. Ceux-là, pour les Barbèsiens, c'était la vile multitude.

Tel était le personnel, telles étaient les doctrines, tel le but de l'armée révolutionnaire. La direction, on le voit, n'était plus aux mains des sommités parlementaires de la démocratie. Les montagnards les plus convaincus, les plus radicalement révolutionnaires, étaient devenus suspects aux soldats de la démagogie. Nul doute qu'ils ne fussent ou dépassés ou sacrifiés au moment de la lutte. D'ailleurs, le mouvement n'était plus français : les réfugiés de Londres et de Suisse, illuminés ou communistes, dogmatiques ou révolutionnaires, prétendaient donner à la crise de 1852 un caractère de généralité qui la rendit européenne, ou, pour parler leur langage, humanitaire.

Les plus distingués parmi les démocrates français, obéissaient, sans le savoir, à cette impulsion secrète. Quelques-uns, par exemple, se donnaient la mission de veiller à l'avenir de la liberté dans la péninsule, oubliant que rien n'est plus odieux à l'Espagne que tout ce qui ressemble à une immixtion étrangère. Un comité se formait à Paris, annonçant fièrement son intention de régénérer l'Espagne, fût-ce malgré elle-même. MM. Lamennais, Joly, Mathieu (de la Drôme), Victor Schoelcher, E. Baune, Lasteyras et Bertholon, représentants du peuple et membres de la réunion de la Montagne, acceptaient froidement cette tâche magistrale.

La petite France émigrée jetait à toute heure l'insulte et la menace aux institutions, aux chefs de la France véritable. A côté d'elle, une Italie révolutionnaire s'organisait dans ses tavernes, apportant à l'indignation de commande excitée en Angleterre contre l'agression papale, l'honorable et puissant secours de ses blasphèmes. Un père Gavazzi, moine défroqué, barnabite apostat, y couvrait de ses outrages la religion catholique, et ce déplorable furieux, après avoir déclamé contre le despotisme imaginaire, de la papauté, demandait une heure de Vépres Siciliennes pour purger Rome de sa garnison française. Cet apôtre humanitaire voulait inaugurer le règne de la fraternité par le massacre de 8,000 Français. Des

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Français écoutaient ce misérable et s'associaient à ses fureurs par leurs applaudissements ou par leur silence.

Ces violences avaient auprès de la masse des réfugiés plus de succès que les théories raffinées à l'allemande. En vain M. LedruRollin s'essayait avec quelque inexpérience, à formuler des utopies. En vain une brochure du chef apparent des socialistes militants déclarait qu'il ne fallait plus désormais ni de président ni de représentants à la République. Idée empruntée à Jean-Jacques Rousseau, comme beaucoup d'autres nouveautés modernes. « La souveraineté, dit Rousseau, n'étant que l'exercice de la volonté générale, ne peut jamais s'aliéner, et le souverain, qui n'est qu'un être collectif, ne peut être représenté que par luimême. » Qui ne reconnaît dans ces paroles du maître toute la théorie de l'individu roi ? Il est vrai que Rousseau ajoute : « Pour que ce gouvernement fût possible, il faudrait que le monde fût peuplé d'anges. »

Or, cette utopie, que Rousseau échafaudait en vue d'une république de cinq lieues carrées, et à laquelle il n'accordait d'autre valeur que celle d'un rêve irréalisable, M. Ledru-Rollin la proposait froidement à une nation de trente-six millions d'hommes. C'est là, disait-il, le seul moyen de prévenir les révolutions. Politique homœopathique qui préviendrait les révolutions en organisant la révolution permanente.

Mais ces gages malheureux, donnés par un esprit d'une valeur incontestable à l'exagération révolutionnaire, ne pouvaient réussir à lui assurer la direction sérieuse du mouvement futur abandonné à l'avance aux plus grossiers et aux plus violents. Aussi, les adversaires les plus intelligents de la démocratie radicale ne s'y trompaient pas et, dédaignant d'engager la lutte avec les utopistes inoffensifs, appelaient l'attention publique sur les séides aveugles et sur les nouveaux jacobins. Quelques-uns même, dans un intérêt assez transparent, se plaisaient à exagérer le danger pour exploiter les terreurs bien connues de la bourgeoisie. Un administrateur distingué, homme d'esprit avant tout, M. de Romieu, faisait à l'avance un tableau chargé des saturnales révolutionnaires que promettait l'échéance fatale de 1852. Dans un petit livre fort habilement précédé d'un titre à effet, le Spectre

rouge, il évoquait le cauchemar inquiétant de la révolution annoncée. A la suite des fantastiques peintures de l'anarchie, il indiquait le remède ordinaire des situations extrêmes.

« Je ne crois à aucun droit naturel. Le mot droit n'a aucun sens pour mon esprit. Je n'en vois nulle part la traduction dans la nature... Il est d'invention humaine et, à ce titre, il m'est suspect... les temps de foi sont passés..... Il y en a qui cherchent des solutions, je n'en vois aucune.... >>

Et, à son tour, l'écrivain annonçait, comme autrefois M. Proudhon, le carnaval révolutionnaire :

<< Ils sont las, les prolétaires; ils aspirent au jour où ils tiendront nos petits enfants et les écraseront sur la pierre. Il faut au peuple le cirque de l'antiquité avec ses lions et ses tigres : et il entend y prendre part lui-même... Ah! on voulait du nouveau: on en aura..... Je me représente qu'en 1852 on verra se lever la masse prolétaire, dédaigneuse des lois faites et les regardant comme de chétifs morceaux de papier, marchant à l'urne du scrutin malgré préfets et gendarmes. Alors sera comprise l'inévitable nécessité d'une lutte à mort pour en finir avec ce procès des privations contre les jouissances, puisque Dieu, dans son mépris de nos querelles, n'a voulu leur laisser que ces grossiers drapeaux. "J'annonce la jaquerie. »

Puis venait la conclusion: « Entre le règne de la torche et le règne du sabre, vous n'avez plus que le choix, grâce à Dieu, le sabre du xixe siècle n'est plus celui de Tamerlan. Il ne sort pas du fourreau pour détruire, mais pour protéger. Il est devenu l'élément civilisateur, car il combat la barbarie. »>

Et l'auteur concluait à la dictature militaire. De toutes les solutions proposées depuis que la révolution de 1848 avait inauguré le chaos, c'était, sinon la plus désirable, au moins la plus historiquement probable et la plus logique. Il est, en effet, des moments dans la vie d'un peuple, où l'armée apparaît comme la seule force matérielle assez compacte, assez une, assez maniable pour dégager la société des ruines où elle se meurt, et pour lui rebâtir un abri.

A Paris cependant, toutes ces excitations contradictoires trouvaient la bourgeoisie, sinon indifférente, au moins apathique.

En présence de ces dangers si palpables, épuisée par tant de commotions diverses, elle semblait parfois avoir perdu la conscience de son état. Une sorte de stupeur maladive s'était emparée de l'intelligence publique. Une lassitude générale avait remplacé les émotions fiévreuses de la révolution commençante. Un dégoût universel s'était emparé des esprits, et il pouvait sembler probable, qu'une attaque vigoureuse tentée contre la société ne serait pas énergiquement repoussée par elle.

Rien de sérieux ne pouvait cependant être essayé encore dans la capitale ordinaire de la révolution. Un incident assez puéril prouva suffisamment.

le

Cause depuis plus de dix ans de fréquents désordres, le cours de M. Michelet avait depuis longtemps dépassé son but primitif et méconnu singulièrement les conditions de son titre. Cette chaire d'histoire et de morale ne retentissait plus que de paradoxes politiques, prétextes à de fréquents scandales. Le collége de France s'émut enfin de ces excitations déplorables, qui transformaient en un club tumultueux le paisible asile de la science.

Un journal avait publié quelques fragments de ce cours d'histoire et de morale. On ne voulut pas croire que de pareilles doctrines eussent été publiquement enseignées. L'opinion publique s'émut. On demanda au ministre de l'instruction publique, si c'était bien là l'enseignement historique et moral du collège de France. Des sténographes officiels furent envoyés, pour recueillir exactement les paroles du professeur, et le résultat de cette expérience fut tel que le professeur lui-même ne voulut pas reconnaître ses leçons dans ces reproductions irrécusables. En laissant de côté les blasphèmes, les impiétés qui faisaient le fond de ces cours, il y avait là de si singulières inadvertances, des hallucinations d'un mysticisme si puéril, un si fâcheux dévergondage de pensée et de style, que l'on ne put s'empêcher d'élever des soupçons déplorables sur l'état d'une intelligence autrefois vigoureuse et brillante. Les collègues attristés du professeur durent prendre enfin une résolution qu'on leur indiquait depuis longtemps, que réclamaient à la fois, et l'intérêt moral de l'éducation publique et la dignité du professorat. Sur leurs conclu

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