Page images
PDF
EPUB

A

sions l'autorité supérieure dut prendre un parti décisif. Le cours de M. Michelet fut suspendu.

Conformément aux vieilles traditions révolutionnaires, le parti démocratique résolut de prendre cet incident pour prétexte. On organisa une prétendue manifestation de la jeunesse des écoles. Le 13 mars, deux cent cinquante jeunes gens environ se réunirent aux environs de la place Cambrai, dans l'intention de demander la réouverture du cours de M. Michelet. Quelques-uns d'entre eux avaient apporté une pétition préparée d'avance. Aussitôt ces jeunes gens, ayant en tête les auteurs de la pétition, se dirigèrent en ordre, marchant, deux par deux, vers le palais de l'Assemblée. Quelques représentants, qui se trouvaient par hasard sur les lieux où s'organisait cette manifestation, accoururent à l'Assemblée pour prévenir le président et les questeurs, qui ignoraient complétement cette démarché. Aussitôt les ordres furent donnés ; les troupes de service au palais furent mises sous les armés, les grilles furent fermées, et toutes les mesures prises pour ne pas laisser pénétrer les pétitionnaires dans la cour inté rieure du palais.

En effet, la colonne des pétitionnaires se présenta sur la place de Bourgogne vers deux heures et s'y arrêta. Trois représentants, qui les y attendaient, MM. Versigny, Noel Parfait et Aubry (du Nord), reçurent des mains des chefs de cette manifestation la pétition, en les engageant à ne proférer aucun eri et à rentrer paisiblement chez eux. Les jeunes gens se bornèrent à proférer des cris de vive Michelet! et cinq minutes après ils continuèrent leur marche, se rendant, par la place de la Concorde et les boulevards, à la rédaction du National, rue Saint-Georges. De là ils allèrent à la rédaction des journaux la Presse et la République, et se dispersèrent. Cette colonne ne rencontra sur son passage que la plus profonde indifférence de la part de la population.

Une seconde manifestation du même genre n'eut pour rẻsultat que l'arrestation d'un certain nombre de perturbateurs peu sérieux, parmi lesquels les étudiants véritables n'étaient pas en majorité.

Si la tentative de la rue n'avait été que ridicule, on ne pouvait méconnaître le danger sérieux que révélait cet incident. On était

[ocr errors][ocr errors]

forcé d'avouer enfin que l'enseignement public était livré en proie à l'anarchie morale. Les doctrines les plus démoralisatrices étaient enseignées, au nom de l'Université. Tantôt, c'était un des professeurs les plus distingués de cette école de philosophie germano-écossaise qui a pris le nom d'école française ou d'école éclectique, c'était M. Jacques qui écrivait dans un recueil mensuel ces déplorables paroles : « Le catéchisme abêtit l'enfance, il la corrompt. Les prières qu'il contient, choquent le plus grossier bon sens. » Tantôt c'était un autre professeur de l'Université, M. Deschanel, qui annonçait avoir découvert la cause du mal qui ronge la société moderne, et cette cause, selon lui, c'était le christianisme. Le christianisme n'était à ses yeux qu'une réaction fâcheuse qui a fait dévier l'humanité de sa marche naturelle.

Que dire encore de cette glorification des souvenirs les plus honteux de la révolution française? La religion chassée, ses autels envahis par des prostituées, ses ministres conspués en attendant qu'on les massacre; voilà ce que M. Jacques appelait l'affranchissement de la raison humaine. Et ce spectacle ridicule quand il ne fut pas hideux, il le célébrait dans ces phrases enthousiastes : Même divinisées par le peuple, la Raison et la Liberté remplacent les Dieux du christianisme sur les autels d'où les passions populaires ont précipité ceux-ci. » Dans tout le reste de ce pamphlet s'étalaient sous les formules les plus violentes une ignorance inouïe, un mépris brutal de la religion.

Pour juger la portée de ces doctrines, il ne fallait que voir par qui elles étaient patronées dans l'Assemblée nationale. M. Madier de Montjau y qualifiait d'œuvres philosophiques ces outrages à la religion, et s'indignait de voir frapper par le conseil supérieur de l'instruction publique des professeurs indignes de figurer désormais dans les rangs du corps enseignant. Il fallut que M. Giraud, ministre de l'instruction publique, rappelât que M. Carnot lui-même, en mai 1848, avait frappé un professeur coupable d'avoir publié un pamphlet irréligieux (27 mars).

Si cet abaissement de l'enseignement public et officiel révélait un travail de démoralisation monstrueuse, il est juste de reconnaître qu'une réaction salutaire s'opérait dans les rangs les plus

élevés de la société, au profit des doctrines salutaires si longtemps calomniées. Depuis la promulgation de la loi sur l'enseignement, l'école philosophique et révolutionnaire n'avait pas fondé une seule maison d'éducation, tandis que l'enseignement catholique était en progrès; M. le ministre de l'instruction publique fut obligé de constater cette double situation à la tribune nationale.

Tel était, à la fin de mars, l'ensemble des éléments conservateurs ou destructeurs qui se disputaient la société française.

CHAPITRE IV.

DEFIANCES MUTUELLES.

Le système de gouvernement des parlementaires monarchiques; lois organiques, loi sur la garde nationale, loi sur l'administration intérieure. La garde nationale, justes défiances, nécessité d'une organisation plus sévère; renouvellement triennal des élections, nécessité d'une loi provisoire; ajournera-ton les élections, le gouvernement mis en suspicion, le projet transitoire voté d'urgence, protestations de la Montagne, encouragement à la désobéissance; MM. de Lamartine, de Lamoricière, Cavaignac défendent la garde nationale; esquisse du projet organique, le droit au fusil, première délibération. - Toujours la loi du 31 mai, M. Baze et la proposition Desmars, unité de loi et de liste électorale; propositions diverses relatives à l'interprétation de la loi du 31 mai; décision hostile à cette loi prise par la commission de l'administration intérieure, émotion, réunion des Pyramides, résolution prise, M. Faucher est chargé de mettre l'Assemblée en demeure, M. Baze le prévient; tactique de la Montagne, elle recule devant un vote décisif, retrait de la proposition Victor Lefranc, mise à l'ordre du jour des propositions Dabeaux, Arnaud (de l'Ariége) et Desmars; espérances des parlementaires, avortement; retrait par M. Arnaud (de l'Ariége) de sa proposition, la proposition de M. Desmars est repoussée, ordre du jour motivé de M. de Vatimesnil, abstention de la Montagne. Proposition de M. Pascal Duprat, candidatures inconstitutionnelles. La crise ministérielle continue, note officielle à ce sujet, les vieux constitutionnels, prétentions du parti de l'ordre. nistère définitif, sa composition, objections des puristes de constitutionnalisme; programme de M. Léon Faucher, ordre du jour de non confiance proposé par M. Sainte Beuve, majorité assez faible pour le ministère, abstentions significatives.

Mi

On se rappelle que, dans le cours de l'année précédente, le parti conservateur avait posé, comme jalons principaux de sa politique, trois lois organiques importantes, la loi du 31 mai qui organisait le suffrage, la loi sur la presse et la loi sur l'enseignement. (V. l'Annuaire pour 1850, p. 154, 196, 46) Pour édifier tout

un système de gouvernement, il fallait compléter cet ensemble de lois organiques, en attendant qu'on pût se livrer à un travail plus difficile, la révision de la loi fondamentale elle-même.

Parmi les lois organiques dont l'étude avait été faite avec le plus d'activité, se trouvaient la loi sur la garde nationale et la loi sur l'administration intérieure. La première fut entre la majorité monarchique et le pouvoir exécutif, l'occasion d'un nouveau conflit. De toutes les institutions qu'a léguées à la France la révolution de 1789, la garde nationale est une de celles qui ont provoqué le mouvement de réaction le plus absolu. Le 23 février 1848 a montré ce que pouvait, pour le malheur d'un pays, une faute de la bourgeoisie armée. Malgré d'incontestables services rendus depuis lors à la société, la garde nationale n'avait pu faire oublier encore cette triste responsabilité d'un jour. Aussi, le parti conservateur dans l'Assemblée nationale avait-il résolu de prévenir, par une organisation plus sévère, le retour de semblables dangers. A une armée de l'émeute, il voulait substituer une armée de l'ordre la loi qu'on préparait devait être, dans sa pensée, la loi du 31 mai de la garde nationale.

:

Mais l'accord d'où était sortie la loi organique du suffrage universel n'existait plus à cette entente avait succédé, des deux parts, une défiance mutuelle, peut-être également justifiée.

Quelques-uns des chefs parlementaires, désirant faire partager à l'Assemblée les défiances dont ils étaient animés, à l'égard du pouvoir exécutif, épiaient toutes les occasions de dénoncer comme suspectes les intentions de ce pouvoir. Le renouvellement triennal des élections de la garde nationale leur fournit un prétexte à des accusations nouvelles. A les en croire, le gouvernement voulait se saisir de la question, pour s'en faire un instrument de popularité, et pour présenter aux yeux du pays l'Assemblée comme l'obstacle permanent à l'extension des droits civiques.

Un projet de loi organique avait été soumis à l'Assemblée nationale le 29 juillet 1850, et bien que huit mois se fussent écoulés, les études de la commission spéciale n'étaient pas encore terminées et le rapport n'avait pas encore été déposé. Dans cette situation, la législation résultant de la loi du 22 mars, 1851 et des décrets du gouvernement provisoire restait en vigueur, et,

« PreviousContinue »