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corderait son concours qu'à un ministère dont la ferme résolution serait de maintenir, sans aucun changement, la loi du 31 mai 1850, parce que la moindre modification apportée à cette loi atténuerait l'autorité morale dont elle devait rester entourée et ouvrirait la voie à d'autres changements sous l'effet desquels elle finirait bientôt par s'écrouler. MM. Heurtier, Chasseloup-Laubat et Denjoy, qui faisaient partie de la commission d'administration intérieure, se rencontrèrent dans ce conseil donné à la réunion: que tous ceux d'entre vous qui regardent la loi du 31 mai comme une condition de salut pour le pays, se tiennent sur leurs gardes et s'apprêtent à la défendre; car, évidemment, la majorité de la commission semble disposée à l'affaiblir et à préparer sa ruine.

MM. Léon Faucher, Baroche, Lestiboudois, Janvier, Lebeuf et Drouyn de Lhuys prirent ensuite la parole, et firent ressortir la nécessité de ne rien décider qui pût être regardé comme de nature à porter, même indirectement, la moindre entrave à la liberté du chef du pouvoir exécutif dans le choix de ses ministres ; mais il fallait, ajoutèrent-ils, « déclarer hautement que la réunion était plus que jamais convaincue, en considérant l'état actuel du pays et les dispositions des partis dans l'Assemblée, de la nécessité de maintenir intacte la loi du 31 mai, considérée comme elle doit l'être et comme elle le fut par ceux qui l'ont votée, c'està-dire comme une loi destinée à régler toutes les élections qui doivent avoir lieu en vertu du suffrage universel, et qui restera comme le véritable titre de l'Assemblée législative à la reconnaissance du pays. » La réunion s'associa tout entière à l'expression de cette opinion, et c'est à l'unanimité qu'elle prit la résolution sui

vante :

« La réunion déclare qu'elle est résolue à maintenir, dans son intégralité, la loi du 31 mai 1850 comme loi organique des élections politiques, départementales et municipales. »

Deux jours après, la réunion des Pyramides chargeait M. Léon Faucher de demander la mise à l'ordre du jour très-prochaine des différentes propositions qui avaient été présentées concernant la loi électorale du 31 mai. Cette détermination avait pour but de faire vider le plus tôt possible les questions qui avaient été soulevées. On voulait que l'Assemblée, en déjouant les attaques

dirigées contre la loi du 31 mai, en repoussant tous les changements qu'on proposait d'y apporter, en se prononçant d'une manière énergique pour le maintien intégral de cette loi comme loi organique des élections politiques, départementales et municipales, fit une manifestation nécessaire dans l'état actuel de l'opinion publique et en présence des dispositions des partis.

Quelques membres eurent connaissance de cette résolution, et M. Baze imagina de prévenir M. Faucher, en venant le 16 mars, au milieu d'une discussion sur un projet concernant les falsifications de marchandises, réclamer la mise à l'ordre du jour, non pas de toutes les propositions relatives à la loi électorale, mais seulement d'une proposition de M. Desmars, portant que l'élection du Président de la République devrait avoir lieu d'après les listes formées pour l'élection des représentants.

L'opportunité de la proposition est démontrée à tous les esprits, s'écria M. Baze. Mais quoi, répondait-on, M. le ministre de l'intérieur n'a-t-il pas déclaré tout récemment, et devant une commission, et devant l'Assemblée elle-même, que la loi électorale du 51 mai était considérée par le gouvernement comme également applicable aux élections de l'Assemblée et à l'élection du Président de la République? Y a-t-il donc encore ici quelque nouvelle intrigue? N'est-ce pas une nouvelle mise en suspicion des intentions du Président?

M. Léon Faucher fit observer que puisqu'on réclamait un débat sur une des questions relatives à la loi du 31 mai, il importait de ne pas les traiter isolément; qu'il existait plusieurs propositions qui avaient trait à l'abrogation de cette loi; que les unes avaient donné lieu à des rapports, que les rapports sur les autres ne tarderaient pas à être déposés, et que, par conséquent, on pourrait, sous très-peu de jours, les discuter en même temps.

Cette mise en demeure dérouta les membres de la gauche qui avaient mis en avant des propositions de ce genre. M. Arnaud (de l'Ariége) chercha à reculer : M. Victor Lefranc retira sa proposition.

La tactique est habile, s'écrièrent les parlementaires du 31 mai: nous la comprenons. Vous savez que la commission de l'adimnistration intérieure a pris une résolution défavorable à la loi

du 31 mai. Si l'Assemblée était appelée à se prononcer immédiatement sur la question, vous pourriez craindre qu'elle ne la décidât dans un autre sens, et que son vote ne modifiât la résolution arrêtée, mais non officiellement connue de la commission. Vous voudriez laisser, au contraire, à la commission le soin de préjuger la question.

Le retrait de la proposition Victor Lefranc laissait, à côté de la proposition Desmars, celles de MM. Dabeaux et Arnaud (de l'Ariége). Mais la proposition Dabeaux, relative aux élections municipales, soulevait une difficulté spéciale. Il était naturel et conforme au règlement de renvoyer l'examen de la question incidente à la commission chargée d'examiner la question principale. On vota donc séparément sur les deux propositions. Par un premier vote, il fut décidé que la proposition de M. Arnaud (de l'Ariége) serait mise à l'ordre du jour, immédiatement après celle de M. Desmars. Mais la proposition de M. Dabeaux fut écartée de l'ordre du jour.

Ainsi, la discussion allait porter sur le principe même de la loi du 31 mai. Les membres de la majorité qui lui étaient restés fidèles, espéraient pour la loi une sanction éclatante et en quelque sorte une consécration nouvelle. De tous ces efforts, il ne sortit qu'un avortement.

Le jour venu, 28 mars, M. Arnaud (de l'Ariége) retira sa proposition. Ainsi donc, remarqua M. Léon Faucher, on trouve plus commode de déclamer contre la loi du 31 mai, que d'en discuter le principe on l'attaque dans l'ombre, mais on recule devant elle au grand jour.

Restait la proposition Desmars qui ne pouvait être l'objet d'une discussion sérieuse, puisqu'elle ne tendait qu'à constater l'unité de liste électorale. Ce principe, disait-on, est tellement évident, qu'il semble inutile de le proclamer. C'était l'opinion de la commission d'initiative, chargée d'examiner la proposition de M. Desmars; la commission allait même plus loin, elle jugeait dangereux de demander à l'Assemblée cette solennelle proclamation d'une règle incontestable; il lui paraissait que ce serait presque montrer un doute là où il ne pouvait y en avoir; la majorité était, on le savait, de l'avis de la commission. Dès lors, un

débat sérieux n'était possible qu'au cas où le gouvernement aurait contredit ces conclusions; mais le ministre de l'intérieur prit tout d'abord la parole pour renouveler la déclaration qu'il avait déjà faite de la conformité de sentiments du pouvoir exécutif et de l'Assemblée nationale, sur l'application d'une loi électorale uǹique pour l'élection présidentielle, et pour les élections législatives. Quelque précises et explicites que fussent les paroles du ministre, l'Assemblée, tout en repoussant la prise en considération de la proposition de M. Desmars, crut devoir les constater officiellement par le vote d'un ordre du jour motivé que présenta M. de Vatimesnil. Quoique le fond même de la discussion se fût pour ainsi dire dérobé, la physionomie de cette séance fut assez vive pour qu'en des temps plus calmes, où on ne se fût pas habitué aux émotions journalières du parlement, elle eût pu prendre rang parmi les plus intéressantes. On remarqua surtout le soin avec lequel fut écartée des termes de l'ordre du jour motivé, l'indication de la loi du 31 mai.

L'ordre du jour était conçu en ces termes : « L'Assemblée, après avoir entendu la déclaration faite au nom du pouvoir exécutif, adoptant les motifs développés dans le rapport de la commission d'initiative, décide qu'il n'y a pas lieu de prendre la proposition en considération, et passe à l'ordre du jour. »

M. Dupont (de Bussac) déclara, au nom de la Montagne, que les partisans du suffrage universel ne pouvaient s'associer à l'ordre du jour, sans approuver indirectement la loi du 31 mai. Aussi, la Montagne ne prit pas part au scrutin, et l'ordre du jour fut adopté par 466 voix contre 21 (26 mars).

Quelques jours après, 3 avril, comme pour mieux marquer l'attitude de la Montagne, et montrer dans quel intérêt, et au nom de quelles défiances diverses elle repoussait la loi du 31 mai, M. Pascal Duprat déposait la proposition suivante :

» Art. 1er. Tout individu qui, par ses discours, ses écrits ou une manœuvre quelconque, aura provoqué ou soutenu, pour l'élection présidentielle, l'une des candidatures interdites par l'art. 45 de la Constitution, sera puni d'une amende de 1,000 à 5,000 fr. et d'un emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus, avec privation des droits civiques pendant dix années. La peine sera doublée s'il s'agit d'un simple fonctionnaire. De la part des fonctionnaires

supérieurs, des ministres et du Président de la République, l'acte sera considéré comme un crime de haute trahison.

» Art. 2. Il ne sera tenu aucun compte, après le vote, des bulletins qui violeraient la disposition ci-dessus du pacte constitutionnel. Ces bulletins seront déchirés sans qu'il puisse en être fait mention dans les procès-verbaux, et il sera retranché autant de voix du chiffre des votants.

» Art. 3. En cas d'infraction, les membres des bureaux seront punis correctionnellement d'une amende de 500 à 3,000 fr. et d'un emprisonnement de six mois au moins et de trois ans au plus. Ils pourront être privés pendant cinq ans de leurs droits civiques.

>> Art. 4. La présente loi, suivie de l'article 45 de la Constitution, restera affichée dans toutes les comunes de la République jusqu'à la prochaine élection présidentielle. >>

Au milieu de toutes ces luttes, la crise ministérielle durait toujours, et le ministère provisoire n'avait pu encore faire place à un ministère définitif. Le 31 mars, une note publiée dans les journaux semi-officiels, annonça que les diverses combinaisons ministérielles essayées par le Président de la République, avaient successivement et définitivement échoué. Résultat déplorable! s'écrièrent les partisans attardés du régime constitutionnel. S'en tiendra-t-on là? A-t-on fait tout ce qu'il fallait faire pour constituer un ministère sérieux, définitif? Est-ce que le ministère transitoire en serait réduit à passer à l'état de ministère définitif? Si on l'a toléré dans sa première forme et dans ses conditions annoncées, pourrait-il suffire à la responsabilité d'événements graves? C'était là tout simplement se tromper d'époque et déplacer, soit à plaisir, soit par suite de préjugés vieillis, la base de la responsabilité nouvelle. On faisait entendre encore que si la note communiquée tendait à préparer la reconstitution du ministère du 31 octobre, ce rajeunissement d'une administration. tombée sous le blâme de la Chambre serait un acte de bon plaisir tout à fait inadmissible. Et on s'adressait solennellement au Président de la République: on faisait appel à son patriotisme, à son honneur, à sa conscience. La conclusion cachée sous ces prémisses était la nécessité, pour le pouvoir exécutif, de se livrer, sans conditions, aux diverses nuances réunies de la majorité parlementaire; c'était de revenir au 10 décembre 1848, et de recommencer le gouvernement du parti de l'ordre.

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