Page images
PDF
EPUB

du de son intérêt, et peut paraître neuve encore aujourd'hui. A l'époque de la guerre a succédé l'époque du commerce; et puisque les intérêts commerciaux, protégés par la liberté, sont désormais le but vers lequel se dirige l'activité des nations européennes, et la source principale dont elles attendent leur prospérité, quand les gouvernemens sauront enfin comprendre leur véritable position et leurs devoirs envers, ceux qu'ils administrent, alors ces idées, déjà si bien comprises, du moins par les peuples, serviront de règle à la politique des états.

Mais il est un préjugé funeste et plus difficile à extirper, que l'écrivain français poursuit dans l'auteur italien : c'est l'influence que ce dernier attribue à la protection des gouver nemens. Au lieu des encouragemens que Filangiéri implore pour l'agriculture, le commerce, l'industrie, M. Benjamin Constant réclame la liberté, comme seul agent efficace, comme principe universel de prospérité. Ce, n'est pas d'encouragemens, c'est de sécurité, que l'agriculture, le commerce et l'industrie ont besoin : tous les projets philantropiques sont des chimères, quand une liberté constitutionnelle ne leur sert de base. Tel est le résumé de la doctrine qu'avouent et pas que défendent aujourd'hui tous les hommes raisonnables.

A une époque où l'on affecte le mépris des doctrines, où l'on prétend fouler aux pieds les opinions, et gouverner les hommes par le seul ressort de la peur et de l'intérêt personnel, il est une idée importante, qu'on ne saurait trop reproduire : c'est qu'il est aussi pour les peuples une existence morale. Il ne faut pas croire que tout va bien, par cela seul que les intérêts matériels ne sont pas attaqués: au-dessus de ce bien-être purement physique, il est des besoins plus nobles : c'est l'activité de l'intelligence, l'exercice de l'opinion, qui puise sa vie dans le sentiment de la liberté. Quand l'oppression s'étend jusque sur les esprits, cette léthargie morale meT. XIX.-Septembre 1823.

37

nace l'existence physique elle-même. Au contraire, l'activité intellectuelle, lorsqu'elle n'est pas comprimée, peut suppléer à l'absence des institutions politiques et paralyser parfois l'influence d'institutions vicieuses. M. Benjamin Constant dévelop pe quelques-uns de ces aperçus, dans ses remarques sur les causes auxquelles Filangieri attribuait la décadence de l'Espagne. Je ne puis renoncer au plaisir de transcrire quelques passages de ce chapitre, également bien pensé et bien

écrit.

« Il ne faut pas croire que les gains du commerce, les profits de l'industrie, la nécessité même de l'agriculture, soient un mobile d'activité suffisant pour les hommes. L'on s'exagère souvent l'influence de l'intérêt personnel. L'intérêt est borné dans ses besoins, et grossi dans ses jouissances; il travaille pour le préscut, sans jeter ses regards au loin dans l'avenir. L'homme dont l'opinion languit étouffée n'est pas long-tems excitė, même par son intérêt. Une sorte de stupeur s'empare de lui, et engourdit toutes ses facultés, comme la paralysie s'étend d'une partie du corps à l'autre.

[ocr errors]

L'opinion publique est la vie des états; quand l'opinion .publique est frappée dans son principe, les états dépérissent tombent en dissolution. Depuis la découverte de l'imprimerie, certains gouvernemens ont favorisé la manifestation des opinions par le moyen de la presse; d'autres ont toléré cette manifestation; d'autres l'ont étouffée. Les nations chez lesquelles cette occupation de l'esprit a été encouragée ou permise, ont seules conservé de la force et de la vie. Celles dont les gouvernemens ont imposé silence à toute opinion, ont perdu graduellement tout caractèreet toute vigueur.

» Tel avait été le sort de l'Espagne, soumise, plus qu'aucune autre contrée de l'Europe, au despotisme politique et religieux. Au moment où la liberté constitutionnelle fut ravie aux Espagnols, aucune carrière nouvelle ne s'étant offerte à l'activité

de leur pensée, ils se résignèrent et s'assoupirent. L'état en porta la peine. L'arrêt de son dépérissement fut prononcé.... Ni la beauté du climat, ni la fertilité du sol, ni la domination de deux mers, ni les richesses du Nouveau-Monde, ni, ce qui était bien plus encore, les facultés éminentes de cette nation, ne purent l'en sauver.

» Il est si vrai que c'était le gouvernement qui pesait de la sorte sur ce peuple, qu'aussitôt qu'une invasion étrangère eut suspendu l'action de ce gouvernement, l'énergie de la nation reparut tout entière. Ce que n'avaient pu les cabinets coalises de l'Europe, ce qu'avaient essayé vainement l'habileté routinière de l'Autriche, l'ardeur belliqueuse de la Prusse, les Espagnols le firent, sans rois, sans généraux, sans trésors, sans armées, abandonnés, désavoués de tous les souverains, ayant à repousser non-seulement Bonaparte et la valeur française, mais la coopération docile et zélée des princes qu'il avait réduits ou admis au rang de ses vassaux. »

M. Salfi a mis en tète de cette édition un éloge de Filangieri. Dans ce morceau, l'auteur apprécie avec sagacité l'habile publiciste et le bon citoyen, les efforts de Filangieri pour parcourir cette carrière encore peu fréquentée, et l'influence que son génie exerça sur l'esprit de ses compatriotes; mais il peut intéresser encore sous un autre rapport: il offre, dans un tableau rapide, l'histoire abrégée des sciences politiques en Italie, et le lecteur francais y trouvera des détails importans sur des auteurs qui ne sont pas suffisamment connus chez

nous.

ARTAUD.

TACTIQUE DES ASSEMBLÉES LÉGISLATIVES, suivie d'un TRAITÉ DES SOPHISMES POLITIQUES. Ouvrages extraits des manuscrits de M. Jérémie BENTHAM, jurisconsulte anglais; par Et. DUMONT, membre du Conseil représentatif et souverain de Genève. Seconde édition, revue et corrigée (1).

Second article. (Voy. ci-dessus, T. XVII, pag. 503-534.)

Après avoir analysé avec détail, dans notre premier article, la Tactique des assemblées législatives, il nous reste à entretenir nos lecteurs du Traité des sophismes politiques, ouvrage qui remplit le second volume du livre que nous annoncons. Nous avons déjà donné une idée de la méthode que suit M. Dumont, dans la publication des manuscrits de M. Bentham, confiés à ses soins; nous devons ajouter que le Traité des sophismes a subi une métamorphose beaucoup plus complette encore que ses autres ouvrages; écoutons, ce sujet, M. Dumont lui-même : « Lorsque je publiai à Londres, en 1811, la Théorie des peines et des récompenses, M. Bentham exigea de moi de déclarer, dans la préface, qu'il ne voulait en aucune manière être responsable de ces ouvrages extraits de manuscrits qu'il n'avait ni achevés, ni revus. Je dois, à plus forte raison, le libérer de toute responsabilité sur ces deux volumes, que j'ai travaillés sur des essais plus incomplets encore : j'ai changé la forme du premier, et la distribution du second. J'ai traité chaque partie avec la même liberté dans le détail, que si le fond m'eût appartenu. » L'exactitude dont nous faisons profession, nous prescrivait de con

(1) Paris, 1822. Deux vol. in-8°. Bossange frères, libraires-éditeurs, rue de Seine, no 12; prix, 13 fr., et par la poste, 15 fr. 50 c.

signer ici cette observation; le lecteur attentif aime à connaître à qui appartiennent les doctrines qu'on discute devant lui.

Il fut un tems où l'on faisait, chez les anciens, parade du sophisme; c'était un métier, tout comme un autre ; on vendait des argumens pour toute occasion, et l'on fournissait à tout prix des raisonnemens à ceux qui n'avaient pas la raison pour eux. Le sophiste qui avait trouvé un nouveau moyen de surprendre et de tromper, par un certain arrangement de paroles captieuses, l'exploitait à son profit; et, comme pour prendre acte de cette singulière propriété, il donnait un nom à son argument; c'était le chevelu, le chauve, le tortu, le noueux, le lutteur, le cornu, le menteur, ou telle autre dénomination caractéristique. Maintenant, nous employons encore le sophisme; mais, nous ne l'avouons plus; il est censé que c'est une erreur de logique, et non une fraude du raisonnement. A quoi faut-il faire honneur de ce changement? est-ce au désir de ne plus tromper, ou bien au besoin de tromper plus adroitement? Y a-t-il aujourd'hui moins de mauvaise foi, ou seulement moins de crédulité? Sans chercher à résoudre cette question de morale historique, nous remarquerons, avec notre auteur, qu'il ne s'agit pas ici des sophismes de mots, mais des sophismes de principes. « Les premiers ne peuvent servir qu'à la dispute dans les écoles, et n'entraînent point d'erreurs de pratique. Les autres sont des instrumens de parti dans les assemblées délibérantes, et ils influent sur le bonheur des nations. » C'est dans ceite pensée que se trouve la liaison des deux ouvrages, imprimés sous le même titre, et qui tendent effectivement au même but, quoiqu'au premier abord, peut-être, on ne saisisse pas bien leur intime connexion.

Une difficulté assez sérieuse doit embarrasser l'auteur qui se charge de traiter un pareil sujet. Ce serait, sans doute, une entreprise aussi folle qu'inutile de vouloir expliquer et com

« PreviousContinue »