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Du reste, loin que ces observations tendent à faire suspecter l'exactitude des récits de l'auteur, elles ne font que l'attester en général, et c'est au mérite de l'ensemble qu'il faut surtout s'attacher.

Dans la masse des faits et des opinions rapportés dans ce Précis, ceux qui sont relatifs aux mœurs, aux institutions, aux usages et au caractère des Gaulois, ne sauraient manquer de fixer l'attention d'une manière toute particulière : des questions élevées sur quelques points historiques peu approfou→ dis jusqu'à ce jour, par exemple: sur l'antique autorité des femmes dans la Gaule et sur l'introduction plus ou moins ancienne du druidisme dans ce même pays, pourront ne sembler que curieuses; mais, à côté, ou plus exactement, en tête de ces questions, s'offre la partie vraiment instructive: c'est le tableau de la masse gauloise au tems de la conquête, et dans l'état positif où les Romains trouvèrent cette nation. Ce tableau ne pouvait être présenté, sans offrir de nombreux rapprochemens entre les tems anciens et les tems modernes ; l'auteur les a aperçus, il en a développé plusieurs, et indiqué seulement quelques autres, sans s'éloigner du précepte : parcere personis, dicere de vitiis. Il nous met, à beaucoup d'égards, en contact et presque en société avec ces Gaulois qui vivaient il y a deux mille ans; on croit les voir, les suivre, et l'on est presque étonné de connaître mieux les hommes de ce tems, que ceux de certains siècles bien plus rapprochés de nous. Plus d'un lecteur sera surpris de voir les priviléges des vieux druides, exercés naguère encore par les ministres du culte qui avait succédé au druidisme; les attributions des chevaliers gaulois, presque toutes envahies par nos anciens gentilshommes ; et jusqu'à la nullité politique de la multitude gauloise, transmise sous d'autres formes, comme un triste héritage, à la masse de la population moderne.

Mais, terminons cette notice d'un ouvrage qui, borné par

son volume, nous a paru important par son objet, et nouveau par la manière dont il est traité. Ce livre bien pensé et bien écrit, fruit de beaucoup de recherches et d'un jugement, très-sain, entrera-t-il dans l'enseignement classique de la jeunesse française? C'est une question que les passions de notre malheureuse époque ne permettent guère d'agiter, et moins encore de résoudre; mais il est peu douteux qu'un tel livre n'occupe une place honorable dans la bibliothèque des hommes qui ne craignent pas de voir s'étendre l'horizon des connaissances humaines. Il se recommande encore, comme un présent fait à la patrie par un de ses enfans, quine l'oublie pas, quoique retenu par de graves circonstances sur un sol étranger, où il a trouvé une honorable hospitalité.

A.

AUS MEINEM LEBEN, etc.-RÉCITS DE MA VIE; par GOEThe, sect. 11, T. V. « Et moi aussi j'étais en Champagne (1). »

Ces récits de la vie du célèbre Goethe sont un singulier ouvrage. Il y a douze ans que la publication en a été commencée, et l'auteur n'est encore arrivé, dans le dernier volume, qu'à l'année 1793. Dans la première partie, il s'était livré à de si grands développemens, qu'on pouvait prévoir qu'il lui faudrait au moins vingt volumes pour achever son travail sur ce plan. C'eût été quelque chose de nouveau, en littérature, que la vie d'un auteur, racontée par lui-même en vingt forts volumes. L'histoire d'Allemagne pourrait entrer tout entière dans un cadre pareil. Soit que l'auteur ait craint de ne pas arriver au but, en s'amusant aussi long-tems sur la route, soit que le public ait trouvé les récits du nestor de la littérature

(1) Stutgard et Tubingue, 1822. Un vol. in-8°.

allemande un peu trop semblables aux harangues du Nestor de l'Iliade, l'auteur a senti qu'il fallait se restreindre; et dans la seconde partie, il est devenu plus concis. Il est même presque tombé d'un extrême dans un autre : les fragmens qu'il nous donne actuellement comme la relation de sa vie, se réduisent souvent à des notes fort sèches du journal de ses voyages, qui auraient besoin de développemens pour être lues avec intérêt. Elles rappellent quelquefois le fond du sac de Fontenelle. Cependant, toutes les fois que Goethe, dans ces notes, touche quelque matière sur laquelle il se soit exercé, il retrouve tout son talent, et il la traite avec cette fécondité de pensée qui a fait sa célébrité comme prosateur. Malheureusement, ces passages ne font que mieux sentir ce qui manque aux autres fragmens, et forment une disparate désagréable aux yeux du lecteur qui s'attend à un ouvrage bien conçu, et qui ne trouve qu'un volume de notes insignifiantes, entremêlées de quelques morceaux intéressans. Il semblerait ici que Goethe a perdu patience en rédigeant ses matériaux, et qu'il est pressé de les communiquer au public dans l'état informe où ils sont. Le Ve volume de la deuxième partie donne surtout lieu à cette observation. Il contient d'abord le Journal de voyage que ce célèbre écrivain a rédigé pendant l'invasion des Prussiens en Champagne, en 1792; puis, des détails sur le retour à Weimar, et enfin le journal tenu pendant le siége de Mayence, en 1793. A l'exception d'une cinquantaine de pages sur 500, ce volume ne peut guère prétendre au mérite de composition; il faut donc voir si le fond supplée à ce qui paraît manquer à la forme, et si l'intérêt des faits dédommage de la trop grande simplicité de la narration; une courte analyse du volume nous en instruira.

Attaché à la chancellerie du duc de Weimar, alors général au service de Prusse, Goethe eut la mission d'accompagner ce prince dans l'expédition de Champagne, qui devait conT. XIX.-Juillet 1823.

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duire les alliés et les émigrés dans la capitale, où ils avaient arrêté de ne pas laisser pierre sur pierre, si le gouvernement refusait de se soumettre au duc de Brunswick. On connaît les suites de cette provocation inconvenante et imprudente. Cependant, les débuts de la campagne furent superbes. Longwy et Verdun se rendirent, après une très-courte résistance. Quatorze jeunes filles de la dernière de ces places présentèrent des fleurs et des fruits au roi de Prusse; les officiers envoyèrent de Verdun, à leurs amis en Allemague, des liqueurs et des dragées, pour faire parade de l'abondance dans laquelle se trouvait l'armée; par un singulier hasard, ces dragées arrivèrent en Allemagne en même tems que la nouvelle de la misère extrême à laquelle l'armée d'invasion était en proie. Les émigrés avaient fait espérer que les Prussiens n'auraient qu'à se présenter, pour être accueillis comme des libérateurs, et pour voir accourir à eux tous les bons Français. Mais, persoune n'accourut; l'armée avança seule, et M. Goethe ne peut parler, dans son journal de route, que de scènes de camps, ou d'accidens de voyage, quelquefois si minutieux que l'on est fâché qu'un écrivain aussi célèbre ait perdu son tems à les recueillir. Encore, si l'auteur nous faisait connaître ce qui se passait au quartier-général, les projets des chefs, les tentatives qu'on y faisait pour renverser la constitution de 1791! Le journal ne nous apprend rien là-dessus, et l'auteur se borne au rôle modeste d'un observateur subalterne qui ne voit guère que ce qui se passe auprès de lui. Je ne sais si c'est par excès de prudence, ou par nécessité, que l'auteur a circonscrit jusqu'à ce point la sphère de ses observations; ce qui me ferait pencher pour la première de ces opinions, c'est qu'il n'ose juger franchement ni l'invasion désastreuse du duc de Brunswick, ni la situation de la France. Il ne cache pas que les officiers allemands maudirent, dans leur retraite, les auteurs de cette guerre; mais il se garde bien d'ajouter ses propres ré

flexions; prudence d'autant plus étonnante, qué les chefs de l'invasion ont depuis long-tems disparu de la scène du monde, et que leur entreprise appartient désormais à l'histoire. Le combat de Valmy, la forêt d'Argonne, et les pluies de septembre, abattirent tout-à-coup l'ardeur contre-révolutionnaire de l'armée d'invasion; au lieu de s'avancer sur la route de Paris, on ne songea plus qu'à négocier avec Kellerman et Dumouriez, afin de gagner du tems pour se tirer de la position embarrassante où l'on s'était engagé par trop de présomption. Il est probable que l'on essaya de gagner Dumouriez pour la cause des alliés. Goethe l'insinue avec sa circonspection ordinaire. « En apparence, il n'était question que de l'échange des prisonniers, des soins à donner aux malades et aux blessés; mais, dans le fait, on espérait au milieu de tous les malheurs, amener un changement dans l'état des choses. Depuis le 10 août, le roi de France était prisonnier; d'affreux massacres avaient été commis en septembre. On savait que Dumouriez avait penché pour le roi et la constitution; il devait donc naturellement être contraire à l'état actuel, ne fût-ce que pour sa propre sûreté ; et sa réunion aux alliés, pour marcher avec eux sur Paris, eût été un grand événement. >> Goethe aurait dû nous apprendre si ce grand événement entrait dans les objets de la négociation; mais il se tait.

Quelques traits qui lui échappent, nous donnent une idée de la frivolité des chefs de cette armée ennemie. Comme on avait en Champagne la craie pour rien, un ordre du jour enjoignit aux soldats enfoncés dans la boue jusqu'aux genoux, de se charger d'une certaine quantité de cette craie, afin d'avoir de quoi nettoyer et polir leurs armes ; et, comme on manquait de pain, un autre ordre du jour donnait aux soldats, le conseil de ramasser les épis qu'ils trouvaient, de les secouer pour en détacher les grains, et de faire crever ceux-ci dans de l'eau bouillante pour se nourrir! Voilà la prévoyance de

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