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quand ils ont cessé d'avoir un corps de doctrine. On convient en effet assez généralement, qu'à l'exception de quelques cantons suisses, où la doctrine de Calvin, quoique très-mitigée et trèsadoucie, paroît s'être maintenue, il n'existe plus de Calviniste dans la véritable acception de cette dénomination. Le calvinisme actuel de Genève n'a plus aucune conformité avec les principes fondamentaux de la doctrine de Calvin. Il paroît constant qu'il en est à peu près de même des Luthériens d'Allemagne en ce qui concerne la théologie de Luther. Etre Luthérien ou Calviniste, n'est tout simplement que n'être pas Catholique. Servet a fini par triompher dans la ville même où Calvin l'a fait expirer sur un bûcher; et toutes les communions séparées de l'Eglise romaine depuis le seizième siècle, ont fini par se précipiter dans l'abîme du socinianisme, ainsi que Bossuet l'avoit prédit.

Au spectacle de tant de variations et de contradictions, Bossuet oppose l'immobilité de l'Eglise catholique dans sa doctrine et ses principes. La doctrine de l'Eglise catholique a reçu d'abord sa perfection, parce que Jésus-Christ en est l'auteur. Ce qu'elle enseigne aujourd'hui, elle l'enseignoit hier; elle l'enseignoit dès les premiers jours du christianisme. Elle a toujours parlé un

*

langage uniforme; «< et dans toutes les ques

* Histoire

des varia

» tions émues sur des points de doctrine, elle a tions, liv. xv.

» si bien dit d'abord tout ce qu'il a fallu dire » pour assurer la foi des fidèles, qu'il n'a jamais » fallu, je ne dis pas varier, mais délibérer de nou» veau, ni s'éloigner du premier plan ».

Et telle a été la sagesse divine qui a présidé à cette admirable constitution, que la même puissance qui a créé et fondé l'Eglise, a laissé en elle un principe inaltérable de conservation et de perpétuité, en établissant une autorité infaillible dans le corps des pasteurs unis à leur chef, et en lui donnant un caractère extérieur qui pût la rendre présente à tous les regards par la succession non interrompue de ces mêmes pas

teurs.

C'est dans le quinzième livre de l'Histoire des variations, qu'il faut lire l'admirable doctrine de Bossuet sur l'unité de l'Eglise. La dialectique de Bossuet n'a peut-être jamais donné à la raison des armes plus irrésistibles que dans cette partie de son ouvrage.

.. Ce qui étonne toujours, c'est que Bossuet ait pu réunir dans une composition théologique qui se réduit à deux volumes, tous les événemens importans qui ont rempli cent cinquante ans de guerres, de révolutions, de traités et de négo

* Liv. Xul.

* Histoire

ciations dans un temps où l'histoire de la politique étoit toujours mêlée à celle de la religion; et que par ce prodige de l'art, dont nul n'a jamais su comme lui posséder le secret, il ait réussi à tempérer la sévérité des matières de doctrine par tout le charme et tout l'intérêt attaché aux récits de l'histoire.

Souvent même il ramène naturellement à son sujet des questions importantes qui ne paroissent d'abord y avoir qu'un rapport éloigné. C'est ainsi que le livre onzième offre l'exposé le plus lumineux de l'origine si obscure des Manichéens de l'Occident, des Albigeois, des Vaudois, des Wiclefites et des Bohémiens.

Bossuet se permet en passant, * de livrer au ridicule qu'elles méritoient, les prophéties de Jurieu. Mais il est bien éloigné d'en faire un sujet de reproche aux Protestans. Il est le premier à déclarer que tous les Protestans instruits et éclairés gémissoient de tant d'extravagances.

Mais il est un fait important sur lequel Bossuet se croit en droit d'adresser les plus justes reproches aux premiers réformateurs *. Ce furent en varia- effet Luther, Mélanchton, Bucer qui, dans un tions, liv. iv. acte authentique souscrit de leurs mains, s'avilirent au point de permettre au landgrave de Hesse d'avoir deux femmes à la fois. C'est le seul

des

exemple qu'offrent les annales de l'histoire depuis l'institution du christianisme, d'une décision doctrinale de théologiens pour autoriser la polygamie. Ce furent les mêmes hommes qui avoient déclamé avec tant d'emportement contre les dispenses de Rome, qui osèrent donner une dispense d'un genre si monstrueux. Il est vrai qu'ils semblèrent rougir eux-mêmes de leur propre lâcheté. La seule condition qu'ils parurent imposer au prince à qui ils donnèrent ce singulier témoignage de servitude, fut de le supplier de laisser enseveli dans un silence éternel ce mystère de honte et de corruption (1). En effet, tant qu'ils vécurent, ce secret fut plutôt soupçonné que constaté. Ce ne fut qu'en 1679 que l'électeur Palatin Charles-Louis (2) le révéla assez maladroi

(1) On peut observer comme un fait assez singulier qu'ils prescrivirent ce secret sous le sceau de la confession, qu'ils venoient d'abolir.

(2) Ce ne fut point pour condamner Luther, que l'électeur Palatin Charles-Louis fit connoître le premier au public cette singulière décision de Luther, qui permettoit au landgrave de Hesse d'avoir deux femmes à la fois. Ce fut au contraire en s'appuyant de son opinion, et en s'autorisant d'un tel suffrage, qu'il se crut en droit d'avoir à la fois une femme et une concubine, sans blesser les principes de la religion qu'il professoit. Le fait est assez curieux pour mériter d'être rapporté. Nous le trouvons dans une lettre d'Obrecht à Bossuet, dont nous avons l'original sous les yeux, et qui est datée du 20 juin 1687.

L'électeur Palatin Charles-Louis, du vivant même de l'élec

tement et peu de temps après le prince Ernest de Hesse, descendant du landgrave, rendit publiques toutes les preuves originales de cette étrange consultation, lorsqu'il fut devenu catholique. Bossuet rapporte tous ces actes; ils forment la preuve la plus authentique de l'un des faits les plus extraordinaires dans le genre historique. En lisant ces pièces, on admire également l'adresse machiavélique dont le landgrave sut faire usage pour effrayer et séduire Luther et Mélanchton, et la honte et l'embarras qui agitent ces singuliers réformateurs de la morale du christianisme; ils ne cherchent pas même à faire illusion par ces

trice son épouse, entretenoit publiquement un commerce criminel avec la dame Egenfeld. Quelques ministres de sa communion lui firent apparemment des reproches sur le scandale de sa conduite; mais l'électeur voulut leur imposer silence, en leur opposant la théologie plus indulgente de Luther. Il concluoit de ce que Luther avoit permis à un landgrave d'avoir deux femmes à la fois, qu'il étoit bien permis à un électeur d'avoir en même temps une femme et une concubine. Il prit un moyen singulier et détourné pour faire connoître au public tout ce qui s'étoit passé au sujet du landgrave. Les Luthériens avoient reproché à l'Eglise romaine la décision du pape Grégoire II, qui avoit permis à un mari, dont la femme étoit malade, de la répudier, et d'en épouser une autre ; décision très-irrégulière en effet, que l'Eglise romaine n'a jamais suivie, et qu'elle a constamment improuvée.

Le cardinal Bellarmin, qui avoit été instruit, quoique d'une manière assez vague, de la décision de Luther pour le landgrave,

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