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un ouvrage qu'il avoit soumis à l'examen des censeurs les moins suspects de prévention pour lui, étoit tout-à-coup en butte aux plus violentes contradictions.

Mais avec un peu moins de prévention pour ses propres idées, ou un peu moins de défé→ rence pour le duc de Chevreuse son ami, il auroit pu observer que la seule proposition (1), insérée sans sa participation dans son ouvrage, avoit dû paroître au public une erreur pernicieuse; que cette proposition n'avoit point été approuvée par les théologiens du cardinal de Noailles, et que cette seule considération auroit dû suffire pour l'inviter à supprimer cette édi

(1) Cette proposition, la x111.o parmi les xx qui furent condamnées, portoit: la partie inférieure de Jésus-Christ sur la croix, ne communiquoit pas à la supérieure son trouble involontaire. Fénélon a toujours désavoué et condamné cette proposition. Il a toujours protesté qu'elle ne se trouvoit qu'à la marge de son manuscrit, et non dans le corps du texte original; qu'il ne l'avoit même placée à la marge, que parce qu'elle devoit donner lieu à une addition qu'il se proposoit de faire pour une plus grande précaution, et que le duc de Chevreuse, chargé en son absence de diriger l'impression de son livre, l'avoit fait insérer dans le texte même de son ouvrage, par une méprise involontaire. C'est ce que Fénélon a constamment déclaré, et qu'il a même consigné dans son testament, long-temps après la condamnation de son livre, et son adhésion au jugement qui le condamnoit.

tion

tion de son livre, et désavouer hautement une erreur dont le duc de Chevreuse seul étoit coupable.

Tandis que l'opinion publique s'expliquoit d'une manière aussi éclatante contre le livre des Maximes des saints, Bossuet publia, au mois de mars 1697, son Instruction sur les Etats d'oraison, environ six semaines après que l'ouvrage de Fénélon eut paru. Il étoit revêtu de l'approbation du cardinal de Noailles et de l'évêque de Chartres. On put prévoir dès-lors par la manière dont furent accueillis dans le public l'ouvrage de Bossuet et celui de Fénélon, quelle seroit l'issue

XIII.

Bossuet publie son Ins

truction sur

les Etats d'o

du grand combat qu'ils étoient prêts à se livrer. raison. Mars Bossuet avoit suivi dans l'étude des voies in- 1697. térieures, connues sous le nom des Etats d'oraison, une marche absolument différente de celle qui avoit égaré Fénélon; et cette marche étoit bien plus sûre.

Fénélon, séduit par l'attrait d'un systême de perfection, qui éblouissoit son imagination, avoit concentré toutes ses études sur cette matière dans les auteurs mystiques.

Bossuet, au contraire, avoit observé que cette

doctrine si raffinée sur la spiritualité, n'étoit qu'une science moderne, qui ne remontoit qu'à quatre ou cinq cents ans; qu'elle avoit été inBOSSUET. Tome 11.

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connue à presque tous les anciens Pères de l'Eglise, et aux siècles qui les avoient immédiate ment suivis; qu'elle ne pouvoit en conséquence constituer la véritable perfection chrétienne, enseignée par Jésus-Christ, transmise par les apôtres, consacrée par les Pères, recommandée par l'Eglise.

Il s'étoit attaché à remonter aux véritables sources de toute doctrine, l'Ecriture et la tradition. Il savoit que c'étoit à elles seules qu'on devoit tout ramener en religion et en théologie; que tout ce qui s'en écarte dans l'expression, ne peut recevoir une interprétation favorable, que lorsque la bonne foi et une disposition sincère à se soumettre au jugement de l'Eglise permettent de rectifier l'inexactitude des expressions par la vérité non équivoque des sentimens et des intentions; mais que tout ce qui est évidemment contraire à l'Ecriture, à la tradition et à l'esprit du christianisme, doit être hautement proscrit et condamné.

Fénélon, trop porté peut-être par le genre de son esprit, aux abstractions métaphysiques, dont on retrouve si souvent le langage et les formes dans son systême de spiritualité, avoit oublié que la simplicité de la religion chrétienne résiste à tous les raffinemens dont la subtilité est

inaccessible à la plus grande partie des hommes, et que le christianisme, en plaçant l'espérance au nombre de ses vertus fondamentales, invite non-seulement tous les Chrétiens à attendre leur bonheur éternel de la bonté divine; mais leur prescrit de le désirer pour eux-mêmes, et pour se conformer à l'ordre des desseins de Dieu.

Il sentit lui-même, dans la suite de ses discussions avec l'évêque de Chartres, que son sys-tême paroissoit au moins porter quelque atteinte à l'espérance chrétienne; et il essaya d'étayer cette partie chancelante de son édifice mystique par des distinctions très-subtiles sur les motifs et les objets spécifiques de l'espérance; mais la nécessité où il se vit d'avoir recours à ces efforts d'esprit et d'imagination, auroit dû l'avertir qu'il étoit aussi inutile que dangereux de transformer des commandemens positifs prescrits à tous les Chrétiens en des précisions métaphysiques, et d'enseigner comme le beau idéal de la perfection chrétienne, un état auquel il n'a peut-être été donné à personne d'arriver pendant le cours de cette vie mortelle et passagère.

L'ouvrage de Bossuet et celui de Fénélon n'étoient pas moins opposés pour la forme que pour le fond..

Celui de Bossuet offroit un tableau historique

très-curieux de l'origine et des progrès de la doctrine des auteurs mystiques. Il montroit comment leur piété avoit souvent surpris et égaré leur jugement. S'il se permettoit de sourire quelquefois de leurs pieux excès et de leurs amoureuses extravagances, il excusoit et justifioit leurs intentions; il rectifioit ce qui avoit pu leur échapper de peu exact, ou de répréhensible, par d'autres passages, où ils s'exprimoient d'une manière plus conforme aux véritables maximes du christianisme. Il attribuoit leurs méprises à l'espèce d'indifférence avec laquelle l'Eglise avoit considéré ces édifiantes spéculations renfermées long-temps dans l'obscurité des cloîtres, et qui n'avoient eu jusqu'alors aucune influence dangereuse sur la morale.

Bossuet avoit surtout mis beaucoup d'art à écarter de saint François de Sales, de sainte Thérèse, et du bienheureux Jean de la Croix, le soupçon d'avoir partagé des sentimens qui auroient mérité la censure de l'Eglise. Il donnoit à leurs expressions, quelquefois exagérées, toutes les interprétations que sollicitoient la sainteté de leur vie et la pureté incontestable de leurs intentions. L'abus qu'on prétendoit faire de leur autorité, lui recommandoit de laisser leur mémoire à l'abri de tout reproche, et de prévenir les

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