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DE BOSSUET.

LIVRE HUITIÈME.

Oraisons funèbres de la reine Marie-Thérèse, de la princesse PALATINE, du chancelier LE TELLIER, et du grand CONDÉ.

TREIZE

REIZE ans s'étoient écoulés depuis que Bossuet avoit fait répandre tant de larmes en déplorant la mort d'une jeune princesse parée de tous les dons de la nature et de tout l'éclat des grandeurs, frappée par un coup imprévu au sein des plaisirs et des prospérités.

La mort de MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE n'offroit ni à l'imagination, ni au sentiment peut-être, de si touchantes émotions.

Cependant elle pouvoit inspirer un juste et doux intérêt. Sans avoir les grâces et l'esprit D'HENRIETTE D'ANGLETERRE, MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE n'étoit pas sans beauté ; et quoiqu'elle ait parcouru une carrière un peu plus longue, sa BOSSUET. Tome III.

I

mort, à l'âge de quarante-cinq ans, pouvoit paroître prématurée. A peine revenue avec le Roi son époux, d'un voyage triomphant que ce prince venoit de faire à ses armées et aux places frontières qu'il avoit ajoutées à son Empire, une maladie de quelques jours abrégea sa vie (1); et pour se servir des expressions de Bossuet, «< elle » se trouva toute vive et toute entière, entre les » bras de la mort, sans presque l'avoir envisagée ». Elle mourut au moment où son cœur s'ouvroit pour la première fois au bonheur, et où elle voyoit luire l'espoir d'un avenir doux et tranquille qui alloit succéder à des chagrins que le respect et la crainte avoient toujours comprimés, et à des douleurs qui avoient tenu une trop grande place dans sa vie. Les soins délicats de M.me de Maintenon avoient ramené auprès d'elle Louis XIV, qui se montroit touché de ses vertus. La Providence venoit même d'adoucir ses peines, en lui donnant la consolation de voir sa postérité affermie sur le trône. Son fils avoit un fils qui promettoit une longue suite d'héritiers (2).

Quoiqu'elle n'eût jamais inspiré un sentiment passionné à Louis XIV, elle étoit peut-être la

(1) Elle revint à Versailles le 20 juillet, tomba malade le 26, et mourut le 30 juillet 1683.

(2) M. le duc de Bourgogne étoit né le 6 août 1682.

femme qui convenoit le mieux à un tel roi. Religieuse, soumise, bienfaisante, étrangère à la domination et aux affaires, elle soutenoit la majesté de sa naissance par une dignité naturelle, et laissoit réfléchir sur Louis XIV seul tous les rayons de cette gloire dont il étoit si jaloux, et qu'elle n'eut jamais le désir, ni même la pensée de partager. Ce prince lui rendit à sa mort le plus touchant hommage que sa modestie pouvoit lui permettre d'ambitionner : « depuis vingt-trois » ans que je vivois avec la Reine, je n'ai point eu » d'autre chagrin de sa part, que celui de l'avoir » perdue». Ce furent les premières paroles qui échappèrent à Louis XIV, au moment où on vint lui annoncer qu'elle n'étoit plus. C'étoit l'histoire entière de sa vie; c'étoit le tableau simple et fidèle de son ame et de son caractère, c'étoit la plus belle oraison funèbre qui pût honorer sa

mémoire.

Louis XIV jugea que l'honneur de parler dans une occasion aussi solennelle ne pouvoit appartenir qu'à Bossuet; et Bossuet sut encore se faire entendre avec intérêt dans le simple récit de ces vertus douces et paisibles, qu'on aime à retrouver dans un sexe dont la modestie et la bonté. forment le plus touchant caractère, et dans un rang où elles peuvent exercer une heureuse in

» jourd'hui vos cérémonies et vos pompes avec » ces pompes funèbres, et le comble des gran» deurs avec leurs ruines ».

Contraste où la vanité des choses humaines, >> tant de fois établie dans la chaire chrétienne, » ne se montre que trop d'elle-même, sans le se» cours de ma voix, dans ce sceptre si tốt tombé » d'une si royale main, et dans une si haute ma» jesté si promptement dissipée ».

Bossuet est toujours dans son centre, lorsqu'il montre la Providence en action. C'est cette disposition habituelle, qui n'a jamais appartenu, qui ne pouvoit pas appartenir à la religion des anciens, et qu'aucun orateur moderne n'a portée aussi loin que Bossuet; c'est elle qui donne toujours à toutes ses pensées cette profondeur triste et religieuse qui laisse tant d'émotion dans l'ame. Bossuet est auguste et imposant, lors même

* Oraison qu'il exhale le mépris.

funèbre de

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MARIE-THE

TRICHE.

>>

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*

Que je méprise ces

philosophes, qui mesurant les conseils de Dieu

RÈSE D'AU- » à leurs pensées, ne le font auteur que d'un cer» tain ordre général, d'où le reste se développe » comme il peut! comme s'il avoit à notre ma→ » nière des vues générales et confuses; et comme >> si la souveraine intelligence pouvoit ne pas >> comprendre dans ses desseins les choses parti» culières, qui subsistent véritablement ».

Voilà la philosophie de la religion, et Bossuet y rattache tout de suite la philosophie de la politique. «<*N'en doutons pas, Chrétiens; Dieu a

» préparé dans son conseil éternel les premières

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familles, qui sont la source des nations; et dans >> toutes les nations, les qualités dominantes qui » doivent en faire la fortune. Il a aussi ordonné » dans les nations des familles particulières, dont » elles sont composées, mais principalement >> celles qui doivent gouverner ces nations, et en » particulier dans ces familles tous les hommes » par lesquels elles devoient ou s'élever, ou se » soutenir, ou s'abattre ».

Mais où Bossuet veut-il porter la pensée de ses auditeurs par ces réflexions générales? On va le voir.

<< * C'est par la suite de ces conseils, que Dieu » a fait naître les deux puissantes maisons dont » la Reine devoit sortir, celle de France et celle d'Autriche, dont il se sert pour balancer les » choses humaines; jusqu'à quel degré, et jusqu'à » quel temps? IL LE SAIT, ET NOUS L'IGNORONS ».

:

Lorsqu'on lit quelques lignes plus bas «< cette » auguste maison d'Autriche où, durant l'espace » de quatre cents ans, on ne trouve que des rois » et des empereurs, et une si grande affluence de >> maisons royales, avec tant d'états et tant de

* Ibid.

*Ibid.

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