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» une lettre de M. le nonce, qui lui mandoit que » M. de Cambrai portoit des plaintes contre lui, » l'accusant de décrier partout sa soumission. » J'ai répondu, continua-t-il, que j'étois surpris » que M. de Cambrai m'impulât une fausseté » comme celle-là, et qu'il en portât des plaintes » au souverain pontife par son nonce; ce qui » m'engagea de me plaindre à M. le duc de » Beauvilliers, ami intime de M. de Cambrai » qui savoit bien lui-même que je louois la sou» mission de ce prélat. M. de Beauvilliers me fit » réponse qu'il lui écriroit dès le lendemain, » pour lui faire connoître que des esprits mal » intentionnés, ou mal informés, l'avoient surpris; » et qu'il me communiqueroit la réponse qu'il en » recevroit. Depuis ce temps-là, M. de Beauvilliers » ne m'a adressé aucun signe de vie, et c'est » pour cela que je vous prie de ne le point nom» mer; car j'ai un petit sujet de me plaindre de » son silence. L'abbé Berrier demanda la per>> mission de rapporter cette conversation à » M. de Lamoignon, en ne nommant point le >> duc de Beauvilliers, et M. de Meaux y consentit. >> Dans cette même promenade, l'abbé de Saint» André s'offrit de faire un voyage en Flandre; » ayant été seize ans chanoine d'Arras, étant » ami de l'évêque, qui lui-même, malgré la diffé

»rence des sentimens, l'avoit toujours été de » M. de Cambrai, il pouvoit espérer par ce moyen » de travailler utilement à la paix. M. de Meaux » répondit que le temps n'étoit pas encore venu. » Mais deux mois après, le même abbé de Saint» André l'étant allé voir à Paris, et lui ayant dit qu'il alloit faire un voyage de quinze jours,

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» le prélat lui demanda s'il se souvenoit de ce

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qu'il lui avoit dit d'un voyage d'Arras. L'abbé » lui répondit qu'oui. Eh bien, dit M. de Meaux, » c'est celui que je vous prie de faire, et vous » me ferez plaisir ».

Mais une suite d'incidens imprévus, dont le récit n'offriroit aujourd'hui aucun intérêt, et une maladie dont l'abbé de Saint-André fut attaqué pendant ce voyage, ne lui permirent point de se ménager un entretien particulier avec Fénelon, pour lui porter les paroles de paix dont il étoit chargé. «< M. de Meaux en fut très-fâché. Ce » voyage servit cependant à justifier la droiture » de son cœur, et le désir qu'il avoit d'une réu>> nion entière avec M. de Cambrai ».

*

La controverse du Quiétisme a été un événement important dans l'histoire ecclésiastique du dix-septième siècle. Les deux plus grands évêques de l'Eglise gallicane se montrent en présence de toute la France et de toute l'Europe dans une

* Mts. de Winsloų.

XXIV. Réflexions sur le résul

tat de la con

troverse du Quiétisme.

opposition éclatante. Leur célébrité attire toute l'attention de leurs contemporains sur ce grand combat. Ils se servent de toutes les armes du génie et de la science pour s'attaquer et se défendre. L'Europe retentit, pendant trois ans entiers, du bruit et de l'agitation qu'excitent leurs écrits. L'éloquence dont la nature les a doués, attache à ces écrits un intérêt et une chaleur, qu'on est étonné d'y retrouver après tant d'années. Louis XIV intervient avec tout le poids de son nom et de son autorité dans une controverse où les évêques les plus respectables de son Royaume réclament sa protection. Des personnages illustres, des noms plus ou moins célèbres, se mêlent à ces événemens, et y portent leurs affections, leurs passions et tous leurs moyens de crédit et de pouvoir. Rome, affligée et indécise, voit à regret, au pied de ses tribunaux, les deux plus grands évêques de la catholicité se diviser, se combattre, et demander un jugement, qui peut, en condamnant l'un des deux, ouvrir une nouvelle source de divisions dans l'Eglise. Elle s'efforce de modérer leur ardeur, de tempérer la vivacité de leur zèle, et d'adoucir par toutes les expressions de la plus touchante bonté la rigueur d'une sentence nécessaire.

Certainement un pareil sujet appartient au

domaine

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domaine de l'histoire. Il appartient surtout à celui qui écrit l'histoire des deux grands hommes qui y jouent le principal rôle : ce n'étoit pas au bout de cent vingt ans, qu'il y avoit à craindre que le récit historique de l'affaire du Quiétisme renouvelât des divisions dans l'Eglise et dans l'Etat ; la doctrine de Fénélon a commencé et a fini avec lui, et sa plus grande gloire a été de n'avoir point voulu laisser de disciples. Tous les personnages célèbres qui ont pris part à ces démêlés, ont disparu depuis long-temps de la scène du monde; et trois générations se sont écoulées sans que se soit aperçu que l'opposition de sentimens qui a régné entr'eux, ait laissé des haines héréditaires dans ceux qui ont succédé à leurs noms, à leurs titres, et à leur considération.

l'on

Sans doute la controverse du Quiétisme offre, comme toutes les disputes des hommes, le mélange des passions humaines, qui s'associent trop souvent à la dignité des sentimens les plus nobles et les plus respectables. Souvent l'amour-propre blessé, la fierté irritée par la contradiction, viennent dénaturer le langage de la vertu et de la charité. Des considérations politiques, des ménagemens conseillés par la prudence, inspirés par la bonté, suggérés peut-être par la foiblesse ou la BOSSUET. Tome 11. 23

* Instruc

tion pastorale du 2 mars

1705.

timidité, agissent sur ceux même qui ne veulent suivre que les règles invariables de la justice; et les mouvemens de tant d'intérêts, qui se choquent et se combattent, viennent donner tout-à-coup aux controverses religieuses les tristes couleurs des discordes profanes. Mais c'est précisément du récit de toutes les agitations des hommes que se compose l'histoire ; et elle n'a pas le droit de les dissimuler, lorsque les événemens, placés dans un long éloignement, ont laissé à toutes les passions le temps de se calmer, et qu'il est permis de dire la vérité, sans craindre de blesser aucune vanité, de réveiller aucun ressentiment, et d'appeler de nouveaux combats.

Mais au milieu de toutes les variations des pas sions et des pensées des hommes, la vérité conserve toujours ses droits et fait respecter son autorité.

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<< Dieu, comme dit Fénélon lui-même *, veille » toujours, afin qu'aucun motif corrompu n'en» traîne jamais contre la vérité ceux qui en sont » les dépositaires. Il peut y avoir dans le cours » d'un examen certains mouvemens irréguliers ; » mais Dieu en sait tirer ce qu'il lui plaît; il les » amène à sa fin, et la conclusion promise vient » infailliblement au point précis qu'il a marqué ».

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