Page images
PDF
EPUB

avoir. Bossuet est toujours simple, parce qu'il est toujours vrai; mais il sait allier cette simplicité à une finesse d'observation, à une profondeur et à une connoissance des hommes qui étonne toujours dans un homme qui passa la plus grande partie de sa vie dans son cabinet.

Bossuet rapporte comment le Tellier entra dans le ministère, et comment Desnoyers, son prédécesseur, fut dupe de ses propres artifices. « * Le secrétaire d'Etat chargé des ordres de la » guerre, ou rebuté d'un traitement qui ne répondoit pas à son attente, ou déçu par la dou

>>

* Oraison funèbre du chancelier le Tellier.

Tom. XVII,

pag. 471 et

» ceur apparente du repos qu'il crut trouver dans
» la solitude, ou flatté de la secrète espérance suiv.
» de se voir plus avantageusement rappelé par la
» nécessité de ses services, ou agité de ces je ne
»sais quelles inquiétudes dont les hommes ne
» savent pas se rendre raison à eux-mêmes, se
» résolut tout-à-coup à quitter cette grande
>> charge ».

Le Tellier étoit alors à Turin; il fut nommé en
son absence, «<* et le rapide moment d'une con-
» joncture imprévue, loin de donner lieu aux
» sollicitations, n'en laissa pas même aux désirs...
>> Lorsqu'on se voit tout-à-coup élevé aux places
» les plus importantes, et que je ne sais quoi nous
>> dit dans le cœur qu'on mérite d'autant plus de
BOSSUET. Tome 11.
3

* Ibid.

» si grands honneurs, qu'ils sont venus à nous » comme d'eux-mêmes, on ne se possède plus ».

*

Bossuet parle de ces ministres, que l'inconstance naturelle du cœur humain porte quelquefois à renoncer aux affaires par la trompeuse illu* Oraison sion d'une vie plus douce : « L'épreuve en est funèbre du >> hasardeuse pour un homme d'Etat, et la rechancelier » traite a presque toujours trompé ceux qu'elle >> flattoit de l'espérance du repos ».

le Tellier.

L'époque de la vie du chancelier le Tellier, où il eut le plus besoin de cette sagesse de caractère, de cette souplesse d'esprit, et de cette fécondité d'expédiens nécessaires pour parer à des fautes ou à des contradictions qui renaissoient chaque jour par la mobilité des esprits et des circonstances, fut certainement l'époque de la minorité de Louis XIV. Car lorsque ce prince se fut mis en possession de l'autorité absolue, ce ministre n'eut plus que des ordres à exécuter, et des conseils à donner; ces conseils n'étoient même alors que l'étude calme et attentive des goûts et des intentions d'un prince qui vouloit et qui savoit gouverner par lui-même. Mais dans les temps d'intrigues et de factions, qui précédèrent ces jours de gloire et de tranquillité, le Tellier, soumis aux volontés d'un premier ministre ombrageux, incertain, intimidé, avoit bien plus à répondre du

succès de ses conseils, que de leur pureté et dé leur droiture; et Mazarin craignoit moins de sacrifier un ministre fidèle, que de braver un ennemi dangereux.

Bossuet avoit à raconter ces événemens singuliers, dont les contemporains existoient encore; et rien n'est plus admirable que la manière franche et mesurée dont il entre dans son récit.

[ocr errors]

* Si aujourd'hui je me vois contraint de re» tracer l'image de nos malheurs, je n'en ferai » point d'excuse à mon auditoire, où de quelque » côté que je me tourne, tout ce qui frappé mes >> yeux montre une fidélité irréprochable, ou >> peut-être une courte erreur réparée par de » longs services..... »

Il parle de la prison des princes: «<*Quelle cause » les fit arrêter? Si ce fut ou des soupçons ou des » vérités, ou de vaines terreurs, ou de vrais pé» rils, et, dans un pas si glissant, des précautions » nécessaires; qui pourra le dire à la postérité »?

Mais à peine le cardinal Mazarin eut-il ses ennemis en son pouvoir, qu'il fut agité de la crainte qu'on ne lui enlevât ces nobles otages de sa puissance et de sa tranquillité.

[ocr errors]

* Où garder des lions toujours prêts à rom>>> pre leurs chaînes, pendant que chacun s'efforce >> de les avoir en sa main, pour les retenir ou les

* Ibid.

* Ibid.

* Ibid.

* Oraison funèbre du chancelier le Tellier.

* Le cardi

nal de Retz.

» lâcher au gré de son ambition ou de ses ven>> geances avoir le prince de Condé entre ses » mains, c'étoit y avoir la victoire même qui le » suit éternellement dans les combats ».

C'est dans l'oraison funèbre du chancelier le Tellier, qu'on trouve ce beau portrait du cardinal de Retz, où Bossuet se montre égal, si ce n'est supérieur, à Tacite et à Salluste même.

[ocr errors]

«<* Mais puis-je oublier celui que je vois partout dans le récit de nos malheurs, cet homme* » si fidèle aux particuliers, si redoutable à l'Etat, » d'un caractère si haut, qu'on ne pouvoit ni >> l'estimer, ni le craindre, ni l'aimer, ni le haïr » à demi; ferme génie, que nous avons vu, en » ébranlant l'univers, s'attirer une dignité, qu'à » la fin il voulut quitter comme trop chèrement >> achetée, et comme trop peu capable de con>> tenter ses désirs? Tant il connut son erreur et >> le vide des grandeurs humaines! Mais pen>> dant qu'il vouloit acquérir ce qu'il devoit un » jour mépriser, il remue tout par de secrets et puissans ressorts; et après que tous les partis >> furent abattus, il semble encore se soutenir seul, » et seul encore menacer le favori victorieux de » ses tristes et intrépides regards ».

>>

Le cardinal Mazarin, obligé de céder à l'orage, emporta dans sa retraite l'inquiétude et la crainte

de ne plus recouvrer le pouvoir, qu'il déposoit lui-même en des mains qui l'avoient toujours servi avec fidélité. Plus en garde encore contre ses amis que contre ses ennemis, il les fatiguoit de ses jalousies et de ses impatiences; et le Tellier eut plus à défendre le cardinal de son propre caractère, que de la haine des factieux et de l'ambition de ses rivaux.

[ocr errors]

* Oraison funèbre du chancelier

<< *Ne sait-on pas, dit Bossuet, qu'il falloit sou>> vent s'opposer aux inclinations du cardinal? >> Deux fois en grand politique, ce judicieux fa- le Tellier. >> vori sut céder au temps, et s'éloigner de la » Cour; mais il faut le dire, toujours il y vouloit >> revenir trop tôt. Le Tellier s'opposoit à ses impatiences jusqu'à se rendre suspect; et sans >> craindre ni ses envieux, ni les défiances d'un » ministre également soupçonneux et ennuyé de » son état, il alloit d'un pas intrépide où la rai» son d'Etat le déterminoit..... Il savoit, crime » irrémissible dans les Cours, qu'on écoutoit des » propositions contre lui-même ; et peut-être sa place eût été donnée, si on eút pu la remplir » d'un homme aussi súr. Les uns donnoient au » cardinal des espérances trompeuses; les autres » lui inspiroient de vaines terreurs; et s'empres>> sant beaucoup, ils faisoient les zélés et les im» portans. Le Tellier lui montroit la vérité, quoi

« PreviousContinue »