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»naux. La justice, leur commune amie, les avoit >> unis; et maintenant ces deux ames pieuses, >> touchées sur la terre du même désir de faire » régner les lois, contemplent ensemble à dé>> couvert les lois éternelles, dont les nôtres sont » dérivées; et si quelque légère trace de nos » foibles distinctions paroît encore dans une si >>> simple et si claire vision, elles adorent Dieu en » qualité de justice et de règle ».

Ce discours finit par une espèce de péroraison dans le genre de toutes celles de Bossuet, c'est-àdire, pleine de mouvement, de pompe et d'éloquence.

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* Mais ce que cette chaire, ce que ces autels, » ce que l'Evangile que j'annonce, et l'exemple » du grand ministre dont je célèbre les vertus, » m'obligent à recommander plus que toutes >> choses, ce sont les droits sacrés de l'Eglise. » L'Eglise ramasse ensemble tous les titres par » où l'on peut espérer le secours de la justice.... » Pourrons-nous enfin espérer que les jaloux de » la France n'auront pas éternellement à lui re» procher les libertés de l'Eglise, toujours em»ployées contre elle-même? Ame pieuse du sage » Michel le Tellier, après avoir avancé ce grand » ouvrage, recevez, devant ces autels, ce té>>moignage sincère de votre foi et de notre re

* Ibid.

>> connoissance de la bouche d'un évêque trop » tôt obligé à changer en sacrifices pour votre » repos ceux qu'il offroit pour une vie si pré» cieuse; et vous, saints évêques, interprètes du » ciel, juges de la terre, apôtres, docteurs et ser>> viteurs des églises, vous qui sanctifiez cette » assemblée par votre présence; et vous qui,

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dispersés par tout l'univers, entendrez le bruit » d'un ministère si favorable à l'Eglise; offrez à jamais de saints sacrifices pour cette ame pieuse. » Ainsi puisse la discipline ecclésiastique être en» tièrement rétablie. Ainsi puisse être rendue la » majesté à vos tribunaux, l'autorité à vos juge» mens, la gravité et le poids à vos censures ! » Puissiez-vous, souvent assemblés au nom de Jé>> sus-Christ, l'avoir au milieu de vous, et revoir » la beauté des anciens jours? Qu'il me soit du » moins permis de faire des voeux devant ces » autels, de soupirer après les antiquités devant » une compagnie si éclairée, et d'annoncer la sa» gesse entre les parfaits ».

Bossuet, en rapportant quelques paroles mémorables du chancelier le Tellier, appelle les autels eux-mêmes en témoignage de la vérité de ses * Oraison récits. « Sacrés autels, vous m'êtes témoins que funèbre du chancelier » ce n'est pas aujourd'hui par ces artificieuses » fictions de l'éloquence, que je lui mets en la

le Tellier.

*

>> bouche ces fortes paroles » ; et comme s'il avoit eu besoin du nom du chancelier le Tellier pour recommander son discours à l'attention de la postérité, Bossuet ajoute avec une noble modestie « Sache la postérité, si le nom d'un si » grand ministre fait aller mon discours jusqu'à » elle, que j'ai souvent moi-même entendu ces » saintes réponses.

» Les dernières paroles du chancelier le Tellier, » dit Bossuet, furent : MISERICORDIAS DOMINI IN » ÆTERNUM CANTABO: Je chanterai éternellement » les louanges du Seigneur. Il expira en disant » ces mots, et il continua avec les anges le sacré » cantique ». Image douce et touchante, qui montre le ciel et tout ce qui l'habite, attentif à recueillir les dernières paroles et les derniers soupirs du juste.

Mais on reste profondément ému et attristé, lorsqu'on lit la partie de ce discours où Bossuet déplore les vains calculs de ces grands ambitieux, qui consument laborieusement leur vie dans l'espoir insensé de voir leurs descendans bénir à jamais leur nom et leur mémoire. On s'aperçoit facilement que Bossuet avoit présens à sa pensée et même à ses regards les exemples encore récens de ces familles puissantes que la faveur des rois et la dictature ministérielle avoient portées tout

* Oraison funèbre du chancelier le Tellier.

à-coup au plus haut degré d'élévation. Jamais la religion et la philosophie n'ont révélé une vérité plus affligeante sans doute, mais plus propre à rappeler à la justice et à la modération tous ceux que l'amour de leur nom porteroit à abuser de la fortune et du pouvoir.

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* Mais peut-être que, prêt à mourir, on » comptera pour quelque chose cette vie de réputation, ou cette imagination de revivre dans » sa famille qu'on croira solidement établie. Qui >> ne voit combien vaines, mais combien courtes, >> et combien fragiles sont encore ces secondes » vies que notre foiblesse nous fait inventer pour » couvrir en quelque sorte l'horreur de la mort? » DORMEZ VOTRE SOMMEIL, RICHES DE LA TERRE, » ET DEMEUREZ DANS VOTRE POUSSIÈRE. Ah! si quel» ques générations, que dis-je, si quelques années » après votre mort vous reveniez hommes, ou» bliés au milieu du monde, vous vous hateriez » de rentrer dans vos tombeaux pour ne pas voir » votre nom terni, votre mémoire abolie, el » votre prévoyance trompée dans vos amis, dans » vos créatures, et plus encore dans vos héri» tiers et vos enfans. Est-ce là le fruit du travail » dont vous vous êtes consumés sous le soleil »? On a peine à comprendre comment l'oraison funèbre du chancelier le Tellier n'a jamais été

appréciée comme il nous semble qu'elle mérite de l'être. On l'a presque toujours jugée si inférieure aux autres chefs-d'œuvre du même genre et du même auteur, qu'à peine est-on frappé de quelques traits d'un ordre supérieur qui commandent nécessairement l'admiration. Cependant les nombreux fragmens que nous venons de rapporter, et qui étincellent des plus grandes beautés oratoires, portent tous l'empreinte du génie de Bossuet; et il est difficile de croire que tout autre que lui eût pu traiter un pareil sujet avec autant de force, de grandeur et de noblesse.

Cette espèce de prévention ne peut être attribuée qu'à la nature même du sujet. On est tellement accoutumé à voir Bossuet s'élever au-dessus des trônes et des grandeurs de la terre, et ébranler l'imagination par ces grandes catastrophes qui font trembler les peuples et les rois, qu'on se rend presqu'indifférent à l'histoire d'une vie qui n'offre que le mouvement régulier d'une longue suite d'années qui se succèdent et se ressemblent par l'ordre, la sagesse et un travail paisible et uniforme. Il faut convenir en effet que le chancelier le Tellier n'avoit ni dans son caractère, ni dans sa vie publique cette énergie et cet éclat qui préparent l'imagination à un grand intérêt, ou à de fortes émotions.

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