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Mais au milieu de ces détails si vulgaires, on est frappé de la vénération et de la tendre affection du grand CONDÉ pour Bossuet. « Il n'y a » personne, si je l'ose dire, que j'aime mieux que » vous ». Cette déclaration si simple et si franche, ne pouvoit venir que du cœur. Les princes et les grands s'expriment ordinairement dans un langage plus flatteur et moins vrai.

On voit avec une sorte de peine, dans cette lettre, le grand CONDÉ, à la fin d'une carrière si glorieuse, condamné à gémir sur la disgrâce de ses neveux, soupirer dans l'attente d'un regard plus favorable de Louis XIV sur ces jeunes princes, et incertain d'obtenir cette foible consolation avant de mourir.

Il s'agissoit des deux princes de Conti; l'aîné des deux frères, qui avoit épousé la fille de Louis XIV et de M.me de la Vallière, mourut le 12 novembre 1685, quelques semaines après la date de cette lettre.

Le prince de la Roche-sur-Yon son frère prit alors le titre de prince de Conti. C'est lui que tous les mémoires du temps, et le duc de SaintSimon en particulier, ont peint sous des couleurs si aimables. Il mourut en 1709, sans avoir jamais pu recouvrer la bienveillance de Louis XIV, ni parvenir au commandement des armées, où ses

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talens et le vœu public sembloient l'appeler. Les deux frères avoient eu l'abbé Fleury pour

instituteur.

Ce n'étoit qu'avec Bossuet, ce n'étoit même qu'avec une extrême réserve, que le grand CONDÉ osoit s'épancher sur ce sujet délicat. Cependant peu de momens avant sa mort, ce prince reçut de Louis XIV l'assurance, ou plutôt l'espérance d'un sentiment moins inflexible. Car son cœur resta toujours fermé au jeune prince de Conti, qui n'en obtint jamais que les égards dus à son rang, et la faveur d'approcher un peu plus souvent de sa personne. Bossuet a su ramener tous ces détails avec beaucoup d'art et de mesure dans l'oraison funèbre du grand Condé.

Louis XIV parut sentir avec regret la perte du grand CONDE. Ce prince avoit quitté subitement Chantilli le 6 novembre 1686. Malgré sa foiblesse et ses infirmités, il étoit accouru avec empressement à Fontainebleau, pour donner lui-même des soins à M.me la duchesse DE BOURBON sa petite - fille, malade de la petite vérole. Ce fut là qu'il mourut le 11 décembre 1686, après avoir vu les approches de la mort avec le calme d'un sage et la piété d'un Chrétien.

Louis XIV voulut honorer la mort d'un prince qui avoit eu tant d'éclat pendant sa vie, par toute

la magnificence dont une pompe funèbre peut être susceptible. Il ordonna un service public à Notre-Dame. Tous les évêques et toutes les compagnies souveraines eurent ordre d'y assister, et Bossuet fut choisi pour prononcer l'oraison funèbre. Ce triste honneur lui appartenoit à des titres encore plus chers et plus sacrés, que ceux de la supériorité du génie et du talent.

L'architecture, les ornemens, les inscriptions qui décoroient le catafalque du grand CONDÉ furent très-vantés dans le temps. Les inscriptions étoient du père Ménétrier, jésuite, qui avoit un talent particulier pour ce genre de composition. Il falloit que cette magnificence eût quelque chose d'extraordinaire et d'inusité, puisque le Mercure de France se crut obligé d'en donner une description détaillée, et que Bossuet l'a fait entrer comme ornement oratoire dans sa belle péroraison; elle lui a même inspiré une de ces grandes et belles pensées qui portent toujours l'empreinte de son génie.

L'oraison funèbre du grand CONDÉ excite encore après plus d'un siècle l'admiration de tous ceux qui la lisent. C'est la première leçon d'éloquence française, par laquelle on essaie le goût et les dispositions des générations naissantes. Elle vient se graver d'elle-même dans la mémoire des

jeunes gens, aussitôt que leur oreille se montre sensible à l'harmonie; elle fait battre de jeunes cœurs étonnés d'une émotion qu'ils n'avoient point encore ressentie; elle fait couler les premières larmes que la puissance du génie arrache à des ames encore neuves. A quelque âge que ce soit, quelque gloire qu'on ait acquise dans la carrière des armes, des lettres, de la magistrature, du barreau, de l'éloquence de la chaire, on se rappelle avec complaisance l'enthousiasme qu'on éprouva dans ses jeunes ans en lisant pour la première fois l'oraison funèbre du grand CONDÉ ; et on aime à attribuer au sentiment naissant de tant de beautés, l'attrait et le goût qui ont dirigé nos études dans la maturité de l'âge.

Ce que la religion a de plus auguste et de plus sacré, l'histoire de plus imposant, l'éloquence de plus noble et de plus majestueux, la poésie de plus sensible, se trouve réuni dans cette admirable composition; et il faut dire qu'elle est encore plus l'ouvrage du cœur de Bossuet, que celui de son génie.

Dès l'exorde, le génie de Bossuet s'arrête intimidé devant l'ombre du grand CONDÉ. Il semble s'oublier lui-même; il oublie toute sa gloire et tous ses triomphes passés. Une noble modestie

* Oraison funèbre du

DÉ.

est répandue dans son maintien et dans son langage; et s'il parle de lui, ce n'est qu'en paroissant craindre de ne pouvoir répondre à la grandeur du sujet qu'il va traiter.

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Au moment où j'ouvre la bouche pour grand Con- » célébrer la mémoire immortelle de LOUIS DE » BOURBON, PRINCE DE CONDÉ, je me sens confondu >> et par la grandeur du sujet, et, s'il m'est per>> mis de l'avouer, par l'inutilité du travail.

>>

Quelle partie du monde habitable n'a pas ouï » les victoires du prince de Condé et les mer» veilles de sa vie? On les raconte partout; le

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>>

Français qui les vante, n'apprend rien à l'étran» ger; et quoi que je puisse aujourd'hui vous en >> rapporter, toujours prévenu par vos pensées, j'aurai encore à répondre au secret reproche » que vous me ferez d'être demeuré beaucoup au» dessous. Nous ne pouvons rien, foibles orateurs, » pour la gloire des ames extraordinaires. Le Sage l'a dit Leurs seules actions les peuvent » louer; toute autre louange languit auprès des » grands noms, et la seule simplicité d'un récit

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fidèle pourroit soutenir la gloire du prince de » CONDÉ.

» Mais en attendant que l'histoire qui doit ce >> récit aux siècles futurs, le fasse paroître, il » faut satisfaire, comme nous pourrons, à la re

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