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le dernier soupir : « Je n'ai jamais douté des » mystères de la religion, quoi qu'on ait dit ». Ces dernières paroles pouvoient laisser croire que dans sa jeunesse, dans la fougue des passions, quelques traits d'indiscrétion ou de légèreté avoient pu faire douter de ses principes. Mais lorsque le grand CONDÉ mourant déclare « qu'il n'a jamais douté » des mystères de la religion », on doit dire avec Bossuet: «Chrétiens, vous devez l'en croire, » dans l'état où il est, il ne doit plus rien au » monde que la vérité ».

Bossuet a fait voir le grand CONDÉ, «* tel qu'il » fut à son dernier jour sous la main de Dieu ». Tranquille désormais sur un intérêt si cher, Bossuet va nous offrir dans cette célèbre péroraison mille et mille fois citée et à laquelle l'antiquité n'a rien de comparable, le plus magnifique spectacle que la religion chrétienne puisse offrir dans ses jours de deuil et de douleur.

*

C'est au moment même où Bossuet couvre des ombres de la mort « l'éclat des plus belles » victoires; c'est lorsqu'il invite à considérer le » peu qui reste de tant de naissance, de grandeur » et de gloire; qu'il gémit sur ces titres, ces ins»criptions, vaines marques de ce qui n'est plus ; » sur ces simulacres de la douleur qui semblent » pleurer autour d'un tombeau; sur ces fragiles

* Ibid.

* Ibid.

* Ibid.

*Ibid.

* Oraison

funèbre du

DÉ.

» images d'une douleur que le temps emporte avec » tout le reste; sur ces foibles restes de la vie hu» maine, et cette triste immortalité qu'on donne » aux héros »; c'est lorsque son ame oppressée succombe sous la pensée, « que rien ne manque » à ces honneurs, que celui à qui on les rend», et que dans sa profonde douleur, il brise luimême « ces colonnes qui semblent vouloir por» ter jusqu'au ciel le magnifique témoignage du » néant de l'homme » : c'est alors que l'imagination croit voir l'ombre du grand CONDÉ s'élever sur ces pompeux débris, et triompher du temps et de la mort, qui peuvent tout détruire excepté les vertus que la religion a couronnées.

Quelle majestueuse douleur dut se répandre dans l'ame de tous ceux qui l'écoutoient, lorsqu'on entendit Bossuet appeler d'une voix lamentable toutes les grandeurs de la terre aux funérailles du grand CONDE.

* Venez, peuples, et vous qui jugez la terre; grand CoN-» et vous qui ouvrez aux hommes les portes du » ciel...... Venez, princes et princesses, nobles » rejetons de tant de rois, lumières de la France, » obscurcies maintenant et couvertes de votre dou» leur comme d'un nuage.... Approchez en parti» culier, o vous qui courez avec tant d'ardeur » dans la carrière de la gloire! voilà celui qui

» vous menoit dans les hasards; sous lui se sont » formés tant de renommés capitaines, que ses » exemples ont élevés aux premiers honneurs de » la guerre ».

Quelle onction touchante dans les paroles de Bossuet; lorsque levant ses yeux mouillés de larmes, il semble vouloir les essuyer pour offrir aux amis du grand CONDÉ les seules consolations qui restent à leur douleur commune. Ce n'est plus la majesté de l'éloquence, c'est l'accent de la plus douce et de la plus vertueuse sensibilité. Il paroît craindre qu'ils n'aient pas même la force de remplir ce triste devoir de la religion et de l'amitié :

*Et vous, ne viendrez-vous pas à ce triste » monument, vous, dis-je, qu'il a bien voulu » mettre au rang de ses amis? tous ensemble, en

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quelque degré de sa confiance qu'il vous ait re» çus, environnez ce tombeau; versez des larmes » avec des prières; conservez le souvenir d'un hé»ros dont la bonté avoit égalé le courage. Ainsi » puisse-t-il toujours vous être un cher entretien : » ainsi, puissiez-vous profiter de ses vertus; et » que sa mort que vous déplorez, vous serve à la » fois de consolation et d'exemple ».

On devroit croire que l'éloquence de la douleur ne peut plus rien, lorsqu'elle a déjà laissé

* Ibid.

une și profonde émotion; mais il restoit à Bossuet sa propre douleur.

Qu'on se représente, s'il est possible, le siècle de Louis XIV, encore dans sa splendeur, tout ce que la France comptoit alors de noms fameux par la grandeur, le génie, la naissance, les dignités, réuni dans le premier temple de la capitale; toutes les livrées de la mort décorées d'une lugubre magnificence; les sombres voûtes des tombeaux fermées aux rayons du jour, et éclairées de la seule clarté des flambeaux de la nuit, qu'on se représente les princes et princesses d'une auguste famille privés de celui qui en avoit fait la gloire et l'ornement; les compagnons et les témoins de tant de victoires; les amis éplorés d'un prince dont l'amitié seule étoit un titre d'honneur; les pontifes de la religion, dont le ministère sacré se montre encore plus imposant dans ces grands triomphes de la mort; tous les premiers ordres de l'Etat en longs habits de deuil, traverser en silence cette lugubre enceinte, et s'approcher avec respect de ce vaste monument dont la hauteur s'élevoit jusqu'à la voûte du temple, comme pour porter jusqu'au ciel les prières et les vœux de la religion et de la patrie; qu'on se représente, à la suite de ce long cortège, Bossuet avec ses cheveux

blancs, que ses travaux avoient vieillis avant l'âge (1), recueilli dans sa douleur et dans les pensées qui lui retracent tant de souvenirs chers à sa grande ame, laissant échapper d'une voix affoiblie ces paroles, les dernières qu'il devoit faire entendre dans la chaire funèbre :

*

* Oraison

funèbre du grand Cox

« Pour moi, s'il m'est permis après tous les » autres, de venir rendre les derniers devoirs à »ce tombeau, ó prince, le digne sujet de mes DE, » louanges et de nos regrets! vous vivrez éter» nellement dans ma mémoire; votre image y » sera tracée, non point avec cette audace qui » promettoit la victoire; non, je ne veux rien » voir en vous de ce que la mort y efface; vous » aurez dans cette image des traits immortels. Je » vous y verrai tel que vous étiez à ce dernier » jour sous la main de Dieu, lorsque sa gloire » sembla commencer à vous apparoître; c'est là » que je vous verrai plus triomphant qu'à Fribourg et à Rocroi..... Agréez ces derniers ef» forts d'une voix qui vous fut connue. Vous

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(1) Bossuet n'avoit alors que cinquante-neuf ans; on auroit pu dire de lui ce que Pline disoit de Trajan : « Les dieux semblent » n'avoir fait blanchir ses cheveux avant les années, que pour » imprimer à son front plus de majesté ».

«Non sine quodam munere Deum festinatis senectutis insigni» bus ad augendam majestatem ornata cæsaries v.

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