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timon, il ne put pas éviter le choc de la frégate cuirassée, qui le menaçait par la gauche. Le commandant avait déjà appelé l'équipage pour l'abordage général, quand le Re d'Italia, se repliant sur le flanc gauche, coula. Le voisinage d'une frégate cuirassée autrichienne était tel que, d'après l'inclinaison du Re d'Italia, il y avait à craindre que le pavillon pût être aisément enlevé par l'ennemi. Des voix se firent entendre, à ce moment suprême, pour que l'on amenât le pavillon afin de le sauver; mais le garde-marin Razzetti et le commandant del Santo s'y opposèrent de vive force. Razzetti se saisit du pavillon qu'il lia fortement à la poupe, déchargeant son revolver sur le commandant du navire autrichien. Le maître canonnier Pollio, au moment où le Re d'Italia sombrait, tira encore un coup de canon contre la frégate ennemie, criant: « Encore celui-ci!» Le Re d'Italia ayant sombré, les efforts de l'ennemi se concentrèrent contre notre troisième groupe, Re di Portogallo, Varese, Maria Pia, déjà attaqués par deux frégates cuirassées et par le vaisseau qui manœuvrait très-rapidement pour donner l'abordage au Re di Portogallo par le flanc gauche, se faisant suivre par une grosse frégate en bois. Le Re di Portogallo (commandant Ribotty), manœuvrant avec le plus grand sang-froid et une intrépidité habile, présenta la proue au vaisseau, qu'il avaria considérablement. Le vaisseau courut alors le long du flanc du Re di Portogallo, qui lui envoya une complète décharge avec feu de file à grenades. Le Kaiser, démoli, ayant de tous côtés à bord, s'élança hors de la ligne faisant feu toutefois avec son artillerie. Pendant ce temps, l'escadrille des corvettes autrichiennes attaquait il Re di Portogallo par la gauche et deux frégates cuirassées cherchent à l'investir par la droite. De nombreux projectiles atteignent la mâture de notre frégate à vapeur qui riposte avec ardeur au feu des ennemis dont elle est entourée. L'officier en deuxième Atton Emerico est blessé au front par l'explosion d'une grenade; après avoir été pansé, il revint à son poste de combat.

Le commandant Ribotty, se voyant toujours enveloppé par l'ennemi et éloigné de la ligne, s'élance résolûment au milieu du feu des Autrichiens, et il va rallier l'escadrille de l'amiral Vacca, qui avait arboré le signal Formez promptement une ligne de file. » D'autres navires cuirassés menaçaient la Maria Pia, commandant del Carretto, qui, ayant vu deux frégates cuirassées se diriger vers notre escadre en bois, les poursuivit, les forçant à changer de direction. Puis, se trouvant enveloppée par quatre frégates cuirassées, la Maria Pia fit force de toute vapeur et parvint à devancer deux de ces navires ennemis; puis elle revint sur un autre qui, s'apercevant de sa manœuvre, parvint à éviter son choc, non sans avoir essuyé de sa part une bordée complète et un feu bien nourri de mousqueterie.

L'ennemi, par cette manoeuvre hardie et habile, fut obligé de songer

à protéger ses propres navires en bois, qui, enveloppés par le Principe Carignano (commandant Ianch), le Castelfidardo, Re di Portogallo et le Varese (commandant Tincali), manœuvrèrent au levant. A ce groupe de nos navires se réunit l'Ancona (commandant Piola) et le Santa Martino (commandant Roberti), qui tous deux, dans diverses positions, cherchant à se porter au secours du Re d'Italia et du Re di Portogallo, se trouvèrent, à leur tour, enveloppés par les navires ennemis, dont ils parvinrent, par d'habiles manœuvres, à se débarrasser.

L'avant-garde, réunie ainsi sous les ordres de l'amiral Vacca, se portal de nouveau vers les navires cuirassés autrichiens, qui, à toute force, s'éloignaient par le canal de Lissa. A ce moment, l'amiral Albini donna l'ordre au Gotte-Molo (commandant Gogolo) d'aller au secours du Palestro, sur lequel l'incendie faisait de rapides progrès. Le commandant du Palestro (Alfredo Cappellini) refusa pour lui et son équipage tout moyen de sauvetage, il se bornait à demander qu'on le remorquât au plus près de notre ligne. Pendant que le Palestro passait sous le vent de l'escadre, à portée de l'Affondatore, le commandant et l'équipage crièrent: Vive le Roi! vive l'Italie! Peu d'instants après, le Palestro, entre le Governolo et l'Independenza, qui ne l'avaient jamais abandonné, sautait en l'air. On sauvait seulement dix-neuf hommes d'un équipage héroïque, recueillis par les navires susnommés. L'Affondatore (commandant Martens), après avoir lancé le premier projectile contre le navire amiral autrichien, avait cherché à l'éventrer; mais le navire ennemi, qui s'en était aperçu, s'était élancé rapidement pour aborder par le centre l'Affondatore. Celui-ci traversa la ligne des frégates cuirassées ennemies, s'approcha du navire amiral à quarante mètres environ, lâchant toute sa bordée; puis, à toute vitesse, il traversa la ligne des navires mixtes autrichiens, qui évitèrent son choc, et se lança contre un des navires qui serraient de près le Re di Portogallo.

Sortant du milieu de la fumée, l'Affondatore se porta vers notre escadre non cuirassée faisant ce signal: « Attaquez l'ennemi, » et cet autre : « Doublez l'arrière-garde ennemie, c'est-à-dire le groupe de navires cuirassés que la Maria Pia abordera de front. »

Alors l'amiral commandant en chef vit les navires mixtes de l'ennemi avec le vaisseau sur l'extrême droite se porter au levant, protégés par le premier groupe des navires cuirassés, pendant que le deuxième groupe qui, à toute force, cherchait à se reformer à la gauche, paraissait menacé par notre avant-garde, qui cherchait à se rallier pour l'attaquer. A ce moment, jugeant qu'un mouvement rapide pouvait séparer l'ennemi en s'établissant entre les navires cuirassés et les navires mixtes, l'amiral fit le signal: De donner la chasse avec liberté de direction et de manœuvrer en se portant à la tête de la première ligne ennemie. »

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Le Principe Umberto (commandant Acton Gugliemo) fut le premier à se lancer contre la flotte autrichienne, et, à peine arrivé à portée, il ouvrit le feu, auquel répondit celui de toute l'escadre ennemie.

L'Affondatore retourna vers l'escadre pour montrer à tous le signal de donner la chasse et demander la prompte exécution de cet ordre; mais le moment opportun était déjà passé, l'ennemi avait réussi à couvrir les navires mixtes et à réunir ses navires cuirassés derrière eux.

L'amiral en chef songea à réorganiser toute l'escadre pour la conduire de nouveau à l'attaque. L'ennemi, de son côté, se ralliait, et il retourna vers l'île de Lissa avec un mouvement de contre-marche vers la gauche.

A trois heures vingt minutes, l'escadre était formée sur deux colonnes. L'escadre mixte, à laquelle s'était réuni de nouveau le Principe Umberto, afin de s'organiser selon l'ordre, était à droite, la proue vers Lissa. L'Affondatore, en tête de la colonne, s'élance contre l'escadre ennemie, faisant feu de ses batteries. L'escadre ennemie continue sa marche entre Lissa et Lesina. Se trouvant dans la ligne de formation, le Principe Umberto a découvert un grand nombre de naufragės accrochés aux débris du navire qui avait coulé bas: après avoir fait le signal de découverte de naufragés, il se mit à faire le sauvetage. Cent seize hommes furent recueillis, cinquante-trois autres furent sauvés par l'Affondatore, le Messaggiero et la Stella d'Italia.

Cette escadre est restée jusqu'à la nuit dans les eaux où avait eu lieule combat, et elle est partie pour Ancône.

Il est douloureux de citer ce fait résultant de dépositions légales et conformes de naufragés, que ceux-ci, au milieu des eaux pendant le combat, ont servi de point de mire aux insultes de quelques navires ennemis, et mêrne à leur artillerie. Un de ces naufragés a été tué et d'autres ont été blessés. Les dépositions sont consignées dans un procès-verbal qui sera publié à part.

A l'exception du Re d'Italia et du Palestro, les autres navires qui ont figuré dans le combat naval de Lissa n'ont pas reçu d'importantes avaries, et il y a eu seulement huit morts et quarante blessés, dont quatre officiers. L'attitude même de l'escadre ennemie a prouvé que notre escadre lui avait causé de graves avaries.

Il n'appartient pas à la Commission de porter un jugement sur les opérations et les combats dont il a été rendu compte dans les documents officiels qui sont parvenus au Ministère. On ne peut pas dire que l'escadre ait remporté une victoire, n'ayant pas pris possession de Lissa ni détruit l'escadre ennemie; mais il est certain que l'ennemi n'a pas remporté une victoire et certain également que le combat de

Lissa sera toujours cité comme très-honorable pour la marine ita

lienne.

Le Président de la Commission,

Signé contre-amiral ED. BROCHETTI.

AUTRICHE.

Rapport ofâciel de l'amiral Tegetthoff sur la bataille

de Lissa.

Rade de Fasana, le 23 juillet 1866.

J'ai l'honneur de vous adresser le rapport sommaire sur la bataille de Lissa, du 20 juillet.

Je ne pourrai vous transmettre le rapport détaillé que lorsque j'aurai reçu les rapports particuliers de chaque bâtiment.

Des télégrammes que je reçus le 19 juillet du commandant général de Zara et qui m'annonçaient le bombardement continu de l'île de Lissa par la flotte sarde me convainquirent que l'ennemi, par son attaque contre Lissa, ne voulait pas, comme je le pensais d'abord, tenter une diversion dans le but de me détourner de ma base d'opérations, et de s'assurer par là toute liberté d'agir dans la partie nord de l'Adriatique, mais qu'il s'agissait réellement de s'emparer de ladite île. En conséquence, je fis sortir mon escadre vers le midi du même jour et je mis le cap sur l'île de Lissa. Le 20 juillet, à sept heures du matin, les vigies m'annoncèrent que plusieurs vapeurs étaient en vue; mais bientôt une rafale de pluie venant du sud-ouest les déroba à nos regards.

La mer, à ce moment, était tellement houleuse que les navires cuirassés de seconde classe et la frégate cuirassée la Salamandre durent fermer les écoutilles. En approchant de Lissa, qui protége la côte contre la houle du sud, et la brise ayant sauté au nord-ouest, la mer devint plus calme et vers dix heures le ciel s'éclaircit.

On aperçut immédiatement l'ennemi sous l'île, divisé en deux groupes qui, à ce qu'il paraissait, cherchaient à se joindre. D'après les déclarations postérieures des prisonniers, les frégates non cuirassées des Sardes se trouvaient sous Comisa pour rembarquer les troupes; car le commandant ennemi avait eu évidemment l'intention d'attaquer ce jour l'île de Lissa avec toutes ses forces et de l'emporter. A cet effet, il devait débarquer ses troupes sur ce point à Porto Manico pendant que la flotte cuirassée avait l'ordre d'attaquer les fortifications de la

ville de Lissa. Cependant le commandant de la flotte sarde, l'amiral Persano, avait été averti à temps de la sortie de l'escadre impériale de Fasana. D'après le dire des prisonniers, une communication télégraphique transmise d'un point de la côte d'Istrie à Brindisi et de là par un vapeur à grande vitesse l'avait annoncée à la flotte sarde. Ce mouvement de la flotte ennemie s'explique naturellement par le fait que les navires embossés devant Lissa s'efforçaient de rallier ceux qui se trouvaient devant Comisa.

En peu de temps, la flotte ennemie se déploya vers le nord-nordouest, ayant à sa tête sa puissante division cuirassée.

Nous fûmes bientôt sur l'ennemi et je n'eus pas le temps de faire à l'escadrille le signal arrêté d'avance : « La bataille doit être la victoire de Lissa. Je me hâtai donc de prendre les dispositions nécessaires.

L'ordre de bataille de l'escadre autrichienne était le suivant: les bâtiments classés d'après leur rang formaient trois divisions, à savoir: la division des navires cuirassés, celle des gros bâtiments et celle des bâtiments légers. Ces divisions, celle des bâtiments cuirassés en tête, étaient rangées par échelons, chacune débordant l'autre sur un angle saillant. Je fis immédiatement régler les distances, signaler le branlebas et augmenter la vitesse. A la division cuirassée, je donnai l'ordre : « Courir sur l'ennemi et le couler. La ligne ennemie se mit à louvoyer en face de notre escadre, et le vaisseau d'avant-garde le Principe Carignano, commandé par le contre-amiral Vacca, ouvrit le premier le feu, sans grand effet, et auquel répondirent sur-le-champ les bâtiments autrichiens les plus rapprochés. Bientôt le feu devint général. La ligne des Sardes fut coupée par notre division cuirassée. Le combat s'engagea sur tous les points. Les bâtiments de la colonne cuirassée de l'ennemi, placés derrière le point où la ligne avait été rompue, filèrent vers le nord; ce mouvement mit nos divisions de navires ordinaires dans une position menacée. Je tìs donc manœuvrer notre division cuirassée également vers le nord, afin de dégager les deux autres et mettre les bâtiments cuirassés de l'ennemi, séparés du gros de leur flotte, dans un feu croisé.

Cependant les divisions ordinaires poursuivirent leur cours et se firent jour à travers les navires cuirassés de l'ennemi, et nos frégates et nos canonnières eurent largement l'occasion de se mesurer avec ceux de l'ennemi.

Le vaisseau de ligne Kaiser, portant le pavillon du commandant de la seconde division, commodore Petz, s'est trouvé engagé à la fois avec quatre bâtiments cuirassés de l'ennemi. Sans hésiter, le commodore Petz enfila un de ses bâtiments par le travers, tout en criblant le corps des trois autres de bordées concentrées, et cela dans des conditions qui étaient de nature à mettre à l'épreuve le courage et la ténacité de

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