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d'affaires de France à Rome qui lui annonçait que le cardinal Antonelli s'était occupé avec lui de la manière dont l'armée impériale pourrait être remplacée dans les États pontificaux, et avait exprimé le désir qu'on autorisat des enrôlements en France; que le Gouvernement de l'Empereur acceptait cette idée et faciliterait au Pape, par tous les moyens compatibles avec les lois, la réalisation de ce projet. Je demandai à M. Drouyn de Lhuys si l'on ne mettrait point d'obstacles à ce que des soldats licenciés entrassent dans l'armée du Saint-Siége; il me répondit qu'aucune restriction ne paraissait exister au sujet de la mesure que l'on allait adopter.

Il me raconta aussi que M. de Sartiges, ambassadeur de France à Rome, avait eu, à son passage par Florence, une longue conversation avec le général La Marmora au sujet de la partie de la dette pontificale dont le payement incomberait à l'Italie, aux termes de la Convention du 15 septembre. Le Gouvernement italien se montrait disposé à remplir pour sa part cette obligation; il avait dressé les états proportionnels de cette dette et il attendait seulement que le Gouvernement romain présentât les siens pour les comparer, pour procéder à la liquidation et accepter la responsabilité des titres de rente. M. de Sartiges espérait décider Sa Sainteté à prescrire le plus tôt possible l'exécution de cette opération qui affranchirait son trésor d'une de ses plus lourdes charges. A cet effet, il n'y avait pas à s'entendre avec le Cabinet de Florence, puisque d'après la Convention franco-italienne et en vertu d'une clause sur laquelle M. Drouyn de Lhuys n'a jamais voulu céder, la France était appelée à être la Puissance médiatrice entre l'Italie et le Saint-Siége.

Les dernières communications de Rome ont laissé dans l'esprit du Ministre des affaires étrangères l'espoir que le temps, plus encore que ses efforts, aplanira peu à peu les difficultés rencontrées jusqu'ici pour une transaction. Le Gouvernement pontifical avait pris son parti, et, cédant à la nécessité des circonstances, il s'occupait de réorganiser son armée.

Comme suite à ma dépêche du 14 courant, no 361, dans laquelle j'ai eu l'honneur de donner à Votre Excellence une analyse détaillée d'un entretien important avec M. Drouyn de Lhuys, il m'a paru utile de rapporter notre dernière conversation. Aussi bien les paroles du Ministre que j'ai citées sont-elles, quant au fond et jusque dans la forme, l'expression de la pensée de son Souverain; et l'Empereur, au lieu de se réserver la direction exclusive de sa politique ultérieure touchant Rome, désire s'entendre avec l'Espagne pour sauvegarder, autant que possible, non-seulement l'autorité spirituelle qui est hors de question, mais aussi le pouvoir temporel et l'indépendance du Saint-Siége.

Signé : Le MARQUIS DE LEMA.

Le marquis de Lema à M. Bermudez de Castro,

Paris, le 24 octobre 1865.

Monsieur le Ministre, bien que ma dépêche du 14 de ce mois, no 361, contînt une réponse complète et anticipée à celle que, à la même date, Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser au sujet de la question romaine, j'ai cru utile d'avoir, en prenant pour prétexte la communication de cette dépêche, un nouvel entretien avec le ministre des affaires étrangères,

M. Drouyn de Lhuys m'a écouté avec son attention habituelle et, comme je m'y attendais, il me dit qu'il m'avait fait part, dans une entrevue précédente et avec toute la franchise possible, des idées et des intentions de son Gouvernement pour le cas où la sortie des troupes françaises amènerait un mouvement révolutionnaire à Rome. C'est là une éventualité dangereuse qui n'a pas été prévue par la Convention du 15 septembre et au sujet de laquelle les Gouvernements de France et d'Italie se sont réservé une complète liberté d'action.

La pensée si éloquemment développée par le Ministre d'État dans la session du mois d'avril du Corps législatif est toujours l'expression de la politique de la France. La coexistence des deux monarchies dans la Péninsule est, dans son opinion, la seule solution. Elle est nécessaire et avantageuse. Pour la rendre possible, la France exige de l'Italie qu'elle respecte et fasse respecter la frontière pontificale; qu'elle n'exécute ni ne permette aucune tentative contre le pouvoir temporel du Pape. Mais si la politique suivie par le Vatican ou une conspiration des sujets du Saint-Siége provoquaient un mouvement intérieur dans les États pontificaux, la France aviserait, en vue des circonstances et des événements, au parti qu'il lui conviendrait d'adopter; car c'est précisément pour ce cas qu'elle avait réservé expressément et publiquement sa complète liberté d'action. La question pourrait cesser d'être une question italienne pour devenir, comme le disait M. Rouher, une question d'ordre ou d'équilibre européen.

Comme cette question est subordonnée aux conditions nécessairement vagues d'une éventualité douloureuse et qui pourrait se présenter sous des formes différentes et imprévues, j'ai cru convenable de donner lecture à M. Drouyn de Lhuys de la dépêche dans laquelle, à la date du 14 du courant, j'ai rendu compte à Votre Excellence de notre dernier entretien. Il m'importait de savoir si dans une matière aussi délicate j'avais fidèlement rendu la pensée et le sens de sa réponse.

- C'est bien cela, me dit le Ministre, après avoir attentivement

écouté la lecture de ma dépêche, et je ne ferai aucune difficulté à mettre ma signature au bas des paroles que vous m'attribuez avec une si parfaite exactitude. Voilà, en effet, notre politique vraie et nécessaire.

Je n'ai, dès lors, plus rien à ajouter à ma dépêche très-détaillée no 361. J'y ai consigné tout ce que j'ai appris, tout ce qui se dit des intentions du Gouvernement impérial. C'est sur ces bases que le Gouvernement de la Reine peut établir ses calculs et se former une ligne de conduite. Et puisqu'on nous offre de s'entendre avec nous, ce qui importe, à mon avis, c'est de chercher à Rome les moyens de proposer, s'il y a lieu, une solution qui, sans compromettre les engagements ostensibles de la France, soit avantageuse pour les intérêts du SaintSiége. La prépondérance que les changements ministériels survenus à Rome tendent à donner au cardinal Antonelli dans les conseils de Sa Sainteté, facilitera peut-être la solution de ces questions. Je ne erois pas que le pouvoir temporel du Pape fasse naufrage, même momentanément, si l'on adopte une ligne politique un peu pré

voyante.

En tout cas, le Gouvernement de Sa Majesté fera ce qui est en son pouvoir pour faciliter ce résultat; et pour ma part, dans cet entretien comme dans tous ceux que j'ai eus avec M. Drouyn de Lhuys, je n'ai pas dissimulé un instant le vif et constant intérêt que nous portons à une question qui touche si directement à l'indépendance et à l'avenir de l'Eglise.

Signé Le MARQUIS DE LEMA.

M. Bermudez de Castro au marquis de Lema.

San Ildefonso, le 5 novembre 1865.

Monsieur le marquís, j'ai lu avec une vive satisfaction les dépêches de Votre Excellence n° 361, 374 et 377, dans lesquelles elle me communique d'une façon détaillée ses entretiens avec M. Drouyn de Lhuys sur les affaires d'Italie et en particulier sur les éventualités qui pourront se produire à Rome à la suite de l'évacuation complète des États pontificaux par les troupes françaises.

Le Gouvernement de Sa Majesté croit que, malgré la réserve dans Jaquelle le Ministre des affaires étrangères paraît vouloir se renfermer, il est à peu près impossible que la France abandonne jamais la personne sacrée du Souverain Pontife ou consente à ce qu'il soit dépouillé de ses États, soit par des agressions extérieures, cas d'ailleurs prévu

par le traité du 15 septembre, soit par un soulèvement intérieur provoqué par les révolutionnaires du dehors et les ennemis de la Papauté.

La France s'est, dans ce cas, réservé sa liberté d'action. Elle n'a point, il est vrai, obtenu d'engagements internationaux en faveur du Pape; mais, pour une nation aussi puissante qu'elle, elle a contracté un engagement bien plus solennel encore en déclarant du baut de la tribune du Corps législatif qu'elle ne consentirait jamais à ce que Rome se laissât absorber par l'Italie, même alors que le peuple romain le désirerait.

Le traité du 15 septembre implique et admet la coexistence de deux monarchies. La disparition de l'une d'elles serait la destruction du traité que la France a signé précisément pour régler la question italienne. L'absorption de Rome par l'Italie se convertirait, en outre du principe de souveraineté, en une question d'équilibre européen; elle deviendrait une question qui entrerait dans le domaine du catholicisme tout entier : la France ne pourrait y consentir. - Tels sont les termes et la signification de l'engagement que la France a contracté à la face de l'univers, du haut de la tribuue. S'il est vrai que le traité du 15 septembre n'a pas prévu le cas d'une révolution intérieure, il signifiait cependant et continue à signifier la coexistence de deux monarchies; si pour ce cas non prévu, la France s'est réservé sa liberté d'action, elle a déjà expliqué au sein de la Chambre quel usage elle comptait faire de cette liberté, et c'est pourquoi, malgré la réserve de M. Drouyn de Lhuys quant à l'avenir, nous ne pouvons croire que la France abandonnera jamais ni la personne du Souverain Pontife, ni les droits justes et légitimes du Saint-Siége. C'est un engagement d'honneur pris par elle et qui la lie un peu plus que ne paraît le croire le Ministre français, à en juger par ses conversations avec Votre Excellence.

Il reste encore plus d'une année à courir jusqu'à ce que l'évacuation soit devenue complète; et pendant ce temps il est probable, ou au moins très-possible, que la situation publique à Rome se modifie, s'il faut en croire les récents changements opérés dans l'administration.

Le Gouvernement de Sa Majesté approuve complétement la conduite de Votre Excellence; il attend de votre zèle très-connu que vous suiviez avec attention toutes les phases de cette importante question et que vous saisissiez toutes les occasions qui se présenteront pour influer avec le Gouvernement sur la résolution qui sera adoptée à l'effet de sauvegarder les intérêts du Saint-Siége, dans le cas où ils se verraient menacés.

Signé: BERMUDEZ DE CASTRO.

M. F. de Zea Bermudez à M. Bermudez de Castro.

Rome, le 23 octobre 1865.

(Extrait.) Monsieur le Ministre, l'évacuation française n'a pas encore commencé; mais elle sera effectuée le mois prochain de la manière que j'ai indiquée à Votre Excellence dans mes dépêches précédentes.

Jusqu'ici on ne s'aperçoit encore que d'un mouvement de concentration dans la province méridionale de Frosinone, et seulement sur les points les moins importants; car la capitale de la province est toujours occupée par les troupes impériales. Si l'on n'a point encore remis aux forces pontificales la capitale de cette province et si l'on ne continue pas le mouvement de concentration, c'est qu'on attend à cet effet l'arrivée du général en chef comte de Montebello, qui doit venir vers la fin de ce mois.

Ensuite, comme le choléra paraît avoir diminué d'intensité à Toulon et à Marseille, on commencera l'évacuation partielle, en faisant partir trois ou quatre mille hommes.

Néanmoins, une opinion très-généralement accréditée ici, c'est que la France, même en embarquant, dès à présent, une partie de ses troupes, n'arrivera pas à évacuer complétement le territoire romain, parce qu'elle ne saurait renoncer à l'intérêt qu'elle a, au fond, de l'occuper. On croit qu'avant l'expiration du terme fixé par la Convention, la France trouvera des motifs et des prétextes pour ne pas abandonner Civita-Vecchia, au moins.

Cette pensée avait cours, il y a quelques mois, jusque dans les sphères gouvernementales; mais je puis assurer à Votre Excellence qu'aujourd'hui on y a la conviction intime du contraire, et qu'on est persuadé que l'Empereur entend réaliser dans son entier l'évacuation projetée.

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Quoi qu'il en soit, il est indubitable qu'ici on craint, non pas qu'une attaque extérieure vienne menacer le pouvoir du Saint-Siége, mais que, dès que les dernières troupes françaises auront quitté le territoire, on ne conspire à l'intérieur; que des machinations ne soient fomentées du dehors, et qu'il ne naisse, au sein même du pays, des circonstances de nature à mettre en péril la cause de la Papauté.

Pour ce qui touche aux stipulations inscrites dans le Traité du 15 septembre en faveur du Saint-Siége, on ne doute pas qu'elles soient observées littéralement et exactement; le pays sera entièrement abandonné à ses propres forces et aux éléments qui le composent.

ARCH, DIPL. 1866 — Iv

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