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tions; il décide que dans ce cas, de nouvelles inscriptions devront être prises au bureau de la situation des lieux. Nous ne nous dissimulons pas les inconvénients qu'entraînera cette manière de procéder; l'ancien ordre des inscriptions va disparaître, et les créanciers hypothécaires exerceront tous leurs droits à la même date; mais on ne saurait se soustraire à l'application de l'article 2147 du Code civil; avant tout, le principe de publicité doit recevoir satisfaction.

22. L'administration pourrait, dans l'intérêt de la navigation et du flottage, entreprendre des travaux dont le résultat serait de faire rentrer le fleuve dans son ancien lit, nous croyons que, dans ce cas, une indemnité devrait être accordée aux propriétaires dont les terrains auraient été momentanément submergés, et qui auraient perdu la compensation que leur assurait l'article 563. M. Chardon (Tr. de l'Alluvion, no 182) reconnaît également aux riverains de l'ancien lit, qui désireraient conserver leur adhérence au cours d'eau, le droit de faire tous travaux pour replacer ce cours d'eau dans sa première direction, en remplissant les mêmes conditions d'indemnité. Il est vrai que la considération d'utilité publique cesse d'appuyer cette proposition; mais, dit le savant magistrat, d'autres motifs paraissent également suffisants pour le faire également adopter dans cette nouvelle hypothèse. Ce n'est qu'à titre d'indemnité que la loi accorde l'ancien lit à ceux qui supportent le nouveau; lors donc qu'on leur offre une indemnité équivalente, ils restent sans intérêt à refuser cette offre, et comme une des règles les plus invariables dans l'administration de la justice est que l'intérêt est la mesure des actions, leur résistance devrait être réprouvée. Il serait par trop rigoureux de prétendre qu'il doit être interdit aux propriétaires des usines situées sur l'ancien lit de ramener le cours d'eau à sa direction pri

mitive, et qu'un accident réparable de fait doit être considéré comme légalement irréparable. Enfin, il peut arriver qu'après un espace de temps plus ou moins long, la rivière rentre naturellement dans son ancien lit. Il semble logique de décider que les terrains qu'elle avait autrefois envahis vont revenir à leurs propriétaires primitifs; cependant, en droit romain, quelques doutes s'étaient élevés et Gaius ne se prononçait qu'avec une certaine hésitation :

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Si cujus tamen totum agrum novus alveus occupaverit, licet ad priorem alveum reversum fuerit flumen, non tamen is cujus ager fuerat, stricta ratione quidquam in eo alveo habere potest, quia ille ager qui fuerat, desiit esse, amissa propria forma, et qui vicinum prædium nullum habet, non potest ratione vicinitatis ullam partem in eo habere, sed vix est ut id obtineat. » L. 7, § 5 ff. de acq. rer. dominio (XLI, 1). Dans notre ancien droit, Boutaric (Inst., p. 150) regardait encore comme plus sûr de refuser tout droit à l'ancien propriétaire; mais il ajoutait de suite, « Automne sur cette loi rapporte un arrêt du Parlement de Bordeaux, qui, préférant la raison d'équité à cette autre, que la loi appelle stricta ratio, adjugea le nouveau canal qu'avait occupé la rivière de Garonne et que cette rivière avait abandonné quinze ou seize ans après pour reprendre son ancien lit, à ceux qui en étaient originairement les propriétaires, et je suis persuadé que si le cas se présentait, on jugerait encore de même. Actuellement, le droit des anciens propriétaires peut être regardé comme hors de toute contestation; du jour où les terrains qui leur avaient été attribués, à titre d'indemnité, ont été envahis par les eaux, ces propriétaires peuvent revendiquer les terrains laissés à sec par le nouveau mouvement de la rivière, c'est-à-dire les fonds qui leur appartenaient autrefois; suivant la remarque de MM. Aubry et Rau (t. II, § 203, p. 259), le droit de revendication ne pourra s'exercer que si ces propriétaires

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n'ont point aliéné les portions de terrains qui leur avaient été ainsi attribuées à titre d'indemnité; au cas d'aliénation, l'acquéreur de ces parcelles serait le seul qui pût, en vertu de l'article 563, avoir un droit quelconque sur le lit actuellement délaissé par la rivière.

§ III

Des atterrissements susceptibles de constituer
une propriété privée.

A. Hypothèse de l'alluvion proprement dite.

B. Hypothèse de l'avulsion.

:

A

23. Les alluvions profitent dans tous les cas aux propriétaires riverains telle est la solution des articles 556 et 557 C. civ. - Article 556: « Les atterrissements et accroissements qui se forment successivement et imperceptiblement aux fonds riverains d'un fleuve ou d'une rivière s'appellent alluvions. L'alluvion profite au propriétaire riverain, soit qu'il s'agisse d'un fleuve ou d'une rivière navigable, flottable ou non, à la charge, dans le premier cas, de laisser le marchepied ou chemin de halage, conformément aux réglements. » Article 557 : « Il en est de même des relais que forme l'eau courante qui se retire insensiblement de l'une de ses rives en se portant sur l'autre ; le propriétaire de la rive découverte profite de l'alluvion sans que le riverain du côté opposé y puisse réclamer le terrain qu'il a perdu..... Le Code civil suit en cette matière les traditions de la loi romaine; la définition de l'article 556 ne fait que reproduire le paragraphe 20, Inst. de divis. rerum (II, 1). Est autem alluvio incrementum latens; per alluvionem autem id videtur adjici quod ita paulatim adjicitur

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ut intelligere non possis quantum quoquo momento temporis adjiciatur. "Le droit de propriété des riverains avait été bien nettement consacré par une constitution de Théodose et Valentinien de l'an 440. « Ea quæ per alluvionem sive in Ægypto per Nilum, sive in aliis provinciis per diversa flumina possessoribus acquiruntur neque ab ærario, neque · a quolibet vendi, neque separatim censeri vel functiones exigi hac perpetuo valitura lege sancimus. L. 3, C. de alluvionibus (VII, 1). Nous trouvons de même dans les Institutes : 66 Quod per alluvionem fluvio tuo adjecit, jure gentium tibi acquiritur. "Au moyen-âge, rien de plus obscur que la matière des alluvions, et il est difficile de se reconnaître au milieu du chaos de textes contradictoires que présentent les ouvrages de l'époque. L'opinion commune était que les alluvions doivent appartenir aux seigneurs haut-justiciers si elles se forment sur une rivière non navigable. Une des maximes de Loysel portait que la rivière ôte et donne au haut-justicier. Liv. II, tit. 11, no 9. Et Laurière ajoutait : « le sens de cette règle est que la terre que la rivière emporte est perdue pour le propriétaire, et que cette terre qu'elle joint et unit à un autre fonds n'appartient point au propriétaire de ce fonds, mais au seigneur haut-justicier. » En ce sens, on citait un arrêt du Parlement de Paris du 30 mars 1601. Les droits du roi sur les alluvions des rivières navigables étaient affirmés par Bacquet, qui énonce comme une chose universellement reçue que les lois qui attribuent la propriété des îles, javeaux, atterrissements et assablissements aux détenteurs et propriétaires des héritages adjacents n'avaient jamais été pratiquées en France (Dr. de Justice, ch. xxx, n° 6). Des lettres-patentes du 18 avril 1572 avaient notamment mandé aux trésoriers généraux de France d'informer des entreprises faites sur les îles et alluvions des principales rivières du royaume; même injonction était faite aux

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agents du domaine par la déclaration du mois d'avril 1683. Il paraît, du reste, que le droit de propriété du roi n'était considéré que comme un droit purement nominal; en fait les usurpations étaient si fréquentes, qu'un édit de mars 1693 prescrivit d'interrompre les recherches commencées en vertu de la déclaration de 1683; le roi consentait à maintenir dans leur jouissance ceux qui se trouvaient en possession d'atterrissements ou alluvions fluviales. Tel était le droit commun, la plupart des coutumes dissidentes attribuaient les alluvions à ceux dont les héritages étaient bordés par la rivière, tantôt aux seigneurs fonciers, tantôt aux riverains quels qu'ils fussent. Suivant l'ancienne coutume de Bourbonnais, les seigneurs fonciers ont droit aux alluvions dans les châtellenies de Montluçon et de Heriçon; les coutumes de Normandié (art. 195), d'Auxerre (art. 263), de Sens (art. 154) se prononcent en faveur des riverains. Enfin, nous devons ranger dans une classe à part certaines coutumes qui ne reconnaissent pas l'existence du droit d'alluvion. C'était un adage admis en Franche-Comté que « le Doubs ne tolle ni ne baille. Nous citerons l'article 212 de la coutume de Bar: « Celui qui perd son héritage ou partie d'icelui, par le moyen du cours de la rivière, en peut reprendre autant de l'autre côté, moyennant que le voisin ou les voisins du dit côté aient ce qui leur appartient. De même, article 46 Si rivières et eaux en dehors

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de la coutume de Hesdin : de l'ancien cours gagnent quelque chose contre autrui, soit sur prés, jardins, manoirs et terres à labourer ou bois, par mesureur sermenté, on les redresse et remet en leur ancien cours au plus près que faire se pourra. » - En pays de droit écrit, les riverains jouissaient des alluvions dans les termes de la constitution de Théodose; aucune incertitude sur ce point. Cependant au XVIIIe siècle, les agents du fisc avaient, à deux reprises différentes, cherché à dépouiller

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