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203), l'hypothèse serait régie, soit par l'art. 559, soit par l'art. 563; la masse de sable emportée par les eaux, la portion de terrain laissée à sec par le retrait de la rivière, appartiendraient au propriétaire dont l'héritage aurait été envahi par le reflux de la rivière; selon les circonstances, on pourrait dire, ou que le fleuve a enlevé subitement une partie considérable d'un champ riverain et l'a portée sur le fond d'autrui ou que la rivière s'est formé un nouveau lit et que les terrains abandonnés doivent être attribués à celui dont le domaine est occupé par les eaux. Bien qu'il ait été consacré par un arrêt de Paris, du 1er décembre 1855 (Dev. 56, 2, 431), ce système est communément abandonné; d'une part, en effet, la revendication autorisée par l'article 559 ne peut s'exercer que si la superficie du champ a seule été enlevée. Cet article, disait M. Tronchet, ne s'applique qu'à l'enlèvement de la superficie, et non au cas où le fonds même a été enlevé. » Locré T. VIII, p. 126. Dans notre espèce, le fonds lui-même a disparu : donc, à ce point de vue, l'action de l'ancien propriétaire doit être déclarée non recevable. D'autre part, l'article 563 suppose le changement total du lit de la rivière et non un simple déplacement partiel. Or, pourrait-on dire qu'en fait la rivière s'est créé un nouveau cours, que l'ancien lit est abandonné? M. Demolombe (t. X, no 62) croit que les terrains en question, bien que n'étant pas de véritables terrains alluvionnaires, n'en doivent pas moins être attribués aux riverains dont ils joignent l'héritage. Pour établir les droits de ces derniers, dans le cas du lais proprement dit, il soutient qu'en principe, lorsqu'aucune réclamation n'est possible, les portions de terrain enlevées d'un champ voisin appartiennent au propriétaire du fonds auquel elles ont été unies;

si nul ne peut justifier de sa propriété sur les matières dont un attérissement subit est formé, ce lais appartient en vertu du texte même de la loi au propriétaire de la rive à

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laquelle il s'est uni; telles sont ses propres expressions. Dans le cas du relais, il se fonde sur cette considération que les riverains ne peuvent, par suite d'un fait accidentel, être privés des avantages que leur assurait la contiguité du cours d'eau. Une troisième opinion à laquelle nous nous rallions sans réserve, fait prévaloir le droit de l'Etat sur celui des propriétaires primitifs et sur celui des riverains. Les atterrissements qui se forment dans le lit des rivières navigables, appartiennent à l'Etat, dit l'article 560 par cette expression: atterrissement, le législateur a principalement voulu désigner les terrains dont nous nous occupons en ce moment. M. Demolombe a toutefois essayé de contester cette interprétation si simple et si naturelle: il croit que l'art. 560 n'a songé qu'aux atterrissements qui se forment dans le lit du fleuve, sans adhérence à ses rives. L'art. 561 qui est en corrélation intime avec l'art. 560, démontrerait que dans la pensée des rédacteurs du Code, les mots « îles et atterrissements étaient absolument synonymes. A l'appui, il cite les paroles de M. Treilhard, déclarant au Conseil d'Etat que l'art. 560 avait en vue les morceaux de terre qui se placent au milieu du cours d'eau. » La meilleure réponse à faire à cet argument de texte est de transcrire ici l'art. 561: « Les îles et atterrissements qui se forment dans les rivières non navigables ni flottables, appartiennent aux propriétaires riverains aux côtés où l'île est formée : si l'île n'est pas formée d'un seul côté, elle appartient aux propriétaires riverains des deux côtés à partir de la ligne qu'on suppose tracée au milieu de la rivière. » Le législateur veut uniquement nous dire comment aura lieu entre les propriétaires riverains, le partage des îles, mais non pas sans dire que pour lui l'île et l'atterrissement constituent une seule et même chose. De même, si l'on veut lire dans son entier la phrase prononcée par M. Treilhard, on verra que l'orateur était loin d'avoir les intentions que lui prête

M. Demolombe la portée de ses expressions a été singulièrement dénaturée. Cette prétendue explication de l'article 560 nous semble d'autant plus extraordinaire qu'elle est contradictoire avec tous les précédents de la matière. Le sens du mot atterrissement avait déjà été nettement précisé dans notre ancien droit on voyait là un fait d'une nature toute particulière, et qu'il fallait distinguer avec soin de l'alluvion proprement dite. M. Demolombe en convient lui-même, quand il dit : « La distinction entre les alluvions proprement dites et les autres espèces d'atterrissements était, dans notre ancien droit, de la plus haute importance, et les auteurs du Nouveau Denizart remarquent, en effet, que c'est faute d'avoir distingué l'alluvion des autres espèces d'atterrissements, que quelques auteurs ont dit que l'alluvion appartenait au prince; tandis qu'il est constant qu'elle est acquise par droit d'accession aux propriétaires riverains." (T. X, n° 7 bis). Se plaçant à un dernier point de vue, M. Demolombe déclare ne pas comprendre comment l'Etat bénéficierait de ces atterrissements, alors qu'aucun dommage ne lui a été causé : le lit est toujours le même, et ce qu'il a perdu d'un côté, il l'a gagné de l'autre ; il l'a gagné sans aucune charge, sans aucune obligation d'indemnité envers le propriétaire sur lequel la force majeure des eaux a fait porter le courant et aux dépens duquel elle a grandi le lit du fleuve. Pour nous, une raison majeure commandait d'attribuer ces terrains au domaine public: l'Etat devait pouvoir en disposer à sa guise, et les supprimer dès que le moindre inconvénient se ferait sentir; la loi s'est surtout préoccupée des intérêts de la navigation, que la présence de ces bas fonds entraverait singulièrement. Nous rappellerons le discours du Tribun Grenier devant le Corps Législatif. « L'intérêt du commerce exige que les fleuves ou rivières soient libres; la nation a déjà l'avantage de ne dessaisir personne de ces objets, pour qu'ils n'appar

tiennent à aucun particulier : elle se dispense seulement d'exercer aucune sorte de libéralité, parce que le public en souffrirait. Locré, T. VIII, p. 207-208.

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31. Les alluvions peuvent n'être pas l'oeuvre exclusive de la nature et du mouvement spontané des eaux; les riverains cherchent souvent à les faciliter en faisant des plantations ou autres ouvrages destinés à fixer sur le bord de leurs héritages le gravier et le limon qui pourraient y être déposés. Dès le moyen-âge, cette espèce préoccupait les jurisconsultes ; Barthole disait : « Insulam quæ divina potestate sive hominis manu et opera facta fuerit, eodem jure censeri oportebit, ut proximiorum fiat. " Aymus ajoutait qu'en pareille circonstance, le droit des riverains ne lui paraissait pas susceptible de controverse; il faisait observer que telle était la jurisprudence des rotes de Rome et de Florence. Voet leur permettait de même de favoriser la formation d'alluvions « in suam utilitatem moles in flumine erigendo, plantando, ripam muniendo aliisque modis dummodo navigationi aut agro quæsito non officiant. " Ainsi donc, il est bien certain que l'alluvion appartiendra aux riverains, toutes les fois que les ouvrages en question ne seront pas préjudiciables aux autres propriétaires, en refoulant les eaux du fleuve sur leurs héritages, ou n'entraveront pas le service de la navigation (Req. Rej. 8 juillet 1829. Sir., 29, 1, 437). Mais que décider si cette double condition ne se trouvait pas remplie ? Il est une première hypothèse qui ne peut faire difficulté ; un riverain, sans intention de nuire aux autres propriétaires, a construit une digue le long de son terrain, de manière à le mettre à l'abri de l'action des eaux. Les textes du droit Romain lui attribuent l'alluvion qui se formera par suite de la construction de cette digue. « Sunt qui putent excipiendum contra hoc interdictum quod ejus ripæ muniendæ causa non fiat, scilicet ut, si quid fiat, quo aliter aqua fluat, si tamen

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muniendæ ripæ causa fiat, interdicto locus non sit. Sed nec hoc quibusdam placet, neque enim ripæ cum incommodo accolentium muniendæ sunt. Hoc tamen jure utimur ut prætor ex causa æstimet an hanc exceptionem dare debeat; plerumque enim utilitas suadet exceptionem istam dari. Sed, etsi aliqua utilitas vertatur ejus qui quid in flumine publico fecit (pone enim grande damnum flumen ei dare solitum, prædia ejus depopulari) si forte aggeres, vel quam aliam munitionem adhibuit ut agrum suum tueretur, eaque res cursum fluminis ad aliquid immutaverit, cur ei non consulatur? Plerosque scio prorsus flumina avertisse, alveosque mutasse dum prædiis suis consulunt; oportet enim in hujusmodi rebus utilitatem et tutelam facientis spectari sine injuria utique accolarum. » L. un. § 6 et 7 ff, ne quid in flumine publico (XLIII, 13). Supposons maintenant que dans le but de faire naître l'alluvion, un riverain ait eu recours à des moyens illicites et nuisibles à ses voisins. Ici, les auteurs se trouvent partagés. Les uns, se fondant sur un arrêt du Parlement d'Aix, du 30 avril 1782, et sur une observation présentée par le Tribunal d'appel de Bourges, lors de la rédaction du Code, soutiennent que l'alluvion ne peut appartenir au propriétaire qui l'aura ainsi provoquée; ce propriétaire devra abandonner au tiers dont l'héritage a été inondé, une quantité de terrain égale à celle que la fraude aurait conquise. M. Demolonde (t. X, n° 67) regarde avec raison cette solution comme inadmissible; l'indemnité qu'elle offre à celui dont le terrain a été envahi, serait tantôt dérisoire, s'il n'obtenait de l'autre côté qu'une bande de terrain inutile pour lui, tantôt excessive, si ce terrain avait une valeur quelconque, l'autre propriétaire se trouvant privé de la contiguité du cours d'eau. Nous croyons donc qu'il y aurait purement et simplement à appliquer l'article 1382, et à allouer une indemnité pécuniaire proportionnée au dommage éprouvé. Bien

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