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navigables, tous ceux qui rapporteraient des titres antérieurs à 1566, tels que des aveux et dénombrements, des contrats d'inféodation, des contrats d'aliénation et d'engagement. En 1686 et en 1689, deux nouveaux édits sont obligés de reconnaître que ces vérifications et récollements de titres sont impossibles en Languedoc et en Bretagne ; on maintient les possesseurs dans leurs droits actuels, en les obligeant seulement à payer une simple redevance à titre d'indemnité. L'édit du mois de décembre 1689 appliqua cette mesure à tout le royaume; on se résignait à laisser jouir paisiblement ceux qui justifiaient d'une possession antérieure à 1669. Ainsi donc on avait posé un principe, mais il avait été impossible d'en tirer une conséquence pratique.

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3. La Révolution poursuivit l'œuvre commencée par Louis XIV. Dans la nuit du 4 août 1789, disparaissent tous les droits féodaux de bacs, de péages que l'ancien régime avait été obligé de respecter en désespoir de cause. Bientôt la loi des 22 novembre-1er décembre 1790 place les rivières navigables parmi les biens du domaine public. Enfin la loi des 28 septembre - 6 octobre 1791 termine la grande lutte entre l'Etat et les particuliers. « Nul ne peut se prétendre propriétaire exclusif des eaux d'un fleuve ou d'une rivière navigable ou flottable. » A l'époque où fut rédigé l'art. 538 C. Civ, personne ne contestait plus la domanialité des rivières navigables.- En même temps, la Constituante, complétant les dispositions de l'ordonnance de 1669, s'occupait de maintenir la liberté des rivières et de prévenir le retour des anciennes usurpations. La loi des 22 décembre 1789-1er janvier 1790 chargeait les administrations départementales de leur conservation, et ses prescriptions étaient complétées par la loi en forme d'instruction des 12-20 août 1790. Dans son arrêté du 19 ventose an vi, le Directoire chargeait encore les municipalités de vérifier l'existence

légale des ponts, chaussées, digues, écluses, moulins et autres établissements de ce genre nuisibles à la navigation : ceux d'entre eux qui ne justifiaient d'aucun titre ou qui n'auraient été autorisés que par des actes entachés de féodalité devaient être immédiatement détruits. On déclarait de plus que désormais aucun travail ne pourrait être exécuté sans la permission de l'administration centrale, ce qui s'appliquait surtout aux prises d'eau dans l'intérêt des usines et de l'irrigation. Les considérants de cet arrêté nous montrent quels résultats avait produits le régime de tolérance antérieur à 1789: inondation de terres riveraines et interruption de la navigation, atterrissement des rivières et canaux navigables, dont le fond ensablé ou envasé s'élevait dans une proportion effrayante, etc., etc. — Enfin la loi du 29 floréal an X vint sanctionner tous les réglements nouveaux, en déclarant que les contraventions seraient constatées, réprimées et poursuivies dans la forme administrative.

4. Les rivières navigables, dit actuellement l'art. 538 C. Civ., font partie du Domaine public. Quel est donc le sens de ce mot: Rivière navigable? Nous répondrons que doit être considérée comme telle toute rivière qui porte le bateau, soit naturellement, soit à l'aide d'ouvrages d'art. Dans notre ancienne jurisprudence, l'ordonnance de 1669 (Tit. XVII, art. 41) n'attribuait au domaine royal que les fleuves portant bateaux sans artifice ni ouvrage de mains. Malgré la précision de ce texte, quelques auteurs soutenaient que l'on n'avait entendu faire aucune distinction entre les rivières navigables et les rivières canalisées. Pour eux, l'art. 41 n'était qu'une disposition purement énonciative : on avait voulu dire non pas que les rivières portant bateau sans artifice ni ouvrage de mains appartenaient seules au domaine public, mais simplement que ces rivières en faisaient incontestablement partie. A la lettre de l'art. 41, ils opposaient d'autres dispositions conçues dans des termes

tout-à-fait généraux. L'art. 3, tit. 1, par exemple, attribuait à la juridiction des eaux et forêts les actions relatives aux prétentions et entreprises sur toutes les rivières navigables et flottables. L'art. 23, tit. III, soumettait au même régime toutes les rivières navigables, sans qu'il y eût à rechercher si la navigabilité était naturelle ou si, au contraire, elle ne résultait que de travaux antérieurement accomplis. Quoi qu'il en soit de cette controverse, aucun doute ne peut s'élever aujourd'hui. Les expressions restrictives de l'ordonnance ne sont reproduites ni par la loi de 1790, ni par le Code civil. En 1829, M. de Malleville, rapporteur de la loi sur la pêche fluviale, s'exprimait ainsi devant la Chambre des pairs : « D'après l'ordonnance de 1669, pour que la propriété d'un fleuve ou d'une rivière navigable fit partie du domaine public, il fallait qu'ils fussent naturellement navigables, qu'ils portassent bateau de leur fond et sans artifice ni ouvrage de mains. Le projet étend le droit du domaine sur tous les cours d'eau navigables ou flottables dont l'entretien est à la charge de l'Etat ou de ses ayantcause. » Il ajoutait plus bas : « L'art. 538 considère comme dépendances du domaine public tous les fleuves et rivières navigables ou flottables sans distinction. » Aussi les arrêts intervenus sur la matière se contentent-ils de dire que l'art. 538 C. Civ. ne fait aucune différence entre les rivières navigables de leur propre fond et celles qui le deviennent par les œuvres de l'homme ; que les unes et les autres sont considérées comme des dépendances du domaine public; que, s'il en était autrement, l'Etat ne deviendrait pas propriétaire des rivières qu'il rendrait navigables, ce qui préjudicierait à la navigation. (V. not. Req. Rej. 29 juillet 1828; Dev. C. N. 9, 1, 144; C. d'Etat, 23 avril 1823; Macarel 23, 287.). Mais, en fait, il arrive souvent que l'administration, en permettant à un particulier de rendre navigable à ses frais telle ou telle partie d'un cours d'eau, déclare que

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néanmoins le cours d'eau ne sera pas considéré comme navigable. Dans un assez grand nombre de décrets et d'ordonnances, nous trouvons la disposition suivante : « L'autorisation d'effectuer des travaux sur la rivière n'aura pas pour effet de la faire classer au nombre des rivières navigables ou flottables. Nous croyons, pour notre part, qu'il ne faudrait pas exagérer les conséquences de la fiction que consacre cette formule. Sans aucun doute, les riverains jouiront, comme par le passé, du droit de pêche ; leurs héritages ne seront pas grevés des servitudes qui pèsent sur les propriétés joignant un cours d'eau navigable (C. d'Etat du 10 juillet 1862; Lebon, 62, 567); ils continueront à être tenus du curage et de l'entretien de la rivière; mais faut-il dire qu'ils pourront encore invoquer l'art. 644 et dériver les eaux pour l'irrigation de leurs propriétés? Il semble difficile jusque là. Ce serait permettre aux riverains d'interrompre la navigation et de rendre inutiles les travaux accomplis. A ce point de vue, ils se trouveront dans la même situation que les riverains d'un cours d'eau navigable. Ils ne pourront faire de prises d'eau que dans les termes de l'arrêté du 19 ventose an VI et de la circulaire du 23 octobre 1851. Seulement ils pourront réclamer une indemnité pour le dominage qui leur aura été causé par l'établissement de la navigation: nous appliquons par analogie l'art. 3 du décret du 22 juin 1808.

5. Dans quel cas peut-on dire qu'une rivière porte bateau? Il faut, suivant les expressions de M. Demolombe (T. IX, no 457 bis), que cette rivière puisse, d'amont en aval, servir de moyen de transport et faire l'office de grand chemin. La même idée se retrouve dans le rapport de M. de Malleville sur la loi du 15 avril 1829. « Il résulte évidemment de la disposition qui se trouve dans l'art. 1, qu'il ne suffit pas pour qu'une rivière soit déclarée navigable ou flottable et que le droit de pêche en soit dévolu à l'Etat,

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qu'elle ne puisse être traversée qu'en bateaux ; il faut, en outre, qu'on puisse y naviguer librement, y circuler en bateaux, trains ou radeaux, du moins pendant une partie de l'année, depuis le point où elle aura été navigable jusqu'à son embouchure. » Ainsi, ce ne serait pas assez qu'il circulât sur ce cours d'eau des embarcations de plaisance ou bien quelques bateaux utilisés par les riverains pour le transport de leurs récoltes ou de leurs engrais, la jurisprudence se refuse à voir là une véritable navigation (C. d'Etat 1er décembre 1853; Lebon, 53, 972). Un arrêt de la Cour de Paris du 2 août 1862 (Dev. 62, 2, 355) a décidé en conséquence que les propriétaires riverains pourraient barrer, à l'aide d'une chaîne, le cours de ces rivières et y empêcher ainsi toute circulation. De même une rivière ne serait pas réputée navigable par ce fait seul qu'on pourrait la traverser pour se rendre d'un bord à l'autre ou que des particuliers y auraient établi un bac. C'est ce que nous trouvons consacré par un arrêté du préfet de la Corrèze, en date du 21 juillet 1821. La navigation doit, en outre, avoir lieu d'une manière continue. Donc, on ne peut assimiler aux rivières navigables le cours d'eau dont le lit serait périodiquement desséché pendant les chaleurs de l'été. — D'autre part, dès que ces deux conditions sont remplies, peu importerait que, pour un motif ou pour un autre, la navigation ne fût pas, en fait, établie sur la rivière. Cette circonstance ne saurait préjudicier aux droits imprescriptibles du domaine. Même décision au cas où la navigation n'aurait été que momentanément suspendue à la suite d'événements extraordinaires (C. d'Etat 22 février 1850; Lebon 50, 185). Une difficulté aurait pu se présenter relativement à certaines rivières qui, en raison de leur rapidité, ne peuvent être parcourues par des bateaux proprement dits et sur lesquelles le transport des marchandises n'a jamais lieu qu'au moyen de radeaux. Les jurisconsultes romains se demandaient

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