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fonctionnaires et dans un intérêt général, que la mission qui leur est ainsi confiée ne touche qu'indirectement aux intérêts privés; que, d'autre part, le droit de réclamer des honoraires constituant une exception, ne peut exister que lorsque les intérêts privés se trouvent directement en jeu. Subsidiairement, le savant auteur soutenait que, même en admettant l'interprétation donnée au décret par l'administration, il fallait reconnaître un véritable excès de pouvoir dans l'application qu'elle en faisait. Il lui reprochait de laisser de côté ces mots du décret: « Ce mandat sera exécutoire contre les particuliers qui auront été déclarés devoir..." Le décret, disait-il, exige une déclaration préalable antérieure au mandat qui, seule, peut constituer l'usinier débiteur d'honoraires. Or, cette déclaration préalable ne peut résulter 1° que des jugements de condamnation émanés soit des tribunaux ordinaires, soit des tribunaux administratifs; 2o que des marchés passés avec l'administration; 3° que des concessions purement gracieuses et facultatives de l'autorité administrative. On saisit du premier coup d'œil les conséquences de ce système; sans doute, les ingénieurs peuvent réclamer des honoraires lorsque l'usine est située sur une rivière navigable; mais cette faculté cessera absolument pour eux lorsqu'il s'agira de l'autorisation ou du règlement d'une usine située sur une rivière non navigable ni flottable. Ce qui revient à dire, d'une manière plus générale, que les ingénieurs n'ont point droit à des honoraires pour la part qu'ils prennent à l'exercice de la police des eaux, puisque dans tous les cas où le droit de police est seul exercé, la déclaration préalable est impossible.

279. La question ainsi soulevée par M. Bordeaux, n'a plus aujourd'hui qu'un intérêt historique; le décret de l'an XII a été complétement remanié par un décret du 10 mai 1854. D'après l'article 2, § 4, les ingénieurs des Ponts et Chaussées ont droit à l'allocation de frais de voyage

et de séjour à la charge des intéressés, mais sans honoraires ni vacations, lorsque leur déplacement a pour objet l'instruction de demandes relatives à l'établissement d'usines hydràuliques, de barrages ou de prises d'eau d'irrigation ou à la modification d'établissements déjà existants; la réglementation des mêmes établissements, lorsqu'ils existent déjà sans être pourvus d'autorisations régulières; le récolement des travaux prescrits par les règlements; la vérification postérieure au récolement, des points d'eau et ouvrages régulateurs des usines hydrauliques, étangs, barrages et prises d'eau d'irrigation, lorsque cette vérification a lieu sur la demande d'un intéressé. Les frais de voyage dus aux ingénieurs sont, suivant l'article 4, calculés d'après le nombre de kilomètres parcourus, tant à l'aller qu'au retour, à partir de leur résidence et à raison de 0'50 par kilomètre pour les ingénieurs en chef et 0'30 pour les ingénieurs ordinaires; ce tarif est réduit de moitié pour les trajets en chemin de fer. Les frais de séjour sont réglés à 12 francs par jour pour les ingénieurs en chef, à 10 francs pour les ingénieurs ordinaires (Art. 3.) Le décret de l'an XII ne s'était point occupé de régler, au point de vue dont nous nous occupons, la situation des agents inférieurs des Ponts et Chaussées : la jurisprudence avait comblé partiellement cette lacune en décidant que les conducteurs avaient droit à des honoraires et à des frais de voyage et de séjour tout comme les ingénieurs eux-mêmes (Civ. Rej. 23 mai 1838. Dev. 38-1-617); mais il y avait doute en ce qui concernait les piqueurs des Ponts et Chaussées, dont l'existence légale n'était point reconnue par le décret de l'an XII; aussi, contestait-on aux préfets le droit de mandater les honoraires par eux prétendus. Le décret de 1854 se montre très-libéral vis-à-vis de ces agents secondaires; il leur reconnaît formellement le droit aux frais de voyage et de séjour, quel que soit leur grade, quel

que soit leur titre (Frais de voyage, 0 franc 20 par kilomètre parcouru; frais de séjour, 5 francs par jour.) Dans le cas où les ingénieurs ou agents secondaires s'occuperaient dans une même tournée de plusieurs affaires donnant lieu à l'allocation de frais de voyage, l'article 3 ajoute que le montant de ses frais sera calculé d'après la distance effectivement parcourue et réparti entre les intéressés proportionnellement aux frais qu'ont entraînés l'instruction isolée de chaque affaire; la règle est la même en ce qui touche la répartition des frais de séjour. Enfin, il demeure bien entendu qu'il ne sera point alloué de frais de déplacement aux ingénieurs ou aux agents secondaires lorsque le déplacement n'excède point les limites de la commune où ils résident.

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279. Le décret de l'an XII voulait que le recouvrement des frais d'ingénieur eût lieu «par voie de contrainte comme en matière d'administration. Ces expressions assez obscures avaient été interprétées par deux instructions ministérielles en date des 7 novembre 1828 et 20 avril 1830 qui faisaient rentrer ces recouvrements dans les fonctions des receveurs de l'enregistrement. Dans la pratique, on dérogeait à ces instructions, toutes les fois que les frais et honoraires d'ingénieur à recouvrer étaient l'accessoire de frais matériels, tels, par exemple, que des frais de curage qui devaient être recouvrés par les percepteurs des contributions. directes. Le décret du 9 mai 1854 laissait subsister cet état de choses, en renvoyant purement et simplement au décret de l'an XII. D'après ses articles 6 et 7, les frais de voyage et de séjour font l'objet d'états énonçant la date du déplacement, la distance parcourue et- le temps employé hors de leur résidence par chacun des ingénieurs et des agents placés sous leurs ordres; les frais d'opération et d'épreuve sont justifiés dans les formes prescrites pour la justification des dépenses en régie dans le service des Ponts

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et Chaussées le tout est soumis par l'ingénieur en chef à l'approbation du préfet qui examine s'il y a lieu d'ordonner de suite le recouvrement de ces frais; la jurisprudence lui reconnaît un pouvoir discrétionnaire pour le soumettre à telles ou telles conditions, par exemple pour décider qu'il n'aura lieu que moyennant telles ou telles justifications, ou qu'après l'achèvement des travaux (C. d'Etat, 31 déc. 1869. —Lebon 69-1050). Après la vérification des pièces, le préfet arrête l'état des frais ou honoraires; cet état est notifié aux parties accompagné d'une expédition des pièces justificatives: le recouvrement est ensuite opéré par le receveur de l'enregistrement. Mais un décret du 27 mars 1854, tout en maintenant la procédure qui doit être ainsi suivie pour arriver au recouvrement des frais, a introduit en cette matière une innovation capitale : « Les mandats exécutoires délivrés par les préfets pour frais et honoraires de toute nature, auxquels donnent lieu les travaux d'intérêt public exécutés d'office ou de gré à gré, à la charge des particuliers, seront recouvrés par les percepteurs des contributions directes. » Joignons à ce texte l'article 454 de l'instruction générale sur la comptabilité, en date du 20 juin 1859: « Sont également rattachés pour ordre au budget départemental les recouvrements. des frais et honoraires de toute nature auxquels donnent lieu les travaux d'intérêt public exécutés d'office ou de gré à gré à la charge des particuliers. Ces recouvrements sont opérés par le percepteur; en vertu de mandements exécutoires délivrés par les préfets et selon les règles suivies en matière de contributions directes. Les mandements exécutoires, lorsqu'ils sont rédigés sur une feuille spéciale, c'està-dire lorsqu'ils ne se trouvent pas au bas des états de frais présentés par les parties intéressées pour obtenir paiement, sont exempts de timbre comme constituant des actes de l'autorité administrative (art. 80 de la loi du 15 mai 1818). · Lorsque le recouvrement a eu lieu, les quittances à

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donner aux percepteurs des contributions directes par les ingénieurs et autres agents des Ponts et Chaussées, pour le paiement des sommes qui leur sont dues pour travaux d'intérêt public à la charge des particuliers, doivent être délivrées sur papier timbré lorsque la somme à recouvrer excède 10 francs, et le droit de timbre est à la charge des parties prenantes; c'est ce qui résulte d'une décision du ministre des finances en date du 30 juin 1856.

280. Ici encore, la question de savoir suivant quelles formes les usiniers pourront se pourvoir contre l'exécution du préfet, ne laisse pas que de présenter certains embarras. M. Nadault de Buffon (T. II, p. 519-520) a soutenu qu'il y avait lieu de porter la difficulté devant les conseils de préfecture Les frais de cette espèce, disait-il, sont par le fait une contribution spéciale nécessitée par le règlement d'eau et mise par le préfet, dans des proportions déterminées, à la charge d'un ou de plusieurs particuliers, s'il y a lieu. Cette contribution a donc une entière analogie avec la contribution spéciale appliquée sous la même forme, dans les règlements concernant le curage, en vertu de la loi du 14 floréal an XI, loi, qui, à juste raison, a placé les réclamations de cette nature dans les attributions de ces conseils, parce que, d'après leur organisation, ils sont chargés du contentieux en matière de contribution. » Sous l'empire du décret de l'an XII, la jurisprudence se prononçait pourtant en sens contraire: elle décidait que le recouvrement des mandats étant confié aux receveurs de l'enregistrement, le recours n'était ouvert à l'usinier que devant les tribunaux civils et conformément aux lois sur la matière de l'enregistrement; d'où cette conclusion, que l'affaire devait être instruite sur simples mémoires respectivement signifiés et sans qu'il y eût lieu d'employer le ministère des avoués. (Civ. Rej. 23 mai 1838. Dev. 38-1-617). Actuellement, il n'en saurait plus être de même d'après la Cour de cassa

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