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son commentaire sur la Coutume d'Angoumois (T. I, p. 298). Nous citerons, à raison de leur précision, les termes dont se servait ce dernier auteur: « La possession la plus longue de pratiquer des tranchées sur les berges ou francsbords du canal pour y prendre de l'eau, ne pouvait pas en prescrire le droit au préjudice du propriétaire du moulin. On ne la regardait que comme précaire, de pure tolérance et de familiarité, parce qu'en fait, le propriétaire qui exploite son moulin, possède les eaux qui le font mouvoir, le canal qui y conduit, et les deux rives qui en sont une dépendance nécessaire; et parce qu'en droit, la possession seule d'une partie d'une chose indivisible, conserve la possession du tout; que deux personnes ne peuvent pas posséder en même temps la même chose pour le total; et que, lorsqu'à défaut de titre, il y a des actes possessoires respectifs, la préférence est due au possesseur en faveur duquel est le droit commun. » Dans les pays de droit écrit, nous retrouvons la même doctrine. Lapeyrère, notamment, ne paraît pas croire que le droit du propriétaire puisse être un instant méconnu (v° Lettre M, no 60). On s'appuyait sur la loi 11, § 1 ff. Communia prædiorum (VIII. 1): « Si prope tuum fundum jus est mihi aquam ex rivo ducere, tacita hæc jura sequuntur ut reficere mihi rivum liceat, ut adire qua proxime possim, ad reficiendum eum ego fabrique mei, item ut spatium relinquat mihi dominus fundi, qua dextra et sinistra ad rivum adeam et quo terram, limum, lapidem, arenam, calcem jacere possim. Enfin, on mentionnait un arrêt du parlement de Bordeaux qui avait maintenu à un particulier, dans le canal de son moulin, le droit de pêche qui lui était contesté par le seigneur haut justicier.

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286. Cette jurisprudence est-elle acceptable sous l'empire du Code civil? L'affirmative compte de nombreux partisans. MM. Proudhon (Dom. Publ. T. III, nos 1082 et seq.), Favard de Langlade (v° Servitude, sect. 2, § 1, no 10),

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Aubry et Rau (T. II, p. 181, § 192, note 5), et en première ligne M. Ravez, qui la soutenait énergiquement dans une consultation délibérée en 1837. Au point de vue théorique, le raisonnement est toujours le même le canal creusé de main d'homme pour l'alimentation d'une usine, se trouve matériellement uni et incorporé à cette usine par les travaux qui s'y rattachent; il ne peut plus en quelque sorte être distingué d'elle: cela, dit-on, est surtout évident lorsque, comme d'ordinaire, le canal qui forme dans toute sa longueur un tout indivisible, traverse l'usine elle-même : donc, il y a nécessité de reconnaître que la propriété du canal et celle de l'usine ne peuvent résider que dans la même main; c'est là une présomption juris et de jure qui ne peut être combattue par aucune présomption contraire et qui conserve toutes ses forces tant que les riverains ne justifieront pas d'un titre dérogeant formellement à cet état de choses légal. On soutient en outre que les textes du droit positif, loin d'être inconciliables avec cette présomption, ne font que la confirmer. Proudhon notamment s'appuie sur l'article 523 du Code civil: « Les tuyaux servant à la conduite des eaux dans une maison ou un autre héritage sont immeubles et font partie du fonds auquel ils sont attachés. Or, qu'est-ce que le canal d'amenée, sinon un tuyau servant à conduire les eaux du point où elles sont détournées jusqu'à celui où elles doivent être utilisées? donc, il fait partie intégrante du fonds à l'usage duquel il est destiné, et par conséquent de l'usine établie sur ce fonds. On invoque encore l'article 558 du Code civil qui établit une présomption juris et de jure, en attribuant au propriétaire d'un étang, le terrain que l'eau couvre quand elle est à la hauteur de la décharge de l'étang, encore bien que le volume de l'eau vienne à diminuer. La loi, a-t-on dit, a voulu que le propriétaire de l'étang conservât toujours et sans que les riverains pussent les posséder utilement, les terrains qui

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sont une dépendance nécessaire de cet étang et sans lesquels il ne saurait atteindre son développement normal; or, le canal d'amenée forme au même titre une dépendance de l'usine qui ne pourrait sans lui fonctionner d'une manière normale. Il y a donc entre les deux hypothèses une identité parfaite et le principe général sur lequel s'appuie l'article 558 doit s'appliquer aussi bien au canal dépendant d'une usine qu'au terrain dépendant d'un étang. Le propriétaire de la partie principale de l'usine est comme le propriétaire de la partie principale de l'étang, nécessairement propriétaire de la partie accessoire qui s'y unit d'une manière indivisible. En définitive, on arrive à cette conséquence devant laquelle Rousseaud de la Combe n'avait point reculé « Les propriétaires des prés près desquels passe le bief ou canal du moulin n'en peuvent prendre l'eau pour les arroser sans un titre exprès et la possession n'en peut acquérir le droit.

287. Une théorie diamétralement opposée est présentée par MM. Duranton (T. V. n° 240) et Daviel (T. II, no 833 et seq.). M. Demolombe (T. XI, nos 129 et seq.) s'y est rallié tout en paraissant reconnaître que la véritable raison de décider devrait cependant être prise dans les circonstances spéciales de chaque espèce. Ils enseignent que le Code a rompu avec la tradition et que, dans le doute, la présomption légale de propriété est en faveur des riverains et non pas en faveur de l'usinier : c'est à ce dernier à prouver qu'il est propriétaire du bief et qu'il n'en jouit pas seulement à titre de servitude sur le fonds d'autrui. Bien que cette opinion soit le plus communément rejetée, il faut cependant reconnaître que les considérations sur lesquelles elle se base ne manquent pas de valeur. L'argument capital invoqué en faveur des usiniers est que, par la nature des choses, le bief doit être partie intégrante de l'usine M. Daviel s'est surtout attaché à démontrer que cette proposition renfermait une

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erreur évidente. Il établit très bien que l'on confond le droit à l'usage des eaux et la propriété du canal ; ce qu'il importe à l'usinier de s'assurer lorsqu'il crée son établissement, c'est l'usage de l'eau ce qu'il lui faut, c'est de pouvoir s'opposer à toute entreprise ayant pour résultat de compromettre le jeu de son usine. L'eau dérivée de la rivière, voilà ce qui est réellement nécessaire à l'usine; la faculté d'en user, voilà ce qui seul doit faire partie intégrante des droits de l'usinier. Qu'importe au fonctionnement de son usine qu'un tiers soit propriétaire du sol sur lequel est établi le bief, alors que ce sol se trouve grevé à son profit d'une servitude d'aqueduc? On ne comprendrait la présomption de propriété au profit de l'usinier que si cette propriété pouvait seule lui assurer une jouissance des eaux paisible et régulière; or, nous voyons que, quelle que soit la solution admise, sa jouissance est entièrement sauvegardée : comme le voulait Henrys, sa prise d'eau et le passage d'icelle demeureront assurés. Et l'on fait remarquer avec juste raison qu'accepter une telle présomption, c'est supposer qu'à l'origine l'usinier a créé son établissement dans les circonstance les plus onéreuses pour lui : lorsqu'il a traité avec les riverains pour obtenir d'eux le droit de faire passer son canal à travers leurs héritages, est-il vraisemblable qu'il a tenu à acquérir d'eux la pleine propriété des terrains occupés et qu'il n'a point cherché à acquérir seulement ce qui pouvait lui être utile, c'est-à-dire une simple faculté de passage? Est-il vraisemblable d'autre part que les riverains aient consenti à un démembrement total de leur héritage plutôt qu'à la constitution d'une simple servitude qui pourrait s'éteindre au cas où l'usine cesserait d'être mise en mouvement? Ce qui conduit à penser que, s'il n'y a titre, le juge devra s'attacher exclusivement aux prétentions des riverains. D'après les auteurs que nous avons indiqués, ce raisonnement se trouverait corroboré 1° par l'article 552 Code

civil, d'après lequel la propriété du sol entraîne la propriété du dessus comme celle du dessous. Le propriétaire du terrain sur lequel a été creusé un canal est incontestablement demeuré propriétaire du tréfonds, même dans la partie où passe le canal: propriétaire du tréfonds, il doit être également propriétaire de ce qui se trouve au-dessus, c'est-àdire du lit du canal; 2° par l'article 553 Code civil, suivant lequel tous ouvrages faits sur un terrain sont présumés faits par le propriétaire de ce terrain et lui appartiennent en conséquence; le propriétaire originaire avait un intérêt évident à faire lui-même et à ses frais sur son terrain les travaux nécessités par l'établissement du canal d'amenée pour pouvoir plus tard exercer sur ce canal les droits qui appartiennent à tout riverain d'un cours d'eau non navigable : donc la disposition de cet article 553 s'applique parfaitement à l'espèce.

288. A l'origine les tribunaux, s'inspirant exclusivement de la jurisprudence des Parlements, appliquaient dans toute sa rigueur la présomption de propriété qu'ils prétendaient exister au profit de l'usinier et n'admettaient point qu'elle pût être combattue par une présomption contraire de quelque nature qu'elle fût. On n'hésitait pas à décider à cette époque que le canal alimentaire, étant partie intégrante du moulin, il suffisait de conserver la propriété du moulin pour ne jamais pouvoir perdre celle du canal, quels que fussent les actes de possession que les riverains auraient pu exercer sur le lit et encore bien que ces actes eussent duré plus de 30 ans. (Toulouse, 24 juin 1812. Dev., C. N. 4-2-140; Colmar, 12 juillet 1812. Dev. C. N. 4-2-157; - Bordeaux, 24 juillet 1826. Dev., C. N. 8-2-266; Toulouse, 1er juin 1827. Dev., C. N. 8-2-375: Bordeaux, 23 janvier 1828, Dev., C. N. 9-2-21; - Paris, 12 février 1830. Dev., C. N. 9-2895; Lyon, 17 juin 1830. Dev., C. N. 9-2-456; —Toulouse, 30 janvier 1832. Dev., 33-2-379; - Paris, 24 juin

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