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des dispositions de la loi du 29 avril 1845. Un arrêt des requêtes du 13 juin 1827 (Dev., C. N., 8-1-616) porte que ce droit exclusif de l'usinier n'irait point jusqu'à pouvoir empêcher les riverains de se servir des eaux du canal pour leurs besoins domestiques, tels que le lavage, le puisage, l'abreuvage. M. Bertin (Code des irrigations, no 261) critique très justement cette décision tout à fait contraire au principe fondamental qu'aucun droit ne saurait exister sur une propriété privée qu'à condition d'avoir été consenti par le propriétaire ou établi par la loi. En tous cas, les riverains ne pourront jamais se prévaloir de l'article 644 et se servir des eaux à leur passage pour l'irrigation de leurs propriétés. Il en sera de même a fortiori s'ils veulent s'en servir pour le roulement d'une usine. Peu importerait qu'ils excipassent d'une autorisation administrative à eux accordée : un arrêt de la Cour d'Agen du 26 juillet 1865 (Dev. 66-1-115; D. P., 65-2-190) décide avec raison qu'en autorisant ainsi une prise d'eau sur un canal d'amenée appartenant à l'usinier, l'administration outrepassait ses pouvoirs, et que les tribunaux ordinaires étaient compétents: 1° pour accorder à l'usinier tels dommages-intérêts que de raison; 2° pour ordonner la suppression des travaux entrepris. Mais, d'autre part, il ne faudrait pas aller jusqu'à croire que, par cela seul qu'il est propriétaire du canal d'amenée, l'usinier est propriétaire d'un volume d'eau correspondant à celui que peut contenir le canal, et, qu'en conséquence, il peut s'opposer à ce qu'il soit fait sur la rivière même aucun travail qui puisse avoir pour résultat de diminuer dans son bief le volume d'eau auquel il prétend avoir droit. C'est ce qui a été mis en relief de la manière la plus claire par l'arrêt de cassation du 23 novembre 1858: « Attendu qu'en supposant que le canal de dérivation construit sur la rive gauche de la Fecht appartienne aux défendeurs comme étant un accessoire du chantier dépen

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dant autrefois de l'abbaye de Munster et vendu par l'Etat à leur auteur, la Cour de Colmar n'était pas fondée à conclure de ce seul fait que les défendeurs étaient propriétaires d'un volume d'eau correspondant à la profondeur du lit de ce canal et à la hauteur de ses bords, et que ce volume d'eau, qui n'a été utilisé par les défendeurs pour le service d'aucune usine autorisée par l'administration, n'ait pu être diminué pour l'alimentation de l'usine construite en amont par Spenlé sur la rive droite de la Fecht avec l'autorisation administrative....." (Dev., 59-1-682; D. P., 59-1-18).

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Il est également constant que l'administration peut, dans l'intérêt général, réglementer la jouissance de l'usinier sur les eaux de son çanal d'amenée, et lui imposer toutes les obligations qu'elle jugera nécessaires. L'eau contenue dans le canal n'a point, en effet, perdu son caractère primitif; elle continue, soit à dépendre du domaine public, soit à être res nullius (s'il s'agit d'une rivière non navigable); elle fait toujours partie de la rivière puisqu'elle n'a pu être dérivée qu'à la condition de lui être rendue à l'issue du canal. Un arrêt du Conseil du 29 mars 1855 (Lebon, 55-241) a jugė, en conformité de ces principes, qu'un préfet n'excédait pas ses pouvoirs en prenant toutes les mesures nécessaires pour assurer dans un intérêt de salubrité le libre écoulement des eaux du canal, et en ordonnant, sur la demande d'une municipalité et les plaintes des habitants, la suppression des ouvrages qui y faisaient obstacle. De même, lorsque le canal se trouve être la propriété commune de plusieurs usiniers, un règlement d'eau pourrait parfaitement être fait soit par l'autorité administrative, soit par les tribunaux suivant les distinctions que nous indiquerons en commentant l'article 644, C. civ. C'est ainsi que, suivant un arrêt de rejet de la chambre criminelle du 2 août 1851 (D. P. 51-5194), il est dans les attributions des préfets de fixer, dans un intérêt général, le mode suivant lequel les usiniers jouiront

du canal; que, par suite, le juge saisi d'une contravention à l'arrêté préfectoral ne peut surseoir à toute décision jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'exception que le contrevenant voudrait faire résulter de son droit de propriétaire indivis du canal. On a cru voir une contradiction à cette dernière solution dans un arrêt des requêtes du 15 avril 1845 (Dev. 45-1-585) qui aurait décidé qu'il n'y a point possibilité pour l'autorité judiciaire de faire un règlement d'eau entre les riverains d'un canal artificiel ou entre les usiniers qui ont le droit d'user de ses eaux. Mais il est bon d'observer que dans l'espèce, l'arrêt de la Cour de Poitiers contre lequel était dirigé le pourvoi avait été rédigé complétement en fait; M. le conseiller Mesnard faisait observer dans son rapport que, si la cour se fût bornée à émettre une thèse de droit sans s'appuyer sur des constatations de cette nature, l'admission du pourvoi eût été certaine. Il s'agissait d'un canal alimenté par une source; or, la Cour d'appel, énumérant toutes les circonstances de fait particulières à la cause, arrivait à décider que le canal de dérivation de cette source constituait une propriété privée, et que, par suite, un règlement d'eau n'avait aucune raison d'être. Peu importait au point de vue général, que les eaux fussent utilisées de telle ou telle manière, puisque par leur nature elles ne pouvaient donner lieu qu'à des jouissances privées ; donc, l'autorité administrative n'aurait eu aucunement qualité pour intervenir à leur égard. D'autre part, il était constant que le propriétaire, sur l'héritage duquel le canal de dérivation prenait naissance, n'était nullement tenu à transmettre les eaux aux propriétaires inférieurs; dès lors, le règlement émanant de l'autorité judiciaire et édicté par elle dans un intérêt purement privé, n'aurait eu aucune sanction, puisque le cours d'eau en question n'avait qu'une existence précaire. « Ne peut-on pas, disait M. Mesnard, conclure de ces constatations que la Cour d'appel qui y puise

les motifs de sa décision, a été frappée de cette circonstance que dans l'espèce de la cause, il n'existait pas réellement de cours d'eau, ou, en d'autres termes, que les eaux amenées sur les prés de Belin par une rigole ou par un travail d'art, ne constituaient pas un ruisseau ou une eau courante dans le sens de la loi; que, puisqu'elles ne coulaient pas naturellement sur l'héritage du demandeur, celui-ci était sans droit, soit pour empêcher le propriétaire de l'héritage supérieur d'en changer la direction, soit pour demander un règlement? Et en effet, s'il convenait à ce propriétaire de renoncer à l'usage des eaux et de les prendre à la fontaine communale par un travail d'art qui les conduisit dans ses prés, à quel titre le sieur Hillerin pourrait-il s'opposer à ce nouvel état de choses? »

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293. La propriété du canal de fuite, c'est-à-dire de la partie inférieure de la dérivation exécutée par l'usinier, est tout aussi incertaine que la propriété du canal d'amenée; nous retrouvons ici les mêmes divergences entre les auteurs et les arrêts. On a dû tout d'abord rechercher si cette partie inférieure de la dérivation ne se confondait pas avec la partie supérieure au point que la propriété de celle-ci étant reconnue au profit du maître du moulin, entraînât à son profit la propriété de celle-là. Quelques personnes sont allées jusque là elles font remarquer que, sans ce canal de fuite, il n'y aurait ni chute, ni moulin ; que ce canal est l'accessoire de l'usine ou plutôt même une de ses parties intégrantes tout aussi bien que le canal d'amenée; que ce sont là deux parties indivisibles, inséparables l'une de l'autre, d'un tout homogène soumis à la même loi; que dès lors la partie basse unie à la partie haute doit suivre, comme elle, le sort du moulin dont elle fait partie. Elles s'appuient principalement sur un arrêt des requêtes du 17 décembre 1861 (Dev., 63-1-82; D. P., 62-1-184) qui porte en effet qu'il y a indivisibilité entre les eaux d'un même canal. Nous ne

pouvons pour notre part entrer dans cet ordre d'idées, et nous ne croyons point que la jouissance de l'usinier doive nécessairement s'exercer sur le canal de fuite au même titre que sur le canal d'amenée; l'usinier peut parfaitement jouir de l'un à titre de servitude, et de l'autre à titre de propriété : de même, ce qui a été jugée vis-à-vis de l'un n'aura pas nécessairement force de chose jugée vis-à-vis de l'autre. En réalité, cette indivisibilité prétendue n'a aucun fondement légal et se trouve la plupart du temps contraire à la nature même des choses. Quant à l'arrêt de 1861, il a été évidemment mal interprété par ceux qui l'invoquent ; il décide uniquement qu'au cas où deux moulins sont établis sur un même canal artificiel, la possession des eaux dans laquelle se trouve le propriétaire du moulin inférieur, comprend non seulement les eaux coulant dans la partie intermédiaire du canal, mais encore celles coulant en amont du moulin supérieur; que dès lors, si par des travaux exécutés à son usine, le propriétaire supérieur détourne une partie de ces eaux, cette entreprise donne lieu contre lui à une action possessoire de la part du propriétaire inférieur. Et du considérant auquel il a été plus spécialement fait allusion il ne résulte qu'une seule chose, c'est que les éléments divers qui constituent le droit de l'usinier sur les eaux d'un canal de dérivation forment un tout indivisible; il s'agit, on le remarque, de la jouissance des eaux et non de la jouissance du lit qui les contient. Par cela seul que l'usinier peut se servir des eaux du canal d'amenée pour l'alimentation de son établissement, il est nécessaire qu'il puisse les déverser dans le canal de fuite; ce sont là deux droits indivisibles et inséparables l'un de l'autre : voilà tout ce qu'il y a à induire de cet arrêt; mais on n'en saurait tirer cette conséquence, que par cela seul que l'usinier jouit du canal d'amenée à titre de propriétaire, il faut qu'il soit également propriétaire du canal de fuite. Il y aura done

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