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l'art. 682 un moyen d'échapper au silence de la loi : la servitude de passage, telle que l'entend le Code, permet au propriétaire enclavé d'établir une communication entre la voie publique et son héritage; le passage doit régulièrement être fixé près du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique : néanmoins, il doit être fixé dans l'endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé. (Art. 683-684). D'où il suit que si le canal d'amenée ou de fuite est enclavé dans les héritages riverains, l'usinier, en se conformant aux règles ci-dessus indiquées, obtiendra un droit de passage pour parvenir de la voie publique à la rive de son canal; mais voilà tout ce qu'il pourra réclamer en s'appuyant sur l'art. 682. Le droit de circuler sur les francs-bords du canal ne résulte donc pas de ce dernier texte, quelque extension qu'on veuille lui donner cette prétendue servitude n'a donc aucune analogie avec la servitude de passage; on ne saurait la comparer qu'à la servitude de tour d'échelle, qui permet au propriétaire d'un bâtiment de circuler sur les fonds voisins pour constater l'état de ce bâtiment et y faire exécuter toutes les réparations nécessaires; or, on sait que, sous l'empire du Code civil, le tour d'échelle a cessé d'être une servitude légale et ne peut être établi que par conventions formelles entre le propriétaire du fonds dominant et celui du fonds servant. Des auteurs, sentant bien la faiblesse de l'argument qu'ils mettent en avant ajoutent que le droit de circuler sur les francs-bords du canal étant d'une nécessité absolue pour le propriétaire de l'usine, on peut présumer que ce dernier se l'est réservé lors de l'établissement du canal, et qu'il y a lieu en conséquence de lui en assurer la jouissance. A quoi M. Laurent (T. VI, loc. cit.) répond fort bien : « Il n'y a pas de convention on en suppose une; on dit que le propriétaire du canal est censé s'être réservé ce droit de passage. Censé : cela ne veut-il pas dire présumé ? Ainsi,

III.

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une nouvelle présomption sans texte! Si telle avait été la volonté des parties, elles l'auraient écrite dans leur contrat; on n'a pas une servitude pour rien; on l'aurait donc stipulée. Ces prétendues réserves sont imaginées pour le besoin de la cause. »

298. Nous donnerons la même solution en ce qui touche la prétendue servitude désignée sous le nom de droit de jet de pelle, qui n'est sanctionnée par aucun texte et dont l'existence est dès lors des plus controversables. L'usinier, non propriétaire des francs-bords, ne peut donc à notre avis déposer sur ces francs-bords les terres et autres déblais provenant du curage de son canal; c'est à lui à les transporter sur les terres qui lui appartiennent et par les moyens qu'il avisera. Nous ne nous dissimulons pas que nous sommes ici en désaccord avec la presque unanimité des auteurs et avec une jurisprudence imposante. (Bordeaux, 23 janvier 1828; Dev., C. N. 9-2-21; Cass. 21 mai 1860; - Dev., 60-1-512;

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Civ.

Civ., Rej; 10

avril 1865; Dev., 66-1-209 et les autorités citées en note. Cpr. Aubry et Rau, t. II, § 192, p. 182'). Les arrêts déterminent au surplus de la manière la plus nette en

1 M. Devilleneuve, dans sa note sous l'arrêt du 10 avril 1865, cite comme rendu en sens contraire un arrêt des requêtes du 21 mars 1855 (Dev. 56-1-304. Le sens de cette décision n'a pas été saisi par le savant arrêtiste et le sommaire qui la précède dans son recueil est évidemment mal libellé; elle porte tout simplement que l'on ne peut pour la première fois soulever devant la Cour de cassation la question de savoir si un usinier a, oui ou non, la jouissance d'une semblable servitude; le pourvoi sur lequel la chambre des requêtes était appelée à statuer a donc été rejeté par une fin de non recevoir plutôt que par un moyen du fond. Le texte de l'arrêt ne permet pas de doute: «< Sur la seconde branche du même moyen; Attendu qu'aucun chef principal de demande de la part du syndic du ruisseau de Millas, soit devant le juge de paix, soit devant le tribunal d'appel, ne porte sur le prétendu droit de servitude invoqué devant la Cour; que, si dans les motifs du jugement attaqué, il est question d'un droit de servitude que pourraient réclamer les syndics, cette disposition du jugement est hypothétique et ne peut avoir aucune influence sur le sort du pourvoi; · Rejette. »

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quoi consiste cette servitude. L'usinier est tenu de ne laisser séjourner sur le fonds du voisin les terres et autres déblais provenant du curage que pendant le temps strictement nécessaire; il doit pourvoir à leur enlèvement dans le plus court délai possible; il commettrait un véritable abus de jouissance s'il prolongeait sans motif sérieux son occupation de la propriété d'autrui. En tous les cas, ce dépôt si court qu'il soit donne lieu à une action en indemnité de la part des riverains contre l'usinier : le juge arbitrera cette indemnité comme il le voudra; il pourra dire notamment que le riverain est suffisamment dédommagé par l'abandon qu'il fait des produits du curage, lorsque ces produits ont une valeur réelle comme engrais. « Attendu, lisons-nous dans l'arrêt du 10 avril 1865, que, si le propriétaire d'un moulin peut, dans le cas où son bief n'est point séparé même par des francs-bords d'un terrain appartenant à autrui, déposer momentanément sur ce terrain les déblais provenant du curage dudit bief, sauf indemnité envers le voisin, laquelle peut consister dans l'emploi à son profit des déblais propres à servir d'engrais, la prolongation pendant trois mois comme dans l'espèce d'un dépôt de graviers stériles sur un terrain qu'ils rendent improductif, constitue au contraire un abus et un trouble à la jouissance du propriétaire de nature à motiver de la part de ce dernier une action en complainte.... La possession, quelque longue qu'elle soit, ne saurait permettre à l'usinier d'acquérir par prescription un droit plus étendu; en effet, à la servitude de jet de pelle, qui grève les fonds voisins, se substituerait une servitude nouvelle infiniment plus onéreuse pour ces derniers; or, cette nouvelle servitude serait par sa nature une servitude discontinue, et qui, dès lors, ne saurait résulter que d'un titre. Le seul effet utile que puisse produire la possession sera de déterminer les conditions et le mode d'exercice de la servitude de jet de pelle; ainsi, lorsqu'il

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sera constant en fait que l'usinier en aura joui de telle ou telle manière pendant plusieurs années, les riverains prétendraient vainement que le maintien de cet état de choses constitue un trouble à leur propre possession des berges du canal; c'est ce qui résulte tout particulièrement de l'arrêt du 21 mai 1860: « Attendu que la possession soit à titre de propriétaire, soit à titre de servitude, d'un canal creusé pour le service d'une usine, implique pour l'usinier possesseur le droit d'opérer le curage du canal et d'en déposer les produits sur les berges, que l'exercice de ce droit, lorsqu'il s'est manifesté pendant plusieurs années par des faits répétés sans empêchement ni protestation de la part des riverains, ne saurait en soi, et indépendamment des faits qui tendraient à en aggraver les conséquences au préjudice de ceux-ci, être considéré comme un trouble à leur propre possession des berges et peut aussi bien que la possession même du canal, dont il est un accessoire et une dépendance nécessaire, constituer une possession utile à l'effet de déterminer le mode et l'étendue de la charge imposée aux fonds riverains.... » Quant aux contestations auxquelles donnait lieu l'exercice de cette servitude entre usiniers et riverains, elles sont du ressort exclusif de l'autorité judiciaire, encore bien qu'elles se produisent à la suite d'un curage du bief prescrit administrativement; il est incontestable que l'intérêt général et le régime des eaux ne sont engagés en rien dans un débat qui porte uniquement sur le temps pendant lequel un tel dépôt peut-être maintenu sur les fonds riverains ou sur les indemnités qui seraient dues par les usiniers pour le terrain qu'occuperaient les déblais du curage.

A. Des règlements d'office.

S VI

B. Réparation des dommages causés par les usines hydrauliques.

c. Du cas où l'usinier veut reconstruire son établissement ou en modifier les dispositions.

A.

299. En vertu du pouvoir absolu qui lui appartient sur les rivières navigables flottables, l'administration a le droit de revenir sur les autorisations par elle accordées et d'en modifier la teneur. Elle apprécie comme elle l'entend les conséquences que l'établissement de l'usine a pu avoir sur le régime de la rivière et impose aux usiniers toutes les mesures qu'elle juge nécessaires pour une raison ou une autre. Seule, elle possède ce droit de réglementer d'office les usines existantes et les tribunaux ne sauraient à aucun point de vue se substituer à elle : l'autorité judiciaire ne peut connaître que la répression des délits énumérés dans la loi du 6 octobre 1791 (Art. 15-16. Titre II) et dans l'article 457 Code pénal, mais, elle serait incompétente pour ordonner sur une poursuite directe du ministère public que l'usinier jouira désormais de telle ou telle manière des eaux à lui concédées. L'administration se trouvera appelée à prescrire d'office une modification à l'état de choses existant dans deux hypothèses principales : 1o L'exécution de travaux publics exige que le régime de certains établissements hydrauliques soit fixé sur de nouvelles bases: c'est ce qui arrive toutes les fois qu'un barrage éclusé est construit sur une rivière ou que des travaux d'endiguement y sont entrepris. Un article du projet de règlement annexé à la circulaire du 21 octobre 1851, et sur lequel nous aurons plus tard occasion de revenir, porte que l'usinier

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