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puisqu'il comprend tout fait quelconque de négligence, d'imprudence, d'inobservation des règlements qui a pour conséquence une transmission nuisible des eaux. C'est ainsi qu'il s'appliquera : 1o au cas où par suite d'un vice de construction de l'usine, il se produirait un reflux ou remous qui nuit à une usine supérieure. (Crim. Cass., 4 septembre 1835; Dev., 35-1-680); 2° au cas où une usine marchant par éclusées causerait un dommage aux propriétés voisines : on dit qu'une usine marche par éclusées, lorsque le propriétaire, pour ajouter momentanément à la force motrice dont il a le droit de disposer, amasse les eaux sur un point donné pour leur donner pleine liberté quand elles sont parvenues à la hauteur qui lui convient. Il arrive fréquemment que cette marche par éclusées ne cause de tort à personne; ici, l'usinier serait à l'abri de toute poursuite (Req. Rej., 19 janvier 1874; Dev., 74-1-252). Mais bien souvent aussi, cette agglomération des eaux sera une cause de dévastations continuelles pour les héritages situés le long des canaux alimentaires de l'usine; il y aura là, au premier chef, transmission des eaux d'une manière nuisible. Toutefois, M. Bourguignat (T. I, p. 473) n'admet pas qu'il y ait délit lorsque l'usinier a prescrit vis-à-vis des autres propriétaires le droit de marcher par éclusées ou lorsqu'il y a été autorisé par l'administration. Nous n'avons rien à objecter en ce qui touche la première partie de cette proposition; les propriétaires lésés ne peuvent, à aucun titre, se plaindre d'un état de choses qu'ils ont rendu définitif par leur absence de contradiction; mais, sur le second point, nous ne croyons point que l'autorisation administrative puisse à elle seule mettre l'usinier à couvert de toute poursuite; il faudrait de plus que sa bonne foi fût constante : nous admettons très-bien qu'une condamnation intervienne lorsqu'il aura su qu'en usant de l'autorisation administrative, il transmettrait les eaux d'une manière nuisible: il a

agi en parfaite connaissance de cause et savait qu'il se plaçait sous le coup de la loi de 1791; 3° au cas où l'usinier déverse sur les fonds inférieurs des eaux salies et corrompues. Nous ferons observer qu'ici, le juge se trouvera presque toujours en présence d'un point de fait extrêmement délicat à résoudre. Les enquêtes auxquels il aura été procédé lors de l'établissement de l'usine, auront fait connaître aux tiers à quel genre d'industrie elle était destinée; l'usinier n'a rien dissimulé à l'origine et n'a pas cherché à surprendre la religion de l'autorité administrative : aussi, sa position sera-t-elle plus favorable que dans les autres espèces on admettra plus facilement qu'il agissait de bonne foi et ne se rendait pas compte des inconvénients qui pouvaient résulter du mode d'exploitation par lui adopté.

En terminant sur cette matière, nous ajouterons qu'il faut bien se garder d'oublier que le premier élément du délit doit être une faute imputable à l'usinier : lorsque la transmission nuisible des eaux provient d'un cas de force majeure, ni l'art. 457, ni l'art. 15 de la loi de 1791 ne sont applicables; il en serait de même si les eaux transmises n'avaient nui à la partie plaignante, que par suite d'un manque de précaution de cette dernière (Req. Rej., 4 juillet 1839; Dev., 39-1-942). Il peut arriver, d'autre part, que la transmission nuisible des eaux ait pour cause à la fois une faute imputable à l'usinier et un cas fortuit, par exemple que le canal de fuite n'ayant point la dimension suffisante pour recevoir les eaux ayant servi à la marche de l'usine, les propriétés situées au-dessus de l'usine aient été inondées par le reflux des eaux, lors d'une crise inopinée. Un arrêt de cassation de la Chambre criminelle du 12 juin 1846 (Dev., 48-1-509), a décidé in terminis, que la responsabilité pénale de l'usinier continuait à être engagée malgré les circonstances qui semblaient militer en sa faveur; il se fonde sur un argument décisif, à savoir que la

crue ou la hausse inopinée ou progressive des eaux ne saurait jamais l'affranchir de la responsabilité qui pèse sur lui puisqu'il est garant de plein droit, même du préjudice qu'elles produisent dans leur état ordinaire, lorsqu'il na pas fait ce qu'il est tenu de faire pour le prévenir et l'empêcher. Quant à la fixation du Tribunal compétent, il ne saurait y avoir de doute l'amende pouvant s'élever à la valeur du dommage causé par les eaux, lequel est indéterminé, c'est au Tribunal correctionnel, et non au Tribunal de simple police, qu'il appartient de connaître de l'action intentée dans ces termes (Crim. Cass., 15 janvier 1825; Dev., C. N, 8-1-15).

305. On est souvent embarrassé lorsqu'il s'agit de combiner l'art. 457 C. pén., et l'art. 15 de la loi de 1791—1o) avec les réglements sur la voirie, grande ou petite. Ainsi, par suite d'une inondation, d'une transmission nuisible des eaux, un chemin vient à être dégradé ou obstrué; quelle peine devra-t-on appliquer; quel Tribunal pourra être saisi de l'affaire? M. Proudhon (Traité du domaine public, T. I, n° 132) estime qu'il y a, suivant la classe à laquelle appartient ce chemin, contravention de grande ou petite voirie, c'est-à-dire, compétence, soit des Conseils de préfecture, soit du juge de paix et par conséquent inapplicabilité de nos deux articles. M. Daviel (T. I, no 449) n'est point du même avis et tient pour la compétence des tribunaux correctionnels. Il est assez remarquable que cette hypothèse d'un chemin inondé était présenté par l'exposé des motifs du Code pénal comme l'exemple le plus saillant du simple dommage prévu et puni par l'art. 457 du Code pén. Néanmoins, nous croyons que M. Proudhon était plutôt dans le vrai que M. Daviel. La loi du 29 floréal, an X, veut que "toutes espèces de détériorations commises sur les grandes routes soient constatées et réprimées par voie administrative; d'autre part, l'art. 479, § 11, C. pén, range parmi

les contraventions de troisième classe le fait de dégrader ou de détériorer de quelque manière que ce soit, les chemins publics ne faisant pas partie de la grande voirie. Donc, en nous attachant au texte de ces deux lois, nous sommes amenés à décider que toute dégradation d'un chemin public, ayant pour cause une inondation, ne constitue pas un délit de droit commun, mais une contravention de voirie dont la poursuite aura lieu suivant les règles spéciales de la matière. La Chambre criminelle s'est prononcée en ce sens le 3 octobre 1835, en cassant un jugement du Tribunal correctionnel de Riom (36-1-213); mais les considérants de son arrêt nous semblent susceptibles de quelques critiques; ainsi, elle admet que parce qu'il y a inondation, il y a dégradation du chemin inondé et dès lors nécessité d'appliquer la loi de l'an X ou l'art. 479 C. pén. C'est aller beaucoup trop loin, et il est aisé de citer des cas où l'inondation d'un chemin n'a point causé de dégradation proprement dite, et où l'on sera forcé de se référer à l'art. 457 et à la loi de 1791 par exemple, comme le disait l'exposé des motifs du Code, ce chemin a été simplement obstrué, et aussitôt que les eaux se sont retirées, aucune réparation n'y a été nécessaire dire qu'il a été dégradé, ce serait se mettre en contradiction avec la réalité des faits; il n'y aurait même pas une dégradation proprement dite, si les eaux, en se retirant, avaient laissé sur le sol de ce chemin une certaine quantité de débris qu'elles y auraient apportés ; la Chambre criminelle l'a reconnu elle-même dans son arrêt de cassation, du 15 janvier 1825 (Dev. C. N., 8-1-15). qui déclare applicable à cette contravention l'art. 15 de la loi de 1791;-2°) avec la loi du 21 avril 1810 sur les mines. Une inondation est causée par suite d'un fait imputable au propriétaire d'une usine métallurgique : la peine doit-elle être fixée suivant les art. 73, 77, 93 et 96 de cette dernière loi? Quelques personnes l'ont soutenu; mais la majo

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rité des auteurs s'est ralliée au systême opposé : nous pensons avec elle qu'il faut distinguer avec soin les contraventions qui consistent dans la jouissance abusive ou la trop grande élévation des eaux et ne point les confondre avec celles qu'on devait, avant la loi du 9 mai 1866, considérer comme des infractions aux obligations particulières que la loi du 21 avril 1810 imposait aux propriétaires de fourneaux à fondre le minerai de fer et autres substances métalliques, de forges, martinets et usines servant de patouillets et bocards, soit que ces propriétaires eussent créé des établissements de cette nature avant d'obtenir la permission de l'autorité compétente, soit qu'ils y eussent fait des changements non autorisés, soit qu'enfin ils eussent violé d'une manière quelconque les conditions sous lesquelles cette autorisation leur avait éte accordée. Telle est la décision de la jurisprudence (Crim. Cass., 5 décembre 1844; Dev., 45-1-613; D. P., 45-1-67; ibid, 16 février 1867; Dev., 67-1-239; D. P., 67-1-144): « Attendu en fait, porte le dernier de ces arrêts, qu'il était constaté par un procèsverbal régulier qu'à plusieurs reprises et notamment le 17 mai 1866, la marche de l'usine du sieur Mouton, située en amont de celle des demandeurs, avait été entravée par des remous; que cet obstacle provenait de la trop grande élévation des eaux dans le bief de la forge et que cette élévation était due à des hausses mobiles qui avaient été placées sur les trois vannes du fond;- Attendu qu'une contravention de cette nature ne tombait pas sous l'application des dispositions spéciales de la loi du 21 avril 1810 concernant les mines, minières et carrières, mais qu'elle était formellement prévue par l'art. 15 de la loi du 6 octobre 1791, etc.

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306. Nous supposerons maintenant que l'abus de jouissance reproché à l'usinier ne tombe pas pour une raison ou une autre sous l'application de la loi pénale : la partie lésée peut bien certainement, dans ce cas, s'appuyer sur l'article

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