Page images
PDF
EPUB

66

de la Chambre des requêtes, du 23 juin 1844 (Dev. 44-1657), attribue compétence au juge de paix du lieu où se produit ce fait, et non au juge de paix de la situation de l'usine. D'après les demandeurs, disait M. le conseiller rapporteur Mesnard, il importait peu que l'exhaussement du déversoir, fût ou non la cause du trouble; le point essentiel, la cause impulsive de l'action, c'était le trouble apporté à leur possession; de quelque façon qu'on fit cesser ce trouble, on satisfaisait à la prétention des demandeurs; aussi, on n'avait nullement à s'occuper de la situation du déversoir; il suffisait que le terrain et l'usine, théâtres du litige, fussent situés dans le canton de Mézin, pour que le juge de paix de ce canton fût compétent. Vous aurez à examiner si l'art. 3, C. Proc., peut se prêter à cette interprétation et à vous demander quel était nommément dans l'espèce, l'objet litigieux. Etait-ce l'usine des demandeurs, leurs pinadas, leur possession? Rien de tout cela n'était, ce semble, en contestation : il y avait eu un dommage commis, un trouble apporté; on soutenait que l'auteur de ce trouble, de ce dommage était le sieur de Métrivier. Mais remarquez que le fait imputé à ce dernier était un fait complexe : il n'avait pu inonder le terrain ou priver l'usine du demandeur du volume d'eau nécessaire, qu'à l'aide d'un travail antérieur, de l'élévation de son déversoir. Ainsi, on ne pouvait l'attaquer qu'en lui contestant le droit d'élever son déversoir, en soutenant que ce fait illégal avait été dommageable. Dans le litige, il y avait autre chose à constater que le fait même du trouble; il y avait la cause de ce fait à apprécier et à rechercher; il y avait à examiner 1° si en effet le déversoir avait été exhaussé ; 2o si cet exhaussement avait produit le dommage; 3° s'il avait eu lieu dans l'année, etc., etc..... et ne peut-on pas dire alors que l'objet litigieux était précisément l'état de ce déversoir, la manière dont il fonctionnait, l'usage qu'on en

[ocr errors]

avait fait. Si vous le reconnaissez, tout sera dit; car le jugement attaqué constate en fait que le moulin, le bassin et le déversoir n'étaient pas situés dans le canton du juge de paix devant lequel les demandeurs ont porté leur action. Pour notre part, nous ne saurions nous ranger à cette manière de voir ; il y a, en effet, quelque chose de singulièrement subtil dans la doctrine professée par M. Mesnard. Le véritable point du débat, c'est de savoir si cette personne a été troublée dans sa possession; c'est là l'objet unique du litige, et le seul but que se propose le demandeur au possessoire est de faire cesser ce trouble. Aussi, croyonsnous que c'est là, quoiqu'on en ait pu dire, l'interprétation la plus logique de l'art. 3, C. Proc., suivant lequel l'action doit être introduite devant le juge de paix de la situation de l'objet litigieux, lorsqu'il s'agit d'entreprises sur les cours d'eau commises dans l'année. Ce qui préoccupait principalement M. Mesnard, c'était l'impossibilité où se trouverait le juge de paix de visiter les ouvrages, causes du trouble. L'objection ne nous arrêtera pas. Rien n'empêche en fait le juge de paix de se rendre sur le territoire d'un canton voisin pour se rendre compte par lui-même de l'état des lieux; les parties pourront citer devant lui tous témoins qu'elles jugeront convenables, alors même que ces témoins ne seraient pas domiciliés dans le canton. Rien ne l'empêche également d'user de la faculté que lui laisse l'article 1035, C. Proc., et de faire procéder à la vérification des travaux et à toute enquête qui serait nécessaire par le juge de paix du lieu où ont été exécutés les travaux ; il est libre de le saisir par voie de commission rogatoire.

C..

326. Les nécessités de l'exploitation industrielle peuveut exiger que des modifications soient apportées au régime de

:

l'usine tel qu'il a été établi par l'acte de concession. L'usinier est-il tenu, dans cette hypothèse, de se munir d'une autorisation nouvelle? La circulaire du 19 thermidor an VI porte Les mêmes règles que celles prescrites pour les nouveaux établissements auront lieu, toutes les fois que l'on voudra changer de place les anciens ou y faire quelque innovation importante. » Cette phrase peut paraître assez obscure dans sa rédaction voulait-on dire que, dans tous les cas, il y aurait lieu à une instruction complète, tout comme s'il s'agissait d'autoriser une usine nouvelle ? ou bien, au contraire, accordait-on à l'administration liberté pleine et entière de statuer, sans autres formalités sur la demande qui lui était présentée? De là naissaient dans la pratique d'assez grosses difficultés. M. Nadault de Buffon (T. I, p. 400) considérait comme impossible d'exiger l'application littérale de la circulaire de l'an VI et de soumettre les usiniers aux lenteurs et aux retards d'une nouvelle instruction; il ne concevait pas qu'on pût les obliger à se munir d'une ordonnance royale, et d'autre part il ne croyait pas que, dans l'état de la législation, un simple arrêté préfectoral fût suffisant pour autoriser les modifications projetées. Actuellement, la situation des usiniers est singulièrement améliorée à ce point de vue d'abord, dans tous les cas où il s'agit d'une usine qui, aux termes du décret de décentralisation, peut être autorisée par le préfet, l'autorisation préfectorale sera suffisante pour toutes les modifications à y établir; d'autre part, alors même qu'il sera nécessaire d'obtenir un décret autorisant ces modifications, l'administration se réserve le droit de dispenser l'usinier des formalités prescrites pour l'instruction des demandes originaires. C'est ce qui résulte de la circulaire du 23 octobre 1851 : « Dans le cas où les intéressés vous adresseraient des demandes tendant à obtenir la modification de réglements existants, vous voudrez bien me transmettre

ces demandes accompagnées du rapport de MM. les Ingénieurs et de votre avis particulier, afin de me mettre à même de statuer sur la question de savoir s'il y a lieu de prescrire une nouvelle instruction, laquelle devrait être faite dans les formes indiquées ci-dessus. MM. les Ingénieurs auront soin de joindre à leurs propositions celles des pièces de la première instruction, qui peuvent être utiles à l'examen de l'affaire et notamment l'acte administratif dont la révision est demandée. » Lorsque l'administration autorise l'usinier à exécuter les modifications qu'il sollicite, elle est absolument maîtresse de lui imposer telles ou telles conditions : elle peut, en raison de l'avantage qu'elle lui confère, lui imposer certains travaux parfois fort dispendieux; c'est ainsi que l'usinier ne saurait attaquer l'acte qui lui permet de se servir d'une quantité d'eau plus considérable, mais qui, en même temps, l'oblige, soit à changer le lieu de sa prise d'eau, soit à en modifier les ouvrages régulateurs : sa concession primitive a disparu en présence de cet acte nouveau et ne saurait désormais faire titre pour lui. L'exercice de ce droit est fort délicat pour l'administration lorsqu'elle se trouve en présence d'un usinier ayant titre légal : voici, par exemple, un usinier à qui un acte de vente nationale ou une possession antérieure à 1566, assure la jouissance de tel volume d'eau et qui, pour une raison quelconque, demande à pouvoir modifier le mode de sa prise d'eau: un décret l'autorise à effectuer cette modification; mais en même temps, et sous prétexte de réglementation, ce décret réduit le volume d'eau auquel il a droit. N'y a-t-il pas là un véritable excès de pouvoir, ou faut-il penser au contraire que rien n'empêchait l'administration d'imposer à l'usinier l'abandon d'une partie de sa jouissance en compensation de l'avantage par lui sollicité? Un arrêt du Conseil, en date du 15 février 1866 (Lebon, 66-104) se prononce avec raison dans le premier sens; l'administration ne peut toucher

aux droits de l'usinier que si ce dernier y consent: au cas où elle se trouverait en désaccord avec lui sur les termes dans lesquels devrait être conçu le nouvel acte d'autorisation, elle se bornera à répondre par un refus à la demande qui lui est présentée : mais elle ne pourra, en accueillant cette demande, contraindre l'usinier à subir une modification quelconque à son titre antérieur.

327. La circulaire du 19 thermidor an VI n'exige d'autorisation administrative qu'autant qu'il s'agit d'une innovation importante dans le régime de l'usine, ou en d'autres termes, d'une innovation qui pourra avoir in futurum une influence quelconque sur le régime de la rivière. Il suit de là que, lorsqu'il s'agit d'une innovation peu considérable et dont les conséquences seront à peine sensibles, les usiniers peuvent agir librement et sans se soumettre aux lenteurs d'une nouvelle instruction. On pourrait croire que la circulaire de thermidor leur fournit le moyen d'exécuter de suite tous les travaux nécessaires pour améliorer dans ces conditions le jeu de leur établissement; mais en réalité, le droit qu'elle semble leur conférer est bien plutôt apparent que réel; la distinction entre les deux catégories de travaux est si difficile à établir en fait que, dans la plupart des cas, y aurait imprudence à user du bénéfice de la circulaire : le propriétaire qui ne se serait point assuré à l'avance du consentement de l'administration risquerait fort de se voir poursuivi pour contravention aux règlements sur la police des rivières; tel ouvrage qui lui paraît absolument inoffensif peut, au contraire, être considéré par les ingénieurs comme nuisible aux intérêts de la navigation; comme le dit M. Nadault de Buffon (T. I, p. 339), une faible déviation dans la direction du courant à la sortie d'une vanne reconstruite sur ses anciennes dimensions peut occasionner à la longue, sous un pont ou sous un mur de quai, un affouillement qui exigera des milliers de francs de réparations. A cela s'ajou

il

« PreviousContinue »