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liques avaient permis de tirer des chûtes d'eau existantes une force motrice quintuple de celle qu'on en tirait autrefois partant de là, il établissait quel tort on ferait à la richesse publique, si l'on continuait à poser en principe que l'ancien état des artifices ou ouvrages hydrauliques des usines doit toujours être conservé, sous peine de contravention. Indépendamment de ces considérations, on pouvait se demander si, en droit, l'administration n'excédait pas ses pouvoirs en exigeant des usiniers une semblable autorisation. Le ministère des travaux publics ne faisait point de difficulté pour reconnaître que cette exigence ne pouvait s'appuyer sur aucun texte : aussi, est-ce à ce point de vue que se plaçait récemment M. le Commissaire du gouvernement Aucoc, pour combattre la doctrine devant laquelle s'était incliné M. Reverchon et qu'avait suivie le Conseil d'État. « Une autorisation est-elle nécessaire pour toutes les modifications quelconques apportées aux ouvrages extérieurs des usines? disait-il. Y a-t-il une disposition de loi ou de règlement actuellement en vigueur qui le prescrive? Nous n'en connaissons pas. Les dispositions si fréquemment citées des lois des 12-20 août 1790 et des 28 septembre - 6 octobre 1791 ont chargé l'administration de veiller au libre cours des eaux, de diriger les eaux vers un but d'utilité générale d'après les principes de l'irrigation et de fixer la hauteur des barrages des usines à niveau, tels que la retenue des eaux ne nuise pas aux propriétés riveraines en les inondant. Il suit de là que nul ne peut établir ou modifier, sans l'autorisation de l'administration, un ouvrage qui aurait une action sur le cours des eaux, qui en arrêterait le cours, qui en détournerait une certaine partie. Ainsi, un barrage, une prise d'eau ne peuvent être établis sans autorisation; mais quand une fois le barrage est autorisé, pourquoi l'administration aurait-elle à autoriser les ouvrages qui doivent utiliser la chûte d'eau que procure le barrage? L'administration n'a

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pas à fixer la dimension ou la disposition des roues et du coursier, pas plus qu'elle n'a à décider que l'usine sera un moulin à farine ou une filature. Dans l'un comme dans l'autre cas, il ne s'agit plus de créer une chûte d'eau, il ne s'agit que de l'utiliser. L'usinier doit être libre de faire ce qu'il juge le plus avantageux, parce que sa décision ne peut en rien nuire à l'intérêt public confié aux soins de l'administration. Conformément à ces conclusions, deux arrêts du 26 juillet 1866 (Lebon, 66-884) rompirent avec les anciennes traditions et donnèrent gain de cause aux usiniers: les termes dans lesquels ils sont conçus ne peuvent laisser place à aucun doute. « Considérant que depuis 1790 il n'a rien été changé aux ouvrages régulateurs de la retenue de l'usine de Wegersheim ni au régime des eaux de la rivière la Zorn, et que sans accroître la force motrice dont il pouvait légalement disposer, le sieur Ulrich n'a fait que la mieux utiliser au moyen d'additions et de perfectionnements apportés aux vannes motrices, aux coursiers et aux roues hydrauliques... "Considérant que depuis 1790 il n'a rien été changé aux ouvrages régulateurs de la retenue de l'usine de Mommenhein et au régime des eaux de la rivière la Zorn, qu'en admettant que le sieur Schifferstein ait ajouté sans autorisation deux nouvelles roues à celles qui existaient à cette époque, cette addition a eu pour effet, non d'accroître la force motrice, dont il pouvait légalement disposer, mais de la mieux utiliser; qu'il est reconnu par notre ministre des travaux publics qu'aucune disposition de loi ou de règlement n'oblige les usiniers à se pourvoir d'une autorisation pour augmenter le nombre des roues de leurs usines; que dès lors, c'est avec raison que le Conseil de Préfecture a considéré comme existant légalement les six roues hydrauliques existant actuellement dans l'usine de Mommenheim..." Le Conseil d'Etat a depuis persisté dans cette jurisprudence par un arrêt du 16 mars 1870 (Lebon,

70-295) aux termes duquel il y a lieu de tenir compte pour fixer l'indemnité de chômage, de toutes les améliorations quelles qu'elles soient qui n'ont pas eu pour résultat l'emploi par l'usinier d'un volume d'eau plus considérable..

335. Il arrive assez souvent que le titre de l'usinier lui impose l'obligation, soit de maintenir son établissement dans tel état, sans pouvoir y apporter une modification quelconque, soit de ne point changer le genre d'industrie qui y est exercé. Cette clause est presque de style dans les actes de ventes nationales relatifs aux moulins à blé; en 1793, les bannalités féodales venaient à peine d'être supprimées, et dans bien des communes il n'existait pas encore d'autre moulin que le moulin seigneurial; aussi, pour que les habitants fussent troublés le moins possible dans leurs anciennes jouissances, insérait-on dans tous les cahiers de charges la clause dont nous venons de parler; exiger que l'adjudicataire n'usât de l'établissement vendu que conformément à son ancienne destination, c'était le meilleur moyen de ménager la transition entre l'ancien et le nouveau régime. Depuis la Révolution, beaucoup d'acquéreurs de biens nationaux se sont crus dégagés de l'obligation qu'ils avaient ainsi acceptée; de leur propre initiative et sans se munir d'aucune autorisation, ils ont modifié leurs usines et les ont consacrées à des usages industriels beaucoup plus lucratifs. L'administration a quelquefois fermé les yeux sur cette violation du contrat intervenu; mais dans bien des cas, elle a dû, sur les réclamations des communes et des particuliers, mettre les usiniers en demeure de se conformer à leur contrat. Ces derniers ont fait plaider que la clause insérée dans les actes de vente était absolument nulle, et, chose curieuse, à une certaine époque le Ministre des Finances les a encouragés dans leur résistance. On n'a pas manqué de dire que le grand principe de la liberté de l'industrie se trouvait gravement com

promis; que tant que l'usinier ne consommait pas une quantité d'eau supérieure à celle que lui accordait son titre, l'administration n'avait point le droit d'intervenir dans le régime intérieur de son usine; qu'il serait déplorable au point de vue économique d'interdire à un usinier de tirer un meilleur emploi du moteur mis à sa disposition, et de l'obliger à se contenter d'un bénéfice qu'il trouve insuffisant. Le Conseil d'Etat, sans se prononcer sur la valeur de ces arguments, a décidé qu'il fallait avant tout maintenir le grand principe de l'inviolabilité des ventes nationales; que toutes les clauses imposées soit à l'Etat, soit aux acquéreurs, par les procès-verbaux d'adjudication devaient être scrupuleusement respectées, sans que l'on pût ultérieurement les réviser pour quelque cause et sous quelque forme que ce fût. Nous citerons l'arrêt du 24 décembre 1863 (Lebon, 63-871), qui oblige un sieur Hesse à rétablir dans leur état primitif des moulins à farine nécessaires aux besoins de la commune de Burges et acquis par son auteur en l'an II, sous la condition de les maintenir tels qu'ils étaient et se comportaient au jour de la dite acquisition. Au cours de la discussion, M. Lhopital insistait sur cette raison de décider qu'il considérait comme péremptoire. Qu'importe la thèse soutenue par M. le Ministre des Finances et qui se réduit à dire que les autorités locales préposées à la vente n'auraient pas dû insérer une clause dont l'effet pouvait être d'abaisser le prix des enchères et dont l'objet paraissait être de protéger les intérêts d'une ou de plusieurs communes? La clause, fût-elle illégale, non-seulement au point de vue du Code Napoléon qui n'existait pas encore, mais au point de vue de la législation révolutionnaire et des lois spéciales elles-mêmes, fût-elle aussi insolite qu'elle l'est peu, ne saurait être effacée. Elle est la loi qui prime toutes les autres. Car le Conseil d'Etat ne connaît pas de principe qui ne cède de

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vant celui de l'inviolabilité des ventes nationales. Ce principe peut gêner aujourd'hui le requérant. Mais, combien de fortunes n'a-t-il pas garanties, combien de familles n'a-t-il pas protégées, combien d'existences n'a-t-il pas sauvées depuis qu'il s'est affirmé devant le Conseil d'Etat à l'immortel honneur de vos devanciers et de la juridiction administrative? L'embarras, il faut en convenir, est fort grand lorsque des obligations de cette nature se trouvent imposées aux usiniers par des actes administratifs autres que des ventes nationales. La question de savoir si de pareilles clauses sont obligatoires était déjà signalée en 1851 par M. Reverchon, comme étant des plus délicates; notons qu'elle se présentera le plus souvent à l'occasion d'établissements alimentés par des rivières non navigables et dont les propriétaires trouvent, par conséquent, un titre légal dans l'art. 644 du Code civil. Le droit d'user des eaux dont ils sont riverains peut-il être restreint par une mesure de ce genre? Pour notre part, nous proposerions volontiers une distinction. Ces clauses seront obligatoires toutes les fois qu'elles auront été dictées par des nécessités d'intérêt public, de quelque nature qu'elles soient. L'administration, en les insérant, n'aura fait qu'user des pouvoirs à elle conférés par la loi des 12-20 août 1790. Elle pourra dès lors tenir la main à ce que l'usinier ne fasse dans les lieux aucune innovation et, en cas de contravention, l'obliger, soit à les rétablir dans leur ancien état, soit à les rendre à leur destination réglementaire. Elle pourra même le poursuivre non plus devant les tribunaux administratifs. puisqu'il ne s'agit plus d'atteinte portée à la libre circulation des eaux, mais devant le juge de simple police et en invoquant l'art. 471, § 15 du Code pénal. Si, d'autre part, cet usinier estime qu'à raison de circonstances postérieures à l'acte dont s'agit, cette clause n'a plus de raison d'être, il devra s'adresser à l'autorité administrative qui

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