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de compétence que soulève l'exercice de cette action, et nous examinerons de suite les diverses hypothèses en indemnité où l'existence de ce titre légal est généralement reconnue au profit de l'usinier.

356. 1o Usines établies à une époque où la rivière n'était encore ni navigable ni flottable. Les usines alimentées par des cours d'eau non navigables ni flottables sont soumises à des règles toutes différentes de celles qui régissent les usines alimentées par des cours d'eau navigables ou flottables; ici le titre légal n'est plus l'exception, mais la règle de droit commun et, en principe, de semblables établissements ne sauraient être supprimés sans indemnité; il suffit au propriétaire de démontrer que son usine a une existence régulière, pour pouvoir agir contre l'administration, à raison des troubles apportés à sa jouissance. Supposons donc une usine existant sur une rivière non navigable ni flottable; voici que cette partie de la rivière devient navigable. La situation de l'usinier va-t-elle être changée et l'administration pourra-t-elle ultérieurement ordonner la suppression de l'usine sans bourse délier? On n'hésitera pas à répondre négativement, si la rivière a été rendue artificiellement navigable; on ne saurait admettre que, par son propre fait, l'administration ait pu mettre à néant le droit antérieur de l'usinier: il y aurait quelque chose d'inique à lui refuser toute indemnité, alors que les riverains reçoivent un dédommagement, à raison de la privation du droit de pêche ou de l'établissement du chemin de halage. Du reste, nous ferons observer que ce cas se présentera bien rarement; lors de la canalisation des rivières, le problème le plus difficile à résoudre est de réunir une quantité d'eau suffisante pour les besoins de la navigation et ce n'est que dans des circonstances tout-à-fait exceptionnelles que les ingénieurs laisseront subsister des établissements susceptibles d'absorber partie des eaux disponibles;

aussi en exigeront-ils la suppression avant même que la rivière ne soit devenue navigable; la question que nous examinons en ce moment ne sera donc presque jamais soulevée dans la pratique. La solution devra-t-elle être la même lorsque la rivière sera devenue naturellement navigable? On pourrait dire que l'usinier doit subir les conséquences d'un fait qui s'impose à tout le monde; la législation de la rivière a complétement changé par suite de la constatation de ce fait; la situation des propriétaires riverains s'est modifiée du tout; ainsi, ils ont perdu le bénéfice que leur assurait l'art. 644: si toute prise d'eau ne peut avoir lieu à l'avenir que moyennant autorisation toujours révocable, pourquoi les prises d'eau anciennes continueraient-elles à exister sans l'aveu de l'administration? pourquoi cette dernière ne pourrait-elle pas les révoquer ad nutum dès que cette révocation deviendrait nécessaire ? Evidemment ce que l'intérêt public exige dans un cas, il l'exige dans l'autre ; quelle serait donc la raison de distinguer? Ces considérations, quelque spécieuses qu'elles soient, ne sauraient nous déterminer et nous pensons, avec la doctrine commune, que l'usine dont s'agit continuerait à avoir un titre légal postérieurement aux circonstances qui auraient rendu la rivière navigable. Nous trouvons de puissants arguments d'analogie : 1o dans l'art. 3 du décret du 22 janvier 1808, relativement à l'établissement de la servitude de halage sur les rivières qui antérieurement n'y étaient point assujetties. « Il sera payé aux riverains des fleuves et rivières dans lesquels la navigation n'existait pas et où elle s'établira une indemnité, etc..., etc... » 2° dans l'art. 3, §3, de la loi du 15 avril 1829: « Dans le cas où des cours d'eau seraient rendus ou déclarés navigables ou flottables les propriétaires qui seront privés du droit de pêche auront droit à une indemnité, etc..., etc... » Ainsi donc, quelles que soient les circonstances dans lesquelles la navi

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gation se sera établie, une indemnité sera toujours due à l'usinier lésé ; mais, en même temps, il ne faut pas perdre de vue que ce dernier sera tenu de faire la preuve de l'existence réelle de l'usine antérieurement à l'époque où la rivière est devenue navigable. Peu importerait qu'en vertu des anciens règlements applicables à cette rivière, il eût pu établir une prise d'eau avant cette époque; ce droit aurait définitivement disparu par suite de l'établissement possible de la navigation, et l'usine qui aurait été depuis construite, même avec l'autorisation administrative, ne saurait être considérée comme ayant un titre légal; sa suppression ne donnerait lieu à l'attribution d'aucune indemnité. Une décision du Conseil de Préfecture de Saône-et-Loire, en date du 4 décembre 1863 (J. du dr. adm., T. XII, p. 216), compare très-justement la position de cet usinier à celle d'un riverain de la voie publique, dont les droits ont été diminués, par un arrêté d'alignement, sans qu'il puisse pour cela prétendre à aucun dédommagement. « Considérant que M. de Chizenil se trouverait à cet égard dans une position analogue à celle du propriétaire d'une maison, située primitivement sur l'alignement, et dont la reconstruction serait opérée postérieurement à un arrêté de police prescrivant des modifications dans le plan de la voie publique; que, dans ce cas, le propriétaire n'aurait évidemment le droit de rebâtir qu'en vertu d'une autorisation conforme au plan actuel sans pouvoir réclamer l'application des plans et arrêtés préexistants... >>

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357. Usines concédées lors de la création des canaux de navigation. -Certains canaux de navigation, en très-petit nombre, ont été établis de manière à satisfaire au double service de la navigation et de l'industrie; nous citerons, pour exemple, le canal du Midi, le canal de l'Ourcq, le canal Saint-Maur. Les chutes d'eau, concédées à titre onéreux lors de la création de ces canaux, constituent de vé

ritables propriétés ; les cahiers de charges fixent la plupart du temps la situation des usiniers et leur confèrent titre légal. Nous croyons du reste que, quand même leur droit ne serait pas garanti par une clause spéciale, il n'y aurait point lieu de reconnaître à l'administration le droit de supprimer leur établissement sans indemnité. Le volume d'eau qu'ils emploient n'a, en quelque sorte, jamais fait partie du domaine public; il a donc pu faire l'objet d'une vente réelle et incommutable. Bien différente sera la situation des usiniers dont les concessions seront postérieures à la mise en activité du canal; ils rentreront sous l'empire de la loi commune et ne seront point considérés comme ayant titre légal : peu importerait que le canal eût fait l'objet d'une concession perpétuelle, les concessionnaires ne pouvant conférer aux tiers aucun droit que l'administration jugerait inconciliable avec les intérêts du service de la navigation.

358. 3° Usines établies antérieurement à l'époque où le domaine public a été déclaré inaliénable. On sait que l'édit de février 1566 est le premier texte qui a consacré d'une manière générale le principe de l'inaliénabilité du domaine public; jusqu'à cette époque, le roi avait sur les biens composant ce domaine les mêmes pouvoirs que les particuliers ont sur leurs propres patrimoines; rien ne l'empêchait de les vendre, de les échanger, de les grever de servitudes. Comme nous l'avons vu, les rivières navigables ou flottables étaient devenues à cette époque l'objet de nombreuses conventions; des prises d'eau y étaient pratiquées en vertu d'autorisations royales; de nombreux moulins s'élevaient sur leurs bords; enfin, le droit d'établir usine sur les arches des ponts faisait l'objet de ventes continuelles. Dans la première moitié du dix-septième siècle on essaya d'inquiéter les propriétaires de ces établissements; mais bientôt les agents du domaine se convainquirent de l'inu

tilité de leurs efforts; on préféra maintenir les usiniers dans leurs droits antérieurs, sauf à les assujettir au paiement d'une redevance. Une déclaration du mois d'avril 1668 porte que les détenteurs des îles, attérissements, droits de pêche, péage, passage, bacs, bateaux, ponts et moulins et autres droits sur les rivières navigables qui justifieront d'une possession de cent années, y seront confirmés à perpétuité en payant un vingtième du revenu. Vient ensuite l'édit d'avril 1683, qui distingue deux sortes d'établissements 1o Etablissements concédés en bonne forme antérieurement à 1566: leurs propriétaires sont définitivement confirmés dans leurs droits sans pouvoir être soumis au paiement d'aucune redevance: A ces causes, etc..., confirmons en la propriété, possession et jouissance des îles, îlots, attérissements, accroissements, droits de pêche, péages, passages, bacs, bateaux, ponts, moulins et autres édifices et droits sur les rivières navigables, dans l'étendue de notre royaume, pays, terres et seigneuries de notre obéissance, tous les propriétaires qui rapporteront des titres de propriété authentique faits avec les rois nos prédécesseurs, en bonne forme, auparavant l'année 1566, c'est à savoir, inféodations, contrats d'aliénation, aveux et dénombrements qui nous auront été rendus et qui auront été reçus sans blâme. 2° Etablissements existant antérieurement à 1566 leurs propriétaires ne peuvent être maintenus dans la plénitude de leurs droits que moyennant une redevance annuelle. Quant aux possesseurs des dites îles, îlots, fonds, édifices et droits susdits sur les dites rivières, depuis les lieux où elles sont navigables sans défense ni artifice, qui rapporteront seulement des actes authentiques de possession commencée avant le 1er avril 1566 et continuée sans trouble, voulons et nous plaît qu'eux, leurs héritiers, successeurs et ayants cause, demeurent confirmés, comme nous les confirmons en leur possession sans qu'à

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