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sance, ne peut venir demander une indemnité, par cela seul que les bâtiments dont se composait son établissement existaient antérieurement à 1566: il doit prouver, d'une manière certaine, qu'antérieurement à 1566, ses auteurs étaient en possession non-seulement desdits bâtiments, mais encore de la prise d'eau aujourd'hui supprimée. C'est ainsi qu'un arrêt du Conseil du 9 août 1870 (Lebon, 70-1057) a annulé une décision du Conseil de préfecture du Nord qui, en se fondant sur le fait seul de l'existence de la ville de SaintAmand en 1566, et sans viser aucun fait de possession remontant à cette époque et dont cette ville pût se prévaloir, lui avait néanmoins reconnu un droit sur les eaux de la Scarpe, D'autre part, il arrive souvent que l'usinier qui ne peut faire preuve de l'existence de la prise d'eau antérieurement à 1566, qui parfois même reconnaît qu'elle n'a été établie qu'à une époque beaucoup plus rapprochée, produit des titres de concession antérieurs à 1566. Pour apprécier si l'usine a ou non titre légal, faut-il se référer à la date de la concession ou à celle de l'établissement de la prise d'eau ? Un arrêt du Conseil du 23 août 1845 (Lebon, 45-449) décidait que l'administration avait pu supprimer, sans indemnité, les moulins d'Island établis sur le Rhône, postérieurement à 1566, en vertu d'un acte du 19 novembre 1491, par lequel les chanoines de la cathédrale de Lyon, exerçant alors les droits régaliens dans cette ville, concédaient à perpétuité une partie du cours de la rivière avec le droit d'y établir moulins et usines. Cette jurisprudence n'a point prévalu et le ministre des travaux publics a reconnu lui-même qu'elle était exorbitante : on admet aujourd'hui que la concesion d'un droit d'arche, ou de moulin antérieure à 1566, constitue titre légal, quelle que soit l'époque à laquelle il en ait été usé. Nous citerons les termes mêmes de l'arrêt du 9 avril 1863 (Lebon, 63-336). « Considérant que le moulin du sieur C... n'a été établi qu'en 1624,

il résulte de l'instruction et notamment de la quittance authentique, en date du 3 novembre 1567, que, dès l'année 1478, les auteurs du sieur C.... étaient, aux termes d'une concession de l'autorité souveraine, en possession de troisième arche du pont de Vernon sur laquelle a été construit le dit moulin ainsi que du courant d'eau passant sous cette arche; que, dans ces circonstances, c'est avec raison que l'arrêté attaqué a décidé que le moulin du sieur C........ avait une existence légale, et qu'à raison de la réduction de sa force motrice, par suite des travaux exécutés par l'administration dans le lit de la Seine, une indemnité était due par l'Etat au dit sieur C.... » La solution ne devrait point varier, alors même que le moulin existant légalement antérieurement à 1566, aurait été reconstruit depuis cette époque; ce point qui avait déjà été reconnu par l'arrêt de 1845 n'est plus controversé aujourd'hui : on peut consulter spécialement l'arrêt du Conseil du 10 février 1865 (Lebon, 65-175). Cette décision est importante, en ce sens qu'elle indique les limites du droit des usiniers ces derniers ne peuvent réclamer d'indemnité qu'à raison de la prise d'eau, telle qu'elle était déterminée par les actes de concession ou telle qu'elle était possédée par leurs auteurs avant 1566; si depuis cette époque, elle a été modifiée avec le consentement de l'administration, l'augmentation de jouissance qui en résultait ne doit point être prise en considération pour le calcul de la dite indemnité; c'est là un élément qu'il convient d'écarter avec soin.

361. En droit pur, c'est à l'usinier à rapporter les titres antérieurs à 1566 ou à justifier conformément aux règles ordinaires que ses auteurs étaient, à cette date, en possession de la prise d'eau. D'autre part, c'est à l'Etat de produire tous les documents qui seraient de nature à infirmer la valeur de ces titres, par exemple à établir que, lors de la concession de l'usine, il avait été entendu que la prise d'eau

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pourrait être supprimée sans indemnité (Cpr. analogue, Liége, 29 mai 1873; Pas., 73-2-254). Il est bon de noter que, dans la pratique, l'administration n'est guère sévère sur les preuves à exiger: elle admet, comme démontrant la légalité des usines, des titres qui, devant les tribunaux ordinaires, ne seraient la plupart du temps considérés que comme commencement de preuve par écrit. Le Conseil d'Etat l'a du reste encouragée de tout temps dans cette voie en appliquant à la lettre l'adage « in antiquis enuntiativa probant. C'est ainsi que l'arrêt du 30 juin 1846 (Lebon, 46-217) reconnaît une existence légale au moulin de l'Isle, par ce seul motif qu'un arrêt du Parlement de Toulouse du 27 septembre 1740 vise un acte du 10 août 1523 et deux baux à ferme des 9 juillet 1551 et 30 avril 1554, où il est question de ce moulin. Dans une autre espèce, le Conseil de préfecture du Nord n'avait point considéré comme preuve suffisante : 1o un aveu et dénombrement de 1460, fait par le seigneur de Montjean à Réné, duc d'Anjou, et dans lequel il était incidemment question du moulin de Montjean; 2° une transaction de 1541, relative à ce moulin; 3o un bail à rente viagère du 22 juin 1693 où il était parlé de la très-ancienne origine de ce moulin : cette décision fut annulée comme trop sévère par arrêt du 10 mars 1848 (Lebon, 48-127). Jusque là, rien de mieux; mais force nous est obligé de reconnaître que le Conseil d'Etat, désireux de sauvegarder les intérêts des particuliers, dépasse parfois la mesure et se met en lutte ouverte avec les dispositions du Code sur la matière des preuves. Ainsi, une contestation est pendante entre les propriétaires du moulin de Jossécourt, situé sur la Chée et l'administration, représentée par le ministère des Travaux publics. On se demandait si des saignées avaient pu être pratiquées, sans indemnité, dans le canal d'Ornain qui se jette aujourd'hui dans la Chée, en amont dudit moulin. Il s'agissait de savoir si, an

térieurement à 1566, le canal d'Ornain se jetait bien dans la Chée au même point qu'à l'époque actuelle, et si, en conséquence, les propriétaires du moulin avaient antérieurement à 1566, le même droit sur les eaux de ce canal que sur celles de la Chée. Il semblait naturel que la preuve de ce dernier fait fût mise à la charge du meunier demandeur; le Conseil d'Etat a pensé néanmoins qu'il y aurait peut-être quelque chose de trop rigoureux à l'y astreindre dans son arrêt du 10 juillet 1871 (Lebon, 71-72), il semble admettre que c'était au ministre qu'incombait le fardeau de la preuve. « Considérant que le Ministre des Travaux publics soutient, il est vrai, dans sa réponse au pourvoi, que les requérants ne justifieraient pas qu'avant 1566, le canal déversât ses eaux dans la Chée et qu'il serait possible qu'il les déversât alors dans la rivière d'Ornain, mais qu'il n'apporte aucun document à l'appui de cette hypothèse... » Cette décision tendrait à établir une sorte de présomption en faveur des usiniers; aussi la regrettons-nous, quels que soient les motifs d'équité qui aient pu l'inspirer.

362. Il semble qu'en présence des textes législatifs que nous avons rapportés plus haut, aucun doute ne soit possible sur la situation légale des prises d'eau autorisées depuis 1566. Il est bien vrai que plus d'une fois le principe de l'inaliénabilité du domaine public a été méconnu dans le courant des XVII et XVIIIe siècles et que plus d'une usine a fait l'objet d'une concession perpétuelle; après des remontrances réitérées, les parlements avaient fini par tolérer cette violation de l'édit de 1566. En droit pur, ces concessions dites perpétuelles ne sauraient être considérées que comme de simples autorisations toujours précaires et révocables: le titre de l'usinier qui n'a d'autre base qu'un abus de pouvoir ne saurait lui permettre de réclamer une indemnité en cas de suppression de son établissement. Il y a peut être quelque chose de dur à le dépouiller ainsi d'une

propriété qui existe depuis longues années et qu'il croyait assise sur sa tête d'une manière incommutable, mais la loi est suivant nous formelle. Tout ce que l'on peut dire en sa faveur, c'est qu'au cas où cette concession aura été achetée à prix d'argent, l'administration devra lui rembourser la somme versée par ses auteurs, soit en totalité, soit en partie, suivant qu'il s'agira d'une suppression totale ou d'un chômage partiel : suivant la remarque de M. Batbie (T. V, no 363) il n'y aura pas là exception au principe qu'une usine établie sans titre légal peut être supprimée sans indemnité, mais simple application de l'action condictio ob rem dati re non secuta. Un avocat distingué du barreau d'Evreux, M. Duwarnet, s'est demandé s'il n'y avait pas moyen d'aller plus loin encore et à la suite de nombreuses recherches historiques, il en est arrivé à soutenir, qu'alors même qu'une usine aurait été concédée postérieurement à 1566, la concession en serait irrévocable: sans doute, dit-il les rivières faisaient, dans notre ancien droit, partie du domaine royal, mais, ce serait une erreur que de croire qu'elles faisaient partie du grand domaine qui seul était régi par l'édit de 1566; elles n'ont jamais appartenu qu'au petit domaine resté aliénable jusqu'à la loi du 22 novembre 1790 et la preuve en est dans l'édit du mois d'août 1708 qui, énumérant tous les objets dont se compose le petit domaine, y fait rentrer les îles, ilots, créments, attérissements, accroissements, droits sur les rivières navigables, leurs fonds, lits, bords, quais et marchepieds, les bras, courants, eaux mortes et canaux (V. Rev. Crit., T. II, p. 744 et seq.) En ce sens on peut rapporter l'arrêt de Bruxelles du 5 mai 1873 (Pas. 73-2-207). Ce raisonnement est absolument erroné: l'édit de 1708 ne nous dit nullement que les eaux mêmes des rivières, c'est-à-dire ce qui fait l'objet des concessions accordées aux usiniers, dépendent du petit domaine; ce n'est que par voie d'induction

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