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que l'on en peut tirer cette conséquence et cela seul diminue singulièrement à nos yeux la valeur de l'argument. D'autre part, alors même que cet édit aurait la portée que lui attribue M. Duwarnet, nous ne saurions nous y arrêter parce qu'il serait contraire à tous les textes sur la mafière. L'édit de 1566 n'autorise l'aliénation que des terres, prés, marais et palus vagues dépendant du domaine de la couronne de même, il n'est parlé dans la loi de 1790, que des aliénations domaniales de terrains vagues, de landes, bruyères, palus, marais et terrains en friche : des rivières navigables, pas un mot; nous sommes donc loin de l'énumération de 1708. Ajoutons que cet édit ne saurait se justifier au point de vue rationnel. Quelle est en effet la raison qui a fait maintenir l'aliénabilité du petit domaine? C'est que les biens de ce domaine ne sont pas productifs de revenus ou sont onéreux pour le roi. « Ce sont, suivant les expressions de d'Aguesseau, des biens dont on ne peut jouir qu'en les aliénant, et pour se servir ici des expressions du droit civil, quorum usus in abusu consistit. Entre les mains du roi, les charges en consomment le revenu; ainsi, le roi les perd en voulant les garder, et il profite au contraire en les aliénant, parce que les seigneurs voisins de ces domaines, ayant des raisons de convenances, d'honneur et de commodité qui les portent à les acquérir, en donnant au roi souvent plus que leur véritable valeur et une valeur exempte de toutes les charges qui en absorbaient. auparavant le revenu. » Ecoutons encore Merlin (Rép., v° Domaine public, § IV). « La dénomination de petit domaine embrasse tous les biens dont, en tout temps, on a regardé l'aliénation comme permise à titre de propriété incommutable, parce que l'exploitation en est dispendieuse et le revenu modique. Or, a-t-on jamais pu considérer l'eau des rivières comme chose de nulle valeur ou onéreuse pour le roi? Proposition singulière et qu'il n'y a même pas besoin de discu

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ter. La seule chose qui puisse expliquer l'édit de 1708, c'est la détresse du trésor public dans les dernières années du règne de Louis XIV: que l'on ait cherché à faire rentrer dans le petit domaine le plus de biens domaniaux possible, nous le comprenons, puisque, dès lors, leur aliénation pouvait procurer au trésor royal des ressources inespérées; mais, que les mesures arrêtées à cette époque aient définitivement fixé la législation, qu'un édit comme celui de 1708 se soit substitué à celui de 1566, c'est ce que nous ne pouvons croire, et nous persistons à penser que, depuis 1566 la règle de l'inaliénabilité du domaine public s'est appliquée dans toute sa rigueur aux rivières navigables ou flottables.

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363. 3° Usines ayant fait, postérieurement à 1566, l'objet de contrats d'engagement. On sait ce que signifiait, dans notre ancienne jurisprudence, ce terme : contrat d'engagement. C'était un acte par lequel le roi vendait en réalité une partie du domaine public, mais en stipulant que le bien vendu serait rachetable à perpétuité; par là, se trouvaient éludées les dispositions de l'édit de 1566 qui, disait-on, n'avait prohibé que les aliénations à titre gratuit et irrévocable. Nous sortirions de notre cadre si nous examinions en détail la situation qui a été faite aux détenteurs de biens engagés. Cette matière soulève de graves et difficiles questions, et pour leur examen, nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer nos lecteurs à l'article qu'y consacre spécialement le répertoire de M. Dalloz. Nous nous bornerons à rappeler les textes spéciaux intervenus depuis la révolution et qui ont fini par reconnaître, au profit des détenteurs, un droit certain et incommutable. Nous trouvons d'abord la loi des 22 novembre-1er décembre 1790 qui dispose que tous les contrats d'engagement seront rachetés, en ajoutant du reste qu'aucun détenteur ne pourra être dépossédé avant d'avoir été mis en demeure de recevoir sa finance princi

pale avec accessoires (art. 23 et 25). Vint ensuite la loi du 10 frimaire an II, qui confisqua d'une manière générale les domaines engagés : l'état les reprenait sans rendre l'argent qu'il avait reçu. En pratique, cette mesure exorbitante ne pût être exécutée d'une manière générale et l'on dut se borner à l'appliquer contre les émigrés: aussi, fut-elle bientôt rapportée par une loi du 22 frimaire an III. Une loi du 14 ventôse an VII régla définitivement la matière: dans son article 8, elle déclarait révoquées toutes les aliénations du domaine de l'Etat, faites en vertu de contrats d'engagement à quelque époque et à quelque titre que ce fût; mais, en même temps, par ses articles 14 et suivants, elle offrait, aux détenteurs des biens engagés, le moyen d'échapper à la rigueur de ce principe: elle les maintenait en possession, à condition de faire dans le délai d'un mois, devant l'administration municipale, la soumission de payer le quart desdits biens et de renoncer en même temps à toute imputation, compensation ou distinction de finance ou amélioration. En effectuant cette soumission (ce sont les propres termes de l'article 14), ils seront maintenus dans leur jouissance et réintégrés en icelle s'ils en ont été dépossédés et que lesdits biens se trouvent sous la main de la nation; déclarés en outre et reconnus propriétaires incommutables et en tout assimilés aux acquéreurs de biens nationaux aliénés en vertu des décrets des Assemblées nationales. L'article 9 de la loi du 12 mars 1820 est venu conférer à ces détenteurs un privilège plus grand encore il décide qu'à l'expiration d'un délai de 30 ans, ayant pour point de départ la promulgation de la loi de l'an VII, ils seront considérés comme propriétaires incommutables, alors même qu'il n'auraient pas satisfait à l'obligation que cette dernière loi leur imposait vis-à-vis du trésor. Le 4 mars 1829, l'administration des domaines essaya de paralyser l'effet de cette mesure législative en signifiant aux détenteurs de biens engagés environ dix mille actes

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interruptifs de prescription: mais aujourd'hui un nouveau délai de 30 ans s'étant écoulé sans nouvelles protestations de sa part, la prescription est devenue définitive et les domaines engagés sont devenus irrévocablement la propriété des particuliers qui les possèdent: les usines, concédées à ce titre, sont donc, comme le disait la loi de l'an VII, assimilées aux usines vendues nationalement dont nous parlerons dans un instant.

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364. Usines concédées aux corporations religieuses à titre de dotation. L'édit du mois d'avril 1683 que nous avons déjà cité plus haut confirmait, dans tous leurs droits sur les rivières navigables, les églises et monastères qui justifieraient que ces droits leur auraient été conférés, à titre de fondation. ou dotation. Nous avons confirmé et confirmons en la propriété et jouissance des droits, même en ceux de justice et de propriété desdites rivières, les églises et monastères de fondation royale, auxquels les droits auront été donnés par les rois nos prédécesseurs pour cause de fondation et dotation desdites églises, mentionnée dans leurs titres ou dans les déclarations des biens et revenus desdites églises qui se trouveront en nos chambres des comptes. » Depuis la constitution civile du clergé et les lois de 1790, cette partie de l'édit ne saurait recevoir d'application. Il se pourrait cependant, qu'antérieurement à cette époque, des tiers eussent acquis un moulin ou une usine d'une des corporations auxquelles l'édit fait allusion. Suivant nous, les établissements qui rentrent dans cette catégorie constituent aujourd'hui de véritables propriétés privées; rien n'est venu détruire le titre légal que leur avait reconnu l'édit de 1683.

365. 5° Usines vendues comme biens nationaux en vertu des lois révolutionnaires. Tout d'abord, première hypothèse la vente nationale a porté sur un moulin ou une usine existant antérieurement à 1566 et qui, par conséquent,

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constituait une propriété privée avant l'époque de sa confiscation. Ces établissements qui se trouvaient avoir un droit acquis à une indemnité, en cas de suppression ou de chômage, ont été, pour la plupart, vendus avec les droits qui y était attachés antérieurement : les adjudicataires se trouvaient mis au lieu et place des propriétaires dépossédés. La plupart des actes de vente des biens nationaux contiennent la clause suivante. » Lesdits biens étant vendus tels qu'en ont joui et dû jouir les précédents fermiers et ceux dont ils proviennent. Mais il n'est pas besoin que cette clause se trouve expressément insérée dans l'acte de vente il est aujourd'hui universellement admis qu'elle y doit dans tous les cas être sous-entendue c'est en quelque sorte une de ces suites naturelles et équitables du contrat dont parle l'article 1157 Code civil. Pour que l'Etat soit déchargé de toute indemnité vis-à-vis de l'usinier, il doit justifier qu'en vertu d'une stipulation formelle acceptée par lui, l'adjudicataire s'était engagé à n'élever aucune réclamation en cas de chômage ou de suppression. « Considérant, est-il dit dans l'arrrêt du Conseil du 16 novembre 1850 (Lebon 50-823), que l'usine dont il s'agit a une existence antérieure à 1566 et que par l'acte du 29 fructidor an II, l'Etat l'a vendue sans aucune réserve et par conséquent avec les droits attachés à son origine qu'ainsi c'est à tort que le Conseil de Préfecture a décidé qu'il ne pouvait être dû aucune indemnité aux requérants à raison de ladite usine. » M. Cornudet, alors commissaire du gouvernement, développait en excellents termes les principaux motifs qui peuvent venir à l'appui de cette jurisprudence. « Sans doute, dans l'espèce, l'Etat n'a pas vendu expressément aux actionnaires des moulins de Moissac, par l'acte de vente nationale du 22 fructidor an II, une force motrice déterminée pour le grand moulin; en effet, nulle clause de l'acte ne porte formellement une condition semblable. Mais cette condition ne résultait-elle pas vir

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