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voulant construire le long d'une grande route, demande une autorisation préalable, l'administration ne pourrait insérer dans l'acte donnant l'alignement, la condition que la maison sera démolie sans indemnité, si l'utilité publique le requiert. Dans ce cas, le propriétaire ne fait qu'user de son droit de propriété. L'intervention administrative a seule'ment pour but d'empêcher qu'au milieu de ses travaux dę construction, il n'opère un empiétement sur ce qui est ou doit être la voie publique. » Et quelques lignes plus bas : Dans l'espèce, de quoi s'agit-il ? d'un changement opéré dans les proportions et dans la position relative de la roue et du coursier. Ce changement, approuvé dans tous ses détails par l'autorité administrative, a-t-il eu pour résultat d'accorder à l'usine une plus grande quantité d'eau ou une plus grande hauteur de chûte? Certainement non. Les rapports des ingénieurs ne laissent pas le moindre doute à cet égard. Tout se réduit donc à ceci, qu'un certain nombre de gouttes d'eau glissant précédemment à côté de la roue sans la toucher et opérant sur le coursier un choc inutile, frappent aujourd'hui cette roue mieux placée et augmentent sa vitesse. Nous demandons à tout homme de bonne foi en quoi cela peut intéresser la viabilité, la salubrité, ces deux grands intérêts au nom desquels on a constitué en matière de cours d'eau le pouvoir discrétionnaire de l'administration. Bien évidemment, l'administration n'intervient dans les changements apportés aux roues et au coursier que pour exercer un droit de surveillance, pour s'assurer qu'à la faveur de ces changements on n'augmente pas la hauteur d'eau accordée à l'usine. » L'arrêt rendu sur ces conclusions à la date du 5 juillet 1855 (Lebon, 55-496) se prononce d'une manière plus nette encore: il en résulte, ainsi que de deux autres arrêts en date des 29 janvier 1857 (Lebon, 57-84), et 30 juillet 1862 (Lebon, 62-609) que dans l'espèce, la clause de non-indemnité ne pouvait être

imposée à l'usinier, puisqu'en autorisant les modifications dont s'agit, l'administration ne consacrait aucune innovation, mais se bornait à user de son droit de surveillance sur les cours d'eau; en d'autres termes, dès qu'il n'y a point concession d'une prise d'eau, on se trouve en dehors du seul fait qui justifie l'insertion d'une semblable clause.

370. Lorsqu'un usinier réclame une indemnité à raison de la suppression totale ou partielle de sa prise d'eau, il doit établir avant tout que le dommage dont il se plaint lui a été réellement causé par l'administration et notamment que les travaux qui lui ont porté préjudice émanent bien de la libre initiative de cette dernière. Si donc, il avait demandé lui-même qu'elle entreprît les travaux dont il s'agit, il devrait, au cas où ces travaux auraient, contre son attente, diminué le volume de la prise d'eau, être déclaré non recevable en sa demande. Nous trouvons une application remarquable de ce principe dans un arrêt du Conseil du 30 mars 1870 (Lebon, 70-367): lors de l'établissement d'un chemin de fer le long d'un cours d'eau, un usinier avait réclamé certaines modifications au réglement de son usine, à raison du changement que la construction de la voie devait entraîner dans le régime de la rivière; plus tard, il s'aperçut que, loin d'avoir un résultat utile, ces modifications avaient abouti à une diminution sensible de la force motrice de son usine; son action fut repoussée par ce motif unique qu'il avait lui-même sollicité la mesure lui faisant grief. — Dans bien des cas d'ailleurs, le chômage proviendra d'une cause accidentelle qui ne sera nullement imputable aux agents de l'Etat; ainsi, comme nous venons de le voir plus haut, il aura été causé par des travaux de construction d'un chemin de fer la compagnie concessionnaire en sera seule responsable. D'autres fois, l'usinier supérieur, par un abus dejouissance, aura privé l'usinier inférieur d'une partie des eaux auxquelles il a droit: ce sera contre l'auteur direct du dom

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mage et non contre l'administration qu'il y aura lieu de recourir, alors même qu'elle aurait autorisé les travaux constituant l'abus de jouissance. Il arrive aussi quelquefois que la diminution de force motrice provient de l'échouage d'un bateau qui encombre le lit de la rivière et obstrue la prise d'eau: c'est bien certainement le propriétaire du bateau qui seul doit être tenu des dommages-intérêts, à moins toutefois que l'administration ou ses agents ne soient euxmêmes la cause de l'échouage du bateau, en n'ayant pas signalé un passage dangereux, ou en commandant une fausse manœuvre. On pourrait concevoir quelques doutes sur ce que nous venons de dire dans l'hypothèse où le chômage aurait été amené, non par l'échouement même du bateau, mais par les mesures que l'administration a dû prendre d'office pour le relever; il semblerait qu'il y a eu là un fait propre de cette dernière, engageant sa responsabilité. Le Conseil d'Etat n'a point admis ce raisonnement. « Considérant, dit l'arrêt du Conseil du 24 janvier 1861 (Lebon, 61-61), que les chômages dont se plaint le sieur Douliez ont été la conséquence de mesures prises par l'administration à l'effet de relever deux bateaux qui avaient sombré dans l'Escaut et qui encombraient le lit de cette rivière; que l'administration, en agissant ainsi, dans le but unique de réparer cet accident auquel elle était étrangère et d'assurer ainsi le libre cours de la navigation, n'a fait qu'user des pouvoirs de police qui lui sont conférés par la loi; que, dans ces circonstances, c'est avec raison que le Conseil de préfecture a repoussé la demande d'indemnité que le sieur Deuliez avait formée contre l'Etat... » Nous supposons naturellement que l'administration n'a elle-même commis aucune faute la solution serait toute différente dans le cas contraire si, par exemple, elle n'avait pas agi avec la diligence nécessaire, si, par la mauvaise direction donnée aux travaux, elle avait aggravé la situation de l'usinier, elle

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pourrait elle-même être actionnée en même temps que le propriétaire du bateau.

371. S'il y a eu non pas suppression ou diminution de la force motrice de l'usine, mais simple chômage momentané, le propriétaire ne peut obtenir d'indemnité qu'autant qu'il n'aura point profité lui-même de ce chômage, pour réparer le mécanisme de son usine: ici en effet, aucun préjudice ne lui aura été causé par cette interruption de travail (C. d'Etat, 13 juillet 1866; Lebon, 66-830). A fortiori, en sera-t-il de même, lorsque le chômage de l'usine aura été ordonné d'office pour que l'usinier procédât à certaines réparations jugées urgentes par l'administration. En un mot, lorsque le chômage aura eu lieu à la fois dans l'intérêt de la navigation et dans le but de conserver la force motrice des usines, aucune indemnité ne sera due par l'administration telle est la formule précise qui résulte de l'arrêt du Conseil du 2 juin 1869 (Lebon, 69-567).

372. Supposons que plusieurs personnes aient un droit sur l'usine dont la force motrice vient d'être supprimée soit en totalité, soit en partie; par qui l'indemnité pourra-t-elle être réclamée? Les auteurs sont aujourd'hui d'accord pour décider qu'elle se fractionnera en autant de portions distinctes qu'il y a de parties intéressées; ils s'appuient sur la règle d'équité qui a été consacrée, dans une matière analogue, par la loi du 3 mai 1841. « Le jury prononce des indemnités distinctes en faveur des parties qui les réclament à des titres différents, comme propriétaires, fermiers, locataires, usagers et autres intéressés. » Il n'y aura d'exception qu'au cas où l'on se trouvera en présence d'un nupropriétaire ou d'un usufruitier; ici encore, nous nous référerons aux dispositions si sages de la loi de 1841 que nous étendrons même au cas de dommages permanents. « Dans le cas d'usufruit, une seule indemnité est fixée par le jury eu égard à la valeur totale de l'immeuble; le nu-propriétaire

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et l'usufruitier exercent leurs droits sur le montant de la chose, au lieu de l'exercer sur la chose. L'usufruitier sera tenu de donner caution; les père et mère ayant l'usufruit légal des biens de leurs enfants en seront seuls dispensés. » Les parties réclamantes prouveront, comme elles l'entendront, la sincérité de leurs titres; nous rappellerons, du reste, que la jurisprudence se montre assez facile vis-à-vis d'elles, en ce qui touche l'administration; et alors même qu'elles n'éprouveraient qu'un simple dommage permanent, elles pourront bien souvent se mettre sous la protection de la jurisprudence admise en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique: pour ne citer qu'un exemple bien connu, on ne saurait exiger d'un locataire un bail ayant date certaine; c'est à l'administration à démontrer, comme elle le pourra, l'existence d'une fraude dont elle serait victime; on peut voir, en se reportant à un arrêt du 23 avril 1857 (Lebon, 57-321), combien le Conseil d'Etat se montre difficile pour faire tomber des actes qui, au premier abord, semblent suspects, mais qui, à un certain point de vue, peuvent se justifier par la situation des parties et les nécessités de leur industrie. Lorsque des contestations s'élèvent sur la qualité des parties, les Tribunaux civils doivent seuls en connaître : ainsi, lorsque deux personnes se disent locataires du même immeuble, le Conseil de Préfecture saisi de l'appréciation du dommage permanent causé à l'usine, est obligé de se déclarer incompétent jusqu'à ce qu'il ait été statué sur ce litige préjudiciel. Il en sera de même au cas où l'usinier aura transporté à des tiers son droit à une indemnité; les clauses de l'acte de transport ne pourraient être interprétées par les juges administratifs. C'est ce qui à été décidé en termes fort nets par l'arrêt du Conseil du 23 janvier 1864 (Lebon, 64-46). « Considérant que les héritiers du sieur Moquet et de la dame Hennequière, se fondant sur des actes de vente et de cession qui leur donne

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