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au point de vue du flottage dans une situation à part: que notamment il se trouve grevé d'une servitude exceptionnelle; que le passage des trains et des flots y est plus fréquent aux pertuis des usines et partant plus onéreux, ce qui ferait comprendre l'allocation d'une indemnité plus forte que dans les autres bassins. Ainsi donc, suivant la situation des usines, ce sera tantôt l'Ordonnance de 1672, modifiée en 1824, tantôt l'Ordonnance de 1669 qu'il conviendra d'appliquer. Toutefois, à plusieurs reprises, l'administration, se préoccupant peu de l'existence de ce dernier texte, a cru pouvoir règlementer d'office la matière et imposer aux flotteurs le paiement de certaines indemnités excédant le taux légal. Ceci ne serait admissible que s'il s'agissait de droits à percevoir par un usinier qui, au moyen de travaux exécutés à ses frais, aurait rendu flottable une rivière qui ne l'était pas antérieurement ou aurait amélioré les conditions antérieures du flottage car ici, l'indemnité ne serait point due à raison du chômage de l'usine, mais à raison de la circulation des trains sur la rivière; hors cette espèce, l'arrêté dont se prévaudraient les usiniers serait entaché d'excès de pouvoir et l'annulation en pourrait être demandée par la voie contentieuse.

392. L'usinier peut-il exiger que le paiement de cette indemnité lui soit faite avant le passage des trains où des flots? La jurisprudence ne l'y autorise point et il s'exposerait inévitablement à des poursuites s'il refusait le passage jusqu'à ce que les droits eussent été acquittés en ses mains. (Conseil d'État, 20 avril 1847. - Lebon, 47-222.) Il est à ce point de vue dans une situation bien moins favorable que les propriétaires dont les terrains sont momentanément occupés par les marchands de bois; l'Ordonnance n'établit rien en sa faveur qui puisse ressembler à un droit de rétention. Quelle peut être la raison de cette différence entre deux situations qui semblent identiques au premier abord?

On a prétendu que l'opération du flottage serait impossible si, sous un prétexte quelconque, les usiniers s'arrogeaient le droit de refuser le passage aux trains ou aux flots. L'arrêt prolongé de ces trains ou de ces flots en avant des vannes d'une usine pourrait amener l'encombrement de la partie de rivière située en amont et parfois occasionner de graves accidents; il est donc de toute nécessité que leur expédition ne soit nullement retardée. Obéir à toute injonction des flotteurs, tel est le devoir strict des usiniers. Peuvent-ils d'ailleurs se plaindre de la condition qui leur est faite? Evidemment non, puisqu'à l'époque où ils construisaient leur usine sur le bord d'un cours d'eau flottable, ils savaient ou devaient savoir quelle serait la servitude dont elle se trouverait grevée. Il y a dans cette réponse quelque chose d'assez juste: l'empilage des bois, lorsqu'il se prolonge sur les bords des rivières, n'entraînera jamais d'inconvénient semblable à celui qui vient d'être signalé, mais cela n'empêche pas qu'il n'y ait quelque chose de bizarre à voir deux personnes dont la créance résulte d'une cause à peu près analogue, être considérées, l'une comme créancier privilégié, l'autre comme simple chirographaire. N'était-il pas facile, après tout, d'autoriser l'usinier à exercer son droit de rétention non point lors du passage des bois à une usine, mais lors de leur arrivée au point d'arrêt le plus voisin? Cet expédient lui eût au moins évité l'obligation d'aller plaider au loin pour une contestation de minime importance. Il est vraisemblable que les rédacteurs de l'Ordonnance de 1672 ne sont coupables que d'un simple oubli et nous regrettons que le législateur de 1824 n'ait pas, lui non plus, songé à combler cette lacune.

393. L'indemnité à payer par les flotteurs est toujours la même, quelle que soit l'importance de la chute d'eau, quel que soit le nombre des vannes motrices; c'est ce qui résulte des termes mêmes de l'ordonnance. Nous en tirerons

cette conséquence naturelle qu'il n'y a pas à rechercher si, en fait, il y a eu préjudice souffert et quelle en a été la quotité; l'usinier ne peut obtenir une somme plus forte en prouvant que le fait du chômage a eu pour lui des conséquences désastreuses, que, par exemple, il n'a pu livrer à temps des commandes urgentes; rien n'y fera, le juge est lié par les dispositions de l'ordonnance et l'article 1146 est inapplicable à l'espèce. Cette indemnité comprend même les dommages qui sont la suite naturelle du passage des flots. C'est ce qui résulte d'un arrêt de la Cour de Rouen du 1er février 1844. (J. du Palais, 44-1-229): « Attendu que s'il résulte du procès-verbal des experts, que les atterrissements qui forment obstacle au passage des trains de bois proviennent en grande partie du flottage, rien n'indique que ce résultat soit dû à un flottage exercé dans des conditions anormales ou même que le flottage ainsi exercé ait contribué pour quoi que ce soit à ce même résultat; attendu que si, d'après les principes généraux du droit, un fait dommageable, résultant de l'exercice irrégulier du flottage caractérisant une faute imputable à l'entreprise dudit flottage, pouvait engager la responsabilité du prince de Rohan, il n'en peut être ainsi, lorsqu'il n'a fait qu'user légitimement de son droit, comme dans l'espèce, quel que soit le préjudice résultant d'ailleurs pour les usiniers de l'exercice de ce droit..... En sens inverse, le flotteur n'a point le droit de prétendre qu'aucun préjudice n'a été, en réalité, causé à l'usinier; ici, le texte de l'Ordonnance se retourne contre lui. Un seul point peut être douteux : nous avons vu qu'aux termes d'une sentence du bureau de la ville du 18 mars 1733, lorsque des bois empilés le long d'une rivière n'y seront point restés une année entière, l'indemnité due au propriétaire et fixée par l'Ordonnance de 1672, ne sera payée que proportionnellement au temps pendant lequel aura duré le dépôt. On s'est demandé si

l'indemnité fixée pour notre espèce par la même Ordonnance ne devrait pas être également réduite lorsque le chômage n'aurait pas duré en tout vingt-quatre heures. En théorie pure, ce mode de calcul semble parfaitement admissible, mais nous devons constater que, dans la pratique, jamais on n'a proposé de l'appliquer; suivant la remarque fort juste de la Cour de Rouen, une pareille division aurait les plus grands inconvénients dans l'application, et autant vaudrait ne rien accorder à l'usinier que de lui accorder une indemnité réduite à des proportions aussi misérables. Restent en présence deux opinions, l'une consacrée par l'arrêt de Rouen et suivant laquelle l'usinier n'a droit à son indemnité de 4 francs que si le fait du chômage de son usine a duré vingt-quatre heures sans interruption, l'autre qui lui accorde la totalité de ladite indemnité par cela seul que le travail de l'usine a dû cesser dans l'intérêt des flotteurs. C'est en ce dernier sens que nous croyons devoir nous prononcer; pour nous, si l'Ordonnance a fixé l'indemnité à cette somme pour vingt-quatre heures de chômage, c'est uniquement pour établir une base de calcul et non pour exclure de son application les chômages d'une durée moindre. Ce semble d'ailleurs déterminant au point de vue l'équité, c'est que l'opinion contraire arrive à n'accorder aucune indemnité: 1o lorsque le chômage est causé par le passage de trains de bois qui, s'il a lieu rapidement, n'en exige pas moins, de la part de l'usinier, des manoeuvres d'eau plus compliquées que le simple passage d'un flot; 2° lorsque l'usinier doit livrer passage à un flot isolé, qui, lancé en dehors des époques ordinaires et étant la plupart du temps mal surveillé, lui cause un préjudice plus considérable que le passage d'un flot de communauté. Dans l'un et l'autre de ces deux cas, le chômage ne dure le plus ordinairement que quelques heures, et l'usinier se trouverait privé de toute action sur ceux qui, en définitive, ont arrêté la

marche de son établissement, ce serait là une injustice véritable.

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394. L'usinier pour avoir droit à l'indemnité doit prouver 1° que son établissement est fondé en « droits, titres et concessions" portait l'Ordonnance de 1669, " en titres authentiques" porte celle de 1672. D'après un avis du Conseil des Ponts-et-Chaussées en date du 11 sept. 1843 et rapporté par M. Cotelle (Dr. adm., T. IV, no 996), il faudrait la preuve ou de l'existence de l'usine antérieurement à 1566, ou d'un titre en vertu duquel le droit de péage aurait été concédé à l'usinier comme récompense des travaux exécutés par lui ou par ses auteurs pour faciliter la navigation ou le flottage. Cette décision est exorbitante et heureusement elle n'a pas fait loi dans la pratique. On doit, au contraire, distinguer avec soin le chômage occasionné par les travaux publics, du chômage occasionné par le passage des trains et des flots. Dans ce dernier cas, les règles. sont toutes différentes et l'on se montrera beaucoup moins sévère. Les termes des Ordonnances se prêtent largement à l'interprétation la plus favorable aux usiniers; elles ne nous parlent plus de concessions antérieures à 1566, d'usines possédées dans telles ou telles conditions; il suffit que la concession soit certaine, quelle qu'en ait été l'époque ; que l'usinier ait le droit d'user des eaux; que ce droit soit attesté par un titre authentique, autrement dit qu'il s'agisse d'une usine autorisée, à quelque époque qu'ait été donné l'autorisation; 2° qu'il « tournait et travaillait, en d'autres termes, qu'il était en activité et n'a été obligé d'arrêter que sur la réquisition des flotteurs. Cette suspension de travail est une condition essentielle et si les roues de l'établissement n'étaient point antérieurement en marche, rien ne saurait être exigé en vertu de l'Ordonnance. Pourtant, l'usinier n'en aura peut-être pas moins subi un dommage sérieux; c'est ce qui arrivera toutes les fois que le chômage

III.

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