Page images
PDF
EPUB

réfuter, semble néanmoins reconnaître que le fait de s'approprier une épave constitue un vol à quelque époque que se soit manifestée l'intention frauduleuse. Mais en lisant avec soin cette décision, on voit qu'il s'agissait du vol non pas d'une épave proprement dite, mais de bois canards, échoués sur les rives de la Dordogne, c'est-à-dire d'objets soumis à une législation spéciale : du reste, les constatations de fait visées par l'arrêt (enlèvement nocturne, vente immédiate à vil prix) suffisaient à démontrer que l'intention de s'approprier les objets avait été concomitante à leur invention.

401. La situation des tiers à qui des épaves auraient été remises par les inventeurs est facile à déterminer si l'on se refère aux arrêts intervenus sur la question générale dont nous parlions tout à l'heure. Il est d'abord constant que ces tiers ne sauraient être considérés comme les auteurs directs d'un vol commis au préjudice de l'Etat : c'est ce qu'a décidé la Chambre criminelle en cassant, le 11 juillet 1862, un arrêt de la Cour de Paris (Dev., 63-1-54). Mais pourront-ils au moins être réputés complices d'un vol? Une distinction est nécessaire : si l'objet leur a été remis par quelqu'un qui n'avait pas l'intention de se l'approprier, l'acte de conserver cet objet, quelque repréhensible qu'il puisse être, ne tombe pas sous le coup de la loi pénale; en effet, celui qu'il faudrait considérer comme l'auteur principal ne peut lui-même être poursuivi : il n'y a pas de délit; donc il n'y a pas de complicité. « Attendu, porte l'arrêt de la Cour d'Orléans du 6 sept. 1853 (Dev. 56-2-54), que le délit de vol n'étant pas établi à la charge d'Adrien Fouchard, la complicité du père disparaît... L'arrêt de rejet de la Chambre criminelle, en date du 5 avril 1873 (Dev. 73-1-352) développe le point de droit d'une manière remarquable. Attendu que la soustraction qui est l'un des éléments constitutifs du délit de vol, n'existe, dans le sens légal et précis de ce mot, que lorsque la chose soustraite a

III.

[ocr errors]

66

16

28

été appréhendée ou déplacée contre le gré du propriétaire par le fait personnel de l'auteur de l'appréhension ou du déplacement; -Que cette condition n'est point légalement remplie si la possession de la chose soustraite résulte seulement de la remise qui en a été faite par le tiers qui l'avait lui-même appréhendée ; - Que dans ce cas, la possession ou la rétention même frauduleuse, différant essentiellement de la soustraction, l'art. 379 Code pénal, n'est pas applicable à celui qui a reçu ou qui détruit frauduleusement la chose appréhendée par un tiers et que celui-ci lui a remise.... 99 - Que si, au contraire, l'inventeur a eu l'intention immédiate de s'approprier l'épave, nous n'avons qu'à appliquer les règles ordinaires en matière de complicité : celui en la possession de qui aura été trouvée l'épave pourra sans nul doute être recherché en vertu des art. 59-60 Code pénal: c'est ce qui a été jugé par la Cour de Paris dans son arrêt du 9 novembre 1855 (Dev. 56-2-49.)

B

402. Le commerce désigne sous le nom de canards, les bois qui s'échappent des trains pendant le cours de la navigation ainsi que les bûches qui viennent à couler à fond.

66

On sait, dit M. Rousseau (p. 423), que, parmi les bois confiés au flottage à bûches perdues, il existe des bûches plus lourdes que les autres, et qui, s'étant plus imprégnées d'eau, tombent au fond et restent enfouies dans la vase. De même, dans le trajet des trains, il s'échappe un nombre assez considérable de bûches, qui flottent éparses ou deviennent canards ». Dans un autre passage (p. 108), le même auteur nous donne des détails intéressants sur la manière dont peuvent être repêchés les bois canards. Dès que le bois de flot est retiré de l'eau, on s'occupe, sur toute la longueur qu'il a parcourue, de la repè

66

che des canards; ces bois sont ensuite empilés sur les deux rives en pilons, espèce de roseaux peu élevés et grillés à claire voie, afin que l'air puisse circuler librement entre les bûches, pour sécher la vase et l'eau dont elles sont imprégnées. Ce travail est fait par des cantonniers, dont chacun a un espace déterminé ou canton à parcourir. D'autres ouvriers à la journée descendent la rivière d'un bout à l'autre de chaque côté et au moyen d'outils à ce destinés, retirent le bois enfoncé dans le sable ou la vase; cette opération se nomme régale. Les canards retirés et la régale effectuée, deux ouvriers connaisseurs placés, l'un à droite, l'autre à gauche, comptent, en la descendant, les pilons rangés sur la rive, qu'ils évaluent en même temps en stères. Cette opération se fait de rejet en rejet, c'est-à-dire de l'embouchure d'un ruisseau à un autre... » On comprend sans peine que les bois canards n'aient jamais été confondus avec les épaves proprement dites et aient, au contraire, été soumis à une législation spéciale; leur origine est connue, et le propriétaire en peut être facilement découvert; de plus, comme nous le verrons, les Compagnies de commerce se substituent à ce propriétaire et se les attribuent pour se rembourser des frais de repêchage. La revendication en aura donc lieu, dans tous les cas, et il serait souverainement inique de les attribuer au domaine ou à l'inventeur. A cela, s'ajoutent les nécessités de l'approvisionnement de Paris, dont les anciennes Ordonnances se préoccupaient d'une manière toute particulière; il était indispensable d'empêcher les bois flottés d'être détournés en route sous quelque prétexte que ce fût. Or, la statistique démontre que parfois un cinquième des bois lancés, sur les rivières flottables, à bûches perdues, se trouve arrêté et encanardy », comme disent les lettres-patentes de 1582. Deux sortes de mesures ont été édictées en conséquence pour assurer le repêchage des canards.,

[ocr errors]

403. 1° Interdiction aux riverains de s'emparer des canards.

Ord. de 1672, Chap. XVII, Art. 9 Sera loisible aux marchands de bois de faire pêcher par telles personnes que bon leur semblera les bois de leur flot qui auront été à fond d'eau, pendant quarante jours après que le dit flot sera passé et si, durant les quarante jours, autres marchands. jettent un autre flot, les dits quarante jours ne commenceront de courir que du jour que le dernier flot sera entièrement passé; et ne pourront, ceux qui se prétendent seigneurs des rivières et ruisseaux (aujourd'hui les riverains), se faire payer aucune chose, sous prétexte de dédommagement de la pêche, ou autrement, pour raison desdits bois canards. » — ART. 10. «Si les marchands sont négligents de faire pêcher lesdits bois canards durant les quarante jours, les seigneurs, ou autres ayant-droits sur les rivières, le pourront faire, après les dits quarante jours, à la charge toutefois de laisser les dits bois sur les bords des dites rivières, pour les frais de laquelle pêche et occupation des terres leur sera payé par les marchands à qui les bois se trouveront appartenir, ce qui sera arbitré par gens à ce connaissant, dont les parties conviendront eu égard aux lieux et revenu des héritages et du temps de l'occupation : fait défense auxdits seigneurs et autres de faire enlever en leurs châteaux et maisons lesdits bois, à peine d'être déchus de tout remboursement pour ladite pêche, et de restitution du quadruple du prix desdits bois qu'ils auront ainsi enlevés, dont les marchands pourront faire recherche. » — Ainsi, droit pour les marchands de faire repêcher les bois canards dans un délai de quarante jours. M. Rousseau (p. 109) considère ce délai comme absolument insuffisant. Suivant lui, comme à l'époque de l'Ordonnance de 1672, les rivières étaient mal entretenues et mal réparées, il devait rester beaucoup plus de canards qu'aujourd'hui ; on concevait alors la nécessité d'une disposition légale qui vint contraindre les intéressés à les enlever dans un court

délai, afin de ne pas entraver complètement le cours de la navigation. En fait, les canards ne sont jamais relevés que tardivement et le tirage n'est terminé que vers le mois d'août, à l'époque des basses eaux, c'est-à-dire quatre ou cinq mois après l'époque où le flottage a commencé. Il paraît que cet état de choses est tacitement accepté par les riverains; l'intérêt du commerce lui prescrivant de retarder cette opération le moins possible, pour éviter soit l'augmentation des ensablements, soit la perte et la détérioration des canards, on peut sur ce point s'en rapporter à sa diligence. Quoi qu'il en soit, l'Ordonnance de 1672 n'est nullement abrogée et continue à être la loi commune des flotteurs et des propriétaires riverains. Lorsque, dans le délai de quarante jours, les canards n'auront pas été repêchés, les riverains pourront faire procéder à cette opération, mais, bien entendu, àleurs risques et périls, c'est-à-dire en demeurant responsables de toutes détériorations qui surviendraient aux canards par leur fait. Contrairement à ce qui a lieu d'ordinaire, les sommes auxquelles ils peuvent avoir droit ne sont pas tarifées à l'avance; il était en effet impossible de les déterminer d'une manière générale; telle rémunération aurait été dérisoire dans certains cas, excessive dans d'autres. Les contestations qui surgiraient à ce propos, seront, aux termes de l'Ordonnance, déférées à des arbitres qui prendront pour base d'appréciation les difficultés du sauvetage, et, en cas d'occupation, le temps pendant lequel le riverain aura été privé des lieux occupés. Au cas où l'une des parties se refuserait à constituer le Tribunal arbitral, il faudrait de toute nécessité recourir aux Tribunaux ordinaires; ces derniers, suivant nous, ne pourraient statuer, qu'autant qu'il leur serait justifié que toutes diligences ont été faites par la partie demanderesse pour constituer le Tribunal arbitral, qu'il serait, par exemple, représenté un acte extrajudiciaire sommant l'autre partie de

« PreviousContinue »