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barras qu'a causés à l'origine l'exécution de cette loi, notamment en ce qui a trait à la fixation du quantum de la redevance: nous verrons alors que les prises d'eau servant aux irrigations sont traitées bien plus favorablement que les prises d'eau alimentant les usines : c'est surtout en leur faveur que le ministère des travaux publics a fait consacrer cette idée que l'Etat peut, s'il le juge convenable, renoncer au bénéfice de la loi de 1840 et n'exiger aucune redevance des intéressés. 242. Le propriétaire qui est directement riverain d'un cours d'eau navigable ou flottable pourra-t-il revendiquer le bénéfice de la loi du 29 avril 1845 (art. 1) et obtenir le passage sur les fonds intermédiaires des eaux dont il a le droit de disposer? La question nous paraît tranchée par la discussion même qui précéda la loi de 1845 : M. Bethmont avait demandé par voie d'amendement que cet article premier ne fût applicable qu'au cas où le propriétaire riverain aurait non-seulement sa libre disposition, mais encore la propriété des eaux, ce qui excluait actuellement notre hypothèse. La Chambre s'en tint au projet primitif et repoussa l'amendement le rapport de M. Dalloz, si complet et si détaillé, établit parfaitement qu'un riverain a la libre disposition des eaux dans trois cas: 1° lorsqu'il s'agit d'eaux de source, de pluie et autres de même nature; 2o lorsqu'il s'agit d'eaux dérivées des rivières qui ne sont ni navigables ni flottables; 3° lorsqu'il s'agit d'eaux que l'on obtient la permission de dériver des rivières navigables ou flottables et qui appartiennent au domaine public. Supposons maintenant que l'administration ait concédé à un particulier non riverain le droit d'ouvrir une prise d'eau dans une rivière navigable ou flottable: la loi de 1845 permet-elle à ce particulier de réclamer le passage sur les terres qui séparent la rivière du fonds qu'il veut irriguer? En 1847, M. de la Moskowa soutenait à la tribune de la Chambre des Pairs que si l'Etat peut être le dispensateur des eaux surabon

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dantes d'une rivière navigable ou flottable et en doter des fonds éloignés de la rivière, il ne peut le faire qu'avec le consentement des propriétaires des parcelles traversées ou en recourant aux lois sur l'expropriation pour cause d'utilité publique. C'est ce qu'enseignent aujourd'hui encore M. Demolombe (T. XI n° 212) et M. Ballot (Rev. Prat. . V. p. 60-61). En fait, disent-ils, le propriétaire n'a point reçu du riverain l'autorisation de détourner l'eau sur le fonds de ce dernier et de la conduire jusqu'à son propre héritage; or, ce droit qu'il ne tient pas du riverain, l'administration n'a pu le lui accorder puisqu'elle ne peut par une concession porter atteinte aux droits des propriétaires voisins. Dira-t-on que par dérogation à ce principe général elle s'est trouvée investie d'un pouvoir exceptionnel par la loi de 1845? Non, répondent les auteurs que nous avons cités et cela pour deux motifs. D'abord, argument de texte la loi de 1845 exige comme condition formelle que le concessionnaire des eaux ait le droit d'en disposer là ou il veut les prendre ; or, peut-on dire qu'on ait le droit de disposer des eaux sur la propriété d'un tiers alors que le seul titre que l'on puisse produire est une concession administrative obtenue sans l'assentiment du riverain? En second lieu, la loi de 1845 n'a eu pour but que de créer une simple servitude de passage sur certains fonds; or, ici on arriverait à ce résultat que le fonds servant se trouverait grevé, non pas seulement d'une servitude de passage, mais encore d'une servitude de prise d'eau. Enfin, on s'appuie à titre d'analogie sur la jurisprudence qui refuse au propriétaire riverain le droit de pratiquer une prise d'eau sur un héritage voisin lorsque cette prise d'eau ne peut être pratiquée sur son propre héritage par suite de l'escarpement de la rive ou de toute autre cause (Montpellier, 1er février 1852. Dev., 53-2-17; Req. Rej. 15 novembre 1854, Dev. 55-1-446). Ce système qui arriverait en définitive à rendre

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inutiles la plupart des concessions administratives a été combattu avec beaucoup de force par M. de Parieu (Rev. de Législ. 1843, t. XXIV, p. 21) et plus récemment par MM. Aubry et Rau (t. III, § 241, p. 16). Le concessionnaire a le droit de disposer des eaux sur le fond du propriétaire riverain: telle est la thèse que les savants auteurs nous paraissent avoir démontrée jusqu'à l'évidence. D'une part, en effet, les art. 9 et 10 de l'arrêté de ventôse an VI permettent à l'administration d'accorder une prise d'eau sur les rivières navigables; d'autre part, la loi de 1845 permet au concessionnaire de conduire les eaux à travers les fonds intermédiaires jusqu'à son propre héritage: or, pourquoi cette expression "fonds intermédiaires ne s'appliquerait-elle pas aussi bien au fonds riverain du cours d'eau qu'à tout autre fonds qui serait séparé de ce cours d'eau par un fonds appartenant au concessionnaire? Donc, à ce double point de vue, le concessionnaire trouve dans la loi un titre qui lui permet d'agir contre le riverain. On objecte, il est vrai, que l'on sort des prévisions de la loi de 1845 en autorisant le concessionnaire à imposer au riverain une servitude de prise d'eau en dehors de la servitude d'acqueduc seule mentionnée par la loi. MM. Aubry et Rau observent fort bien que, si pour l'exercice de son droit, le riverain se trouve dans la nécessité d'établir certains ouvrages permanents, ces ouvrages, loin de constituer une servitude nouvelle, ne seront que des moyens de faciliter et de régler l'exercice de la servitude; on rentrera donc sous l'application de l'art. 697 C. Civ. et du brocart « accessorium sequitur principale. "On se récrie en faisant observer combien la servitude de passage ainsi étendue sera onéreuse pour les riverains; mais n'est-il pas de règle et de principe absolu que le respect dû à la propriété doit se concilier avec les intérêts de l'agriculture: nous justifions donc par l'art. 645 ce pouvoir exceptionnel que nous reconnaissons aux

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autorités administratives. Quant à la déclaration de M. de la Moskowa, il nous semble difficile qu'on puisse l'invoquer utilement sans doute, elle ne rencontra point de contradicteurs dans la Chambre des Pairs mais en présence des affirmations contraires répétées dans une autre enceinte par le rapporteur même de la loi de 1845, nous ne pensons pas qu'il faille y attacher une grande importance: « Pour cette dernière espèce d'eaux (les eaux provenant des rivières navigables ou flottables), disait M. Dalloz, la loi ne fait pas de distinction entre les riverains et les non riverains. " Et par là, M. Dalloz ne faisait que reproduire le sentiment à peu près unanime de la commission qui avait examiné le projet de loi de 1845; cette déclaration si nette et si décisive nous semble de nature à faire disparaître toute hésitation.

243. A côté du droit de passage consacré par la loi de 1845, la loi du 11 juillet 1847 établit au profit du propriétaire, qui peut disposer de l'eau bordant sa propriété, un droit spécial qualifié de droit d'appui; elle lui permet d'appuyer sur la propriété du riverain opposé les ouvrages nécessaires à sa prise d'eau. Que le propriétaire riverain qui a obtenu le droit de dériver l'eau d'une rivière navigable ou flottable puisse invoquer cette disposition, tout comme le riverain d'un cours d'eau non navigable, c'est ce que tout le monde reconnaît aujourd'hui ; il n'y a rien dans les termes de la loi qui s'oppose à cette interprétation. Mais qu'arrivera-t-il si un propriétaire non riverain, ayant obtenu de l'administration le droit d'établir un barrage, veut appuyer ses constructions sur les deux rives et non plus seulement sur la rive opposée à celle où aura lieu la prise d'eau ? Lors de la discussion de la loi de 1847, la Chambre des députés fut appelée à se prononcer sur cette hypothèse : M. Pascalis avait proposé un amendement qui donnait gain de cause au propriétaire non riverain: « Tout propriétaire pourra obtenir la faculté d'appuyer sur la propriété des riverains les

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ouvrages d'art nécessaires..... » Dans le discours qu'il prononça à cette occasion, l'honorable député avait soin de faire ressortir tous les avantages qui résulteraient de cette disposition au cas où une concession serait accordée en vertu de l'arrêté de l'an VI, c'est-à-dire sur une rivière navigable ou flottable. Mais la Chambre ne se préoccupa que de la situation qui serait faite à un non riverain obtenant le droit de dériver les eaux d'une rivière non navigable ni flottable et venant ensuite réclamer la servitude d'appui sur l'une et l'autre rive; dans cet ordre d'idées, elle fut tout naturellement appelée à se demander si l'administration pouvait accorder sur les cours d'eau non navigables des concessions de ce genre. La discussion s'égara sur ce terrain et l'on perdit de vue l'hypothèse où l'administration peut sans contredit accorder une prise d'eau à un non riverain. Aussi conçoit-on qu'en présence de la controverse qui s'était élevée sur le point de savoir si une concession peut-être faite à un nonriverain lorsqu'il s'agit d'eaux non navigables, l'amendement de M. Pascalis ait été repoussé successivement par la commission et par la Chambre. Il suffit de lire le rapport de M. Dalloz pour demeurer convaincu que l'unique motif du rejet fut la volonté bien arrêtée de la Chambre de restreindre les pouvoirs de l'administration en ce qui touche la concession de prises d'eau sur les rivières non navigables; c'est parce que, des concessions de ce genre semblaient illégales, c'est parce qu'il n'y en avait pas d'exemples encore, que M. Dalloz déclara que l'amendement de M. Pascalis ne présentait guères d'intérêt pratique et l'abandonna après avoir paru s'y rallier un instant. On oublia qu'il pouvait, au contraire, présenter un certain intérêt pratique, toutes les fois qu'un droit de prise d'eau dans une rivière navigable aurait été concédé à un non riverain: c'est là une lacune des plus regrettables et qui oblige l'administration à recourir aux lois sur l'expropriation pour cause d'utilité publi

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