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L'ordonnance de 1667, titre 14, réglait autrefois la matière de la contrainte par corps. Elle fut abolie par la loi du 9 mars 1793, et rétablie le 30 du même mois, contre les débiteurs de deniers publics;- cet état de choses dura jusqu'au 21⁄2 ventôse an V, époque à laquelle on revint aux règles tracées par l'ancienne législation. — La loi du 15 germinal an VI régla le mode d'exercice de la contrainte par corps; cette loi était divisée en trois titres :

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Le titre 1er déterminait les cas de contrainte par corps en matière civile. — Le titre II réglait le fond du droit pour la contrainte par corps, en matière de comLe titre III traçait le mode d'exécution des jugements emportant contrainte par corps; quelques-unes de ses dispositions seulement touchaient au fond du droit.

merce.

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Le Code civil abrogea tacitement le titre Ier de la loi du 15 germinal an VI: le titre III fut remplacé par le titre XV, livre V, du Code de procédure; mais le titre II et les dispositions du titre III qui tenaient plus au fond du droit qu'à la manière de procéder, restèrent en vigueur en matière commerciale, même après la promulgation du Code de commerce; - plusieurs lois spéciales sur la contrainte vinrent en outre se placer près de ces lois générales, notamment celles du 4 floréal an VI, et du 10 septembre 1807. Enfin parut la loi du 17 avril 1832: cette loi a complétement abrogé les lois du 15 germinal, du 4 floréal an VI et du 10 septembre 1807; mais elle a laissé subsister toutes les dispositions du Code civil et du Code de procédure qui ne sont point incompatibles avec les règles qu'elle établit. Il est à remarquer qu'elle a peu touché au fond du droit le titre 1er pose des règles eu matière commerciale; le titre II se divise en deux sections: l'une est relative aux matières civiles ordinaires, l'autre aux détenteurs de deniers et effets mobiliers publics; le titre III contient des règles spéciales à l'égard des étrangers; le titre Iv comprend des dispositions, soit sur le fond du droit, soit sur le mode d'exercice applicable aux trois titres qui précèdent; le titre v est consacré à la contrainte par corps en matière criminelle, correctionnelle ou de police : il renferme en outre quelques dispositions qui adoucissent la rigueur de la législation; enfin le titre vi contient des dispositions transitoires. Un décret des 9-10 mars 1848 a suspendu provisoirement l'exercice de la contrainte par corps jusqu'à la décision de l'Assemblée constituante. Ce décret a été rapporté par un arrêté des 19-27 mai 1848, en ce qui touchait le recouvrement des amendes et réparations prononcées au profit de l'Etat en matière criminelle, correctionnelle et de simple po ice, et les lois spéciales qui autorisent avant jugement l'arrestation des délinquants. - Enfin une loi nouvelle, embrassant la matière de la contrainte par corps dans son ensemble, a été promulguée le 16 décembre 1848 : Cette loi apporte de nouvelles modifications aux règles du Code et atténue la rigueur de certaines dispositions de la loi de 1832. Nous rapporterons ces derniers textes à la fin du commentaire du titre qui va nous occuper.

La contrainte par corps, en matière civile, est une voie d'exécution qui consiste dans l'emprisonnement du débiteur, pour le forcer à se libérer.

Ainsi, la contrainte par corps n'est pas une peine proprement dite (1), bien qu'elle soit ignominieuse :

La peine est un châtiment infligé par la loi pour la répression d'un crime, d'un délit ou d'une contravention; elle est prononcée dans l'intérêt social sur les poursuites du ministère public; elle im

H) Les peines sont instituées dans l'intérêt unique de la société, tandis que la contrainte par corps ne profite qu'au créancier seul.

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prime une flétrissure; après la condamnation, elle doit être subie quand même le plaignant retirerait sa plainte. La contrainte par corps n'a rien d'infamant; elle est instituée comme voie d'exécution d'un jugement prononcé dans l'intérêt privé; d'où il résulte : 1° que les tribunaux ne peuvent l'accorder d'office; — 2o que le créancier peut y renoncer, soit expressément, soit tacitement; car chacun est libre d'abandonner un droit établi en sa faveur (1); - 3° que le débiteur condamné peut s'y soustraire en donnant satisfaction à son créancier; 4c Enfin, que le montant des condamnations pour lesquelles la contrainte par corps a lieu, doit être déterminé par le jugement.

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La faculté de priver un débiteur de sa liberté n'est pas accordée comme celle de saisir ses biens à tout créancier: un aussi grand sacrifice n'est pas même laissé à la volonté du débiteur; la loi prend soin de déterminer les circonstances qui peuvent motiver l'emploi de ce moyen rigoureux.

Puisque la contrainte par corps, en matière civile est une mesure exceptionnelle (2063), les textes doivent s'interpréter restrictivement à défaut d'une disposition formelle, le juge doit s'abstenir; en cas de doute, il doit résoudre la question en faveur de la liberté.

Gardons-nous de confondre la contrainte par corps avec les voies d'exécution employées pour contraindre une personne, par la force publique, à obéir aux ordres de la loi ou de la justice : par ex., quand il s'agit du délaissement d'un fonds dont le propriétaire a été dépossédé par la violence; de contraindre un témoin à venir déposer devant les tribunaux ; de forcer une femme à venir habiter avec son mari: la contrainte par corps, nous le répétons, a pour but unique de procurer l'exécution des engagements contractés.

On remarque entre la contrainte par corps et la saisie les différences suivantes :

10 Toute obligation valablement contractée, quelle que soit sa cause, son importance ou sa nature, autorise le créancier à saisir les biens de son débiteur: La contrainte par corps, ainsi que nous l'avons dit, ne peut être prononcée en matière civile, que dans les cas spécialement déterminés par la loi.

2o Le créancier peut saisir les biens de son débiteur, non-seulement en vertu d'un jugement, mais encore lorsqu'il est porteur de tout autre titre exécutoire : - La contrainte par corps ne peut

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être exercée qu'en vertu d'un jugement.

3o Les héritiers d'un débiteur qui ont accepté purement et simplement sa succession peuvent être saisis à raison des engage

(4) Coin Delisle sur l'art, 2067, n. 8. Thomins sur les articles 126 et 127, Pr. Cass., décembre 1812. Bruxelles, 30 novembre 1818.

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ments qu'il a contractés : cordée contre eux.

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La contrainte par corps n'est pas ac

Il est bien entendu que l'exercice de la contrainte sur la personne n'empêche ni ne suspend les poursuites sur le patrimoine du débiteur (2069).

La loi ne s'est pas bornée à déterminer les circonstances qui peuvent donner lieu à la contrainte par corps: elle restreint en outre ces limites par quelques exceptions: ces exceptions sont établies soit à raison de la nature ou de la modicité de la dette soit en faveur de certaines personnes : ainsi, la contrainte par corps est refusée, ratione materiæ, quand la nature de l'engagement ne permet pas d'employer ce moyen rigoureux (art. 2059 et suiv.); ratione quantitatis, quand la somme réclamée est au-dessous de 300 fr. en matière civile, et de 200 fr. en matière de commerce; - ratione persona, quand la personne poursuivie ne peut y être soumise (2059). Nous verrons que toutes les personnes comprises dans cette dernière catégorie ne jouissent pas, au même degré, de la faveur de la loi : ainsi, les mineurs ne sont point contraignables par corps même en cas de stellionat; tandis que la règle générale s'applique aux femmes, aux filles et aux septuagénaires (voy. article 2064 et 2066).

La contrainte par corps, en matière civile est légale ou conventionnelle: légale, lorsqu'elle résulte de la loi, indépendamment de toute stipulation; conventionnelle, lorsqu'elle a été stipulée.

La contrainte par corps légale est impérative ou facultative: impérative, lorsque le juge doit la prononcer si elle est demandée; facultative, lorsqu'il peut l'accorder ou la refuser, suivant les cir

constances:

Au premier cas, elle est fondée sur la défaveur qui frappe la personne condamnée; au 2o cas, elle tend à assurer les man

dements de la justice.

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La contrainte par corps conventionnelle a pour but de procurer l'exécution de certains engagements déterminés : elle est nécessairement impérative; car le juge ne peut refuser de l'accorder lorsque la demande est justifiée.

La durée de la contrainte par corps doit être fixée par le jugement portant condamnation au paiement de la dette.

Le créancier ne peut user de cette voie d'exécution, même dans les cas où elle est impérative, qu'en vertu du jugement: l'obtention de ce jugement nécessite une demande régulière et formelle si le tribunal avait statué d'office, il y aurait lieu à cassation.

Le jugement qui prononce la contrainte par corps est sujet à appel sur ce chef, même dans les affaires dont les tribunaux connaissent en dernier ressort: la liberté est un bien précieux qui donne toujours naissance à des questions principales. Mais, dans

ce cas particulier, l'appel n'est pas suspensif (art. 20 de la loi du 17 avril 1832).

L'appel serait recevable en ce qui concernerait la contrainte par corps, lors même que le débiteur aurait acquiescé formellement au jugement (1).

Dans tous les cas, le juge peut tempérer la rigueur de la condamnation; en accordant au débiteur un sursis, les art. 126 et 127 Pr., qui lui accordent cette faculté, sont conçus en termes généraux (2). Toutefois l'art. 157 C. de comm. déroge à cette règle en matière de lettres de change.

Après l'expiration des délais accordés au débiteur pour attaquer le jugement, la condamnation produit ses effets (3).

La contrainte par corps en matière civile est régie par les articles 2059 à 2070 et 2136 C. civ., par quelques articles du Code de procédure (voy., entr'autres, 126 et 127 Pr.), par la loi du 17 avril 1832, et par la loi du 13 décembre 1848.

Le Code civil détermine seulement les circonstances qui peuvent donner lieu à la contrainte par corps: pour connaître le mode d'exécution, il faut se reporter au Code de procédure (art. 780 et suiv.).

Nous verrons successivement:

4 Dans quels cas la contrainte par corps peut être prononcée. (2059-2063).

2o Quelles sont les personnes affranchies de cette voie d'exécution (2064-2065).

3° Quelles mesures le législateur a prises pour donner des garanties à la liberté (2067), tout en respectant cependant les droits du créancier (2067-2070).

La contrainte par corps est impérative ou facultative.

Contrainte par corps impérative.

La contrainte par corps est impérative 1o lorsqu'il y a stellionat (2059). 2o Dans les cas déterminés par l'article 2060.

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2059. La contrainte par corps a lieu, en matière civile, pour le stellionat (4).

(1) Troplong, n. 261 et suiv. Coin-Delisle sur l'art. 2063. Merlin, quest. v. Contrainte par corps, 5 44. Paris, 19 septembre 1832. Dev., 1833, 2, 472. Rouen, 15 novembre 1825. 5 novembre 1827. Bordeaux, 24 décembre 1825. Pau, 40 février 1836. Dev., 1836, 2, 365, Nancy, 5 août 1837. Caen, 40 janvier 1838. Dev., 1839, 2, 70. Bruxelles, 4 juin 1826, 19 novembre 1826, 4 janvier 1827. Voy. cep. Toulouse, 28 janvier 1831. Dev., 1831, 2, 326. 2) Troplong, n. 827. Coin-Delisle, n. 9. Voy. cep. Carré, sur l'art. 127, t. 4er, p. 638,

note.

(3) Troplong, n. 264. Merlin, Quest. yo Contrainte par corps. § 11. Coin-Delisle, n. 2063. (4) Le mot stellionul, vient le stellio, nom que les Romains donnaient à une sorte de lézard venimeux : tout homme qui en trompait un autre sciemment par de subtiles et insaisissables manœuvres, était dit stellionataire. Le stellionat n'était pas considéré comme une simple fraude;

Il y a stellionat,

Lorsqu'on vend ou qu'on hypothèque un immeuble dont on sait n'être pas propriétaire ;

Lorsqu'on présente comme libres des biens hypothéqués, ou que l'on déclare des hypothèques moindres que celles dont ces biens sont chargés.

=

Le stellionat n'est point un acte puni par la loi pénale; par conséquent il ne peut donner lieu aux poursuites du ministère public. La loi ne voit dans ce fait qu'un dol ordinaire, qu'un délit civil Afin de prévenir toute décision arbitraire, elle prend soin d'en déterminer les caractères.

Le stellionat, disons-nous, est une fraude; or, pour qu'il y ait fraude, deux conditions sont requises: L'intention de nuire et le dommage causé: consilium et eventus.

L'intention de nuire: Point de stellionat sans mauvaise foi: Fraudis interpretatio sempcr in jure civili, non ex eventu duntaxat sed ex consilio desideratur (ff., 1. 7, de Reg. jur.), quantùm ad crimen stellionatus excusat ignorantia (ff., 1. 16, 55, § 1 de pign). - Le vendeur ou le débiteur peut donc se soustraire à la contrainte par corps, en prouvant qu'il a été de bonne foi. Le juge est souverain appréciateur des circonstances (1).

Préjudice causé: Quand le dommage n'existe pas, on ne voit aucun motif pour priver un citoyen de sa liberté (2): mais il suffit

mais comme un crime on un délit extraordinaire, Ulvien (L. 3, § 4 ff, stellianatus) détermino les cas suivants. comme ayant le caractère de stellionat: Si quelqu'un vend ou cède à autrui une chose engagée à un créancier, en dissimulant le droit de ce dernier dissimulatá obligatione. S'il hypothèque avec la même dissimulation, — s'il donne de l'argent pour de l'or, s'il sonstrait, détourne ou corrompt certaines marchandises on effets obligés envers s'il ourdit des impostures ou s'il collude pour perdre autrui ou lui porter préju⚫

d'autres,

dice.

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Le tellionat n'entraînait pas de peine légale, mais le juge avait la faculté de punir extraordinairement. - - La peine ne pouvait excéder la condamnation aux métaux, si le délinquant était plébéten, ou la relégation à temps, s'il était élevé aux honneurs.- La condamnation était infamante suivant les cas.

Sous notre ancienne jurisprudence, le stellionat pouvait entraîner l'amende, le bannnissement, le fouet, l'amende honorable; mais on n'employait ces rigueurs que dans des cas graves.Quant à la contrainte par corps, elle était toujours accordée. (Voy. Merlin, Rép., vo Stellionat et v Escroquerie, n. 8).

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Sous l'empire des lois qui nous régissent, le stellionataire n'est passible de peines ni criminelles ni correctionnelles; le délit est purement civil, la loi prend même soin de détermiser les caractères du stellionat.

(4) Troplong, n. 63. Bourges, 4 mai 1841. Dall., n. 173. Rennes, 12 août 1814. Paris, 8 février 1813, 14 février 1829. Toulouse, 16 janvier 1829. Caen, 26 février 1829. Bordeaux, 4 décembre 1840. Dall., n. 178. Rruxelles, 18 octobre 1822. Bordeaux, 13 février 1851. D. P. 52. 2, 131.

(2) Troplong. n. 74. Zach., § 586, n. 18 et 19. Dall., n. 176 et suiv. Douai, 20 novembre 1851. D. P. 53, 2, 238. Cass., 19 mai 1812. Turin, 28 avril 1808. Lyon, 5 avril 1827. Colmar, 19 décembre 1823. Cass., 21 février 1827. Rennes, 25 janvier 1820 (voy., sur ce point, CoinDelisle, art. 2059, n. 19.)

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