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au créancier, pour obtenir cette voie d'exécution, de justifier du moindre préjudice: Le doute s'interprète même contre le débiteur convaincu de mauvaise foi.

De ce deuxième principe on déduit les conséquences suivantes : Lorsqu'après avoir vendu un immeuble par acte sous seing privé non enregistré, le vendeur aliène une deuxième fois ce même immeuble par acte authentique ou par un acte privé enregistré, il n'y a point lieu à la contrainte par corps: Le premier acquéreur, doit s'imputer de ne pas avoir fait transcrire son contrat : Par ce moyen, il se serait mis à l'abri du dommage qu'il éprouve : Le vendeur n'est légalement dessaisi de son droit de propriété que par la transcription; jusqu'alors, il a donc le droit de disposer sans se rendre stellionataire. Quant au deuxième acquéreur il ne peut se plaindre, puisqu'il est devenu propriétaire (1).

La contrainte par corps pour stellionat n'est pas encourue, si les causes qui pouvaient entraîner un dommage ont cessé avant toute demande judiciaire: Par ex., si l'emprunteur qui a déclaré mensongèrement son bien libre d'hypothèques, a payé les dettes qu'elles garantissaient (2); si l'obligation hypothécaire a été déclarée nulle (3); si la radiation de l'hypothèque dissimulée a été prononcée ou consentie (4). Mais une fois l'action introduite, le vice du contrat ne peut plus être purgé; car le dommage est causé: il y a droit acquis pour le créancier. Vainement le débiteur offrirait-il une hypothèque sur d'autres biens, même d'une valeur supérieure à sa dette: il peut ne pas être indifférent pour le créancier d'avoir hypothèque sur tel ou tel immeuble; d'être le premier ou le deuxième inscrit (5).

Les hypothèques non déclarées entraîneraient le stellionat, bien quelles fussent privées d'effet par suite d'une mainlevée, si elles avaient préjudicié au créancier, par ex. en l'empêchant de surenchérir, dans la pensée que le prix total serait absorbé (6).

Il a été jugé, que le débiteur encourrait la contrainte par corps, lors même qu'il offrirait au créancier la valeur de l'immeuble frauduleusement hypothéqué; car il peut importer à ce dernier de ne pas recevoir son remboursement: Or, ainsi que nous l'avons établi (7), la justification du moindre dommage suffit, en matière de stellionat, pour que la demande soit admise et le doute s'interprète contre le débiteur.

(1) Toulouse, 7 juillet 1831.

(2) Dur., n. 447. Lyon, 5 avril 1827.

(3) Coin-Delisle, n. 14.

(4) Merlin. Rep. v° stellionat, n. 7. Favard, stellionat. Zach., § 586, n. 18 et 19. Turin, 28 avril 1808 (voy. cep. Coin-Delisle, n. 19.)

(5) Paris, 5 messidor an XI, 6 janvier 1810. Angers, 27 juillet 1814.

(6) Cass., 13 avril 1836. Dur., 1836, 1829.

(7) Cass., 19 juin 1816. Cependant il faut reconnaître que cette décision serait bien rigourcuse (voy. Dur., n. 449. Coin-Delisle, n. 21.)

Celui qui a vendu un immeuble dont il savait n'être pas propriétaire se trouve-t-il en état de stellionat si la vente a été ratifiée par le véritable propriétaire, ou si le vendeur a acquis l'immeuble avant que la demande en réparation du dommage n'ait été formée? Des auteurs se prononcent pour l'affirmative, par ce seul motif que la vente a été nulle dans le principe (1); ils s'appuient sur deux arrêts de cassation (2) qui, suivant eux, ont statué en ce sens. - L'opinion contraire est soutenue avec force par Troplong (n. 76). Nous pensons qu'elle doit prévaloir: En effet, à quel titre l'acheteur se plaindrait-il, puisqu'il ne court plus le danger d'éviction? Les arrêts invoqués ne peuvent avoir ici aucune autorité : dans l'une des espèces, le débiteur avait déclaré des hypothèques moindres que celles dont l'immeuble était grevé, sans que le prix de la vente eût suffi même pour désintéresser les créanciers premiers inscrits; dans l'autre, l'acte de ratification produit par le vendeur n'était pas de nature à donner aux acquéreurs une pleine sécurité relativement à une éviction quelconque des biens vendus. L'action en stellionat devait, dès lors, subsister.

Le stellionat suppose le cas de simple fraude: si les circonstances étaient aggravantes, elles pourraient caractériser l'escroquerie, et donner lieu, en conséquence, à des poursuites correctionnelles (3). Cette pensée est exprimée dans le passage suivant de l'exposé des motifs, par M. Bigot-Préameneu : « Il est possible que le stellionat soit accompagné de circonstances qui caractérisent un vol punissable selon la loi criminelle; il est possible aussi que, par des circonstances atténuantes, cette fraude ne soit pas au nombre des délits contre lesquels s'arme la vengeance publique; mais, dans tous les cas, la loi présume une faute assez grave pour que la personne envers laquelle on doit la réparer ait le droit de contrainte par corps. »

Ne perdons point de vue que le stellionat ne peut exister qu'en matière d'immeubles : la vente d'objets mobiliers faite par le nonpropriétaire entraînerait des dommages-intérêts, et même, suivant les cas, des peines correctionnelles; mais ce ne serait point là un cas de stellionat (4).

Ces préliminaires posés, arrivons plus spécialement à l'examen de notre texte ; il y a stellionat dans cinq cas :

1° Lorsqu'on vend un immeuble dont on sait n'être pas propriétaire ;

(1) Dur., n. 447. Zach., § 586, n. 20.

(2) Cass., 18 avril 1836. Dev., 1836, 1, 829, 14 février 1837. Dev., 1837, 1, 891. Pal., 1837, 1, 602.

(3) Fenet, t. 15, p. 136 et suiv. Toullier, 27, n.233.

(4) Cass., 9 vendémiaire an X, 2 mars 1809, 31 octobre 1811, 4 janvier 1842, 7 février 1812, 7 mars 1817, 30 juin 1823, 12 février 1824.

2 Lorsqu'on consent une hypothèque sur cet immeuble;

3° Lorsqu'on vend ou hypothèque un immeuble que l'on sait. grevé soit d'une hypothèque, soit d'un privilége, en déclarant qu'il est libre d'hypothèques ou de priviléges;

4o Dans le même cas, lorsqu'on déclare une partie seulement des hypothèques ou des priviléges qui grèvent cet immeuble;

5° Lorsqu'un mari ou un tuteur consent une hypothèque sur l'un de ses immeu! les, sans déclarer que cet immeuble est grevé de l'hypothèque légale non inscrite de la femme ou du mineur (2136). Come on le voit, le stelionat résulte tantôt du fait seul, tantôt du fait appuyé d'une affirmation ou d'une déclaration mensongère. Dans les deux premiers cas, deux conditions sont requises: Il faut 1° que le vendeur ou celui qui donne hypothèque ne soit pas propriétaire de l'immeuble;

2o Qu'il ait su qu'il n'en était pas propriétaire. Le jugement doit, dès lors, constater ces deux faits (1).

Si le stellionat n'est pas un délit criminel dans l'acception légale du mot, c'est du moins un délit civil: or, point de délit, si l'intention coupable n'est pas démontrée, sauf à la partie adverse à prouver sa bonne foi (2).

Jugé, par application de ces principes, qu'il n'y a pas nécessairement stellionat de la part du débiteur qui déclare, par le contrat, affecter hypothécairement tel immeuble qui lui appartient, s'il a conservé l'usufruit de cet immeuble; on doit présumer qu'il n'entendait hypothéquer que ce droit; l'usufruit, en effet, est susceptible d'hypothèque (2118) (3);

Que si la propriété est conditionnelle entre les mains du vendeur ou du constituant, il n'y a pas stellionat lorsqu'il vend ou hypothèque l'immeuble pendente conditione (4);

Que la vente de biens soumis au régime dotal, consentie par le mari et la femme, avec déclaration que ces biens sont paraphernaux et libres, ne caractérise pas le stellionat: On dirait vainement, que si le fait de vendre un objet dont on sait n'être pas propriétaire ou de présenter comme libres des biens hypothéqués est un stellionat, il y a lieu de considérer comme tel à fortiori, les déclara

(1) Cass., 25 juin 1847.

(2) Troplong, hyp., n. 633. Coin-Delisle, art. 2059, n. 7. Bordeaux, 9 juillet 1830. La décision contraire semble résulter de quatre arrêts: Cass., 20 novembre 1826. Poitiers, 29 déc. 1830. Bordeaux, 15 mars 1833. Dev., 1833, 2, 364. Paris, 27 nov. 1835. Dev., 1836, 2, 164. -Dans les espèces jugées par ces arrêts, il s'agis-ait soit d'un mari, soit d'un tuteur, qui avait vendu ou hypothéqué un immeuble soumis à l'hypothèque légale de la femme ou d'un mineur, sans déclarer l'existence de cette hypothèque, bien qu'elle n'eût pas été inscrite: l'exception de bonne foi a dû être rejetée; car le mari était en faute de ne pas avoir pris inscription; mais telle n est pas notre hypothèse.

(3) Cass., 23 mars 1825.

(4) Bordeaux, 1er février 1827.

tions frauduleuses dont nous venons de parler (1). La dotalité n'est qu'une affectation spéciale; or hypothéquer ou vendre des biens dotaux peut entraîner la nullité de la vente ou de l'hypothèque; mais ce n'est ni disposer d'un immeuble dont on sait n'être pas propriétaire, puisque la femme a cette qualité, ni présenter comme libres des biens hypothéqués (2).

Mais le mari se rend stellionataire s'il vend comme sien un bien de son épouse, que ce bien soit dotal ou propre; car il dispose ainsi de la chose d'autrui (3).

Commet-on un stellionat, lorsque l'on vend ou hypothèque des immeubles dont la propriété est encore indivise? Distinguons: Si l'immeuble tombe, par l'effet du partage, dans le lot du copropriétaire qui a vendu ou consenti l'hypothèque, il n'y a pas stellionat (arg. de l'art. 883); mais il en est autrement dans le cas contraire (4). Quid si l'immeuble vendu ou hypothéqué était frappé de saisie? Le dessaisissement n'a lieu qu'après la dénonciation de la saisie aux créanciers inscrits, et même après la transcription de la saisie (683, 686 Pr.): donc il ne peut y avoir stellionat, si les actes sont antérieurs à l'accomplissement de ces formalités (Dall., n. 134).

Si une personne affecte hypothécairement à la sûreté d'une créance, un immeuble qu'elle sait ne pas lui appartenir, avec un autre immeuble qui lui appartient, commet-elle un stellionat? Oui, si le prix de son propre immeuble ne suffit point pour couvrir intégralement la dette. En accordant la contrainte par corps pour stellionat en matière d'hypothèque, le législateur a voulu donner une garantie de la foi promise; par conséquent, chaque immeuble doit répondre de toute la dette: tota in tota, et totâ quálibet parte (5).

L'art. 2059 prévoit uniquement le cas de vente d'un immeuble en toute propriété ou d'affectation hypothécaire : Que devrait-on décider, si des droits de servitude, d'usufruit, d'usage ou d'habitation avaient été concédés? La concession de pareils droits n'est pas au nombre de ceux qui caractérisent le stellionat (2063): Il ne reste à celui qui veut obtenir la contrainte par corps, d'autre ressource que celle de demander cette voie d'exécution pour dommages-intérêts (126 Pr.): Libre alors au juge de l'accorder ou de la refuser. Quid dans le cas de dation en payement? C'est là une vente véritable donc elle peut caractériser le stellionat (Coin-Delisle, n. 6.)

(1) Troplong, n. 62. Riom, 30 nov. 1810, 30 nov. 1813. Toulouse, 24 juin 1812, 7 Juillet 4834. 12) Coin Delisle, sur l'art. 2059. Troplong, n. 62. Zach., § 586, n. 17. Rolland, vo Stellio aat, n. 13. Paris, 14 février 1829.

(2) Coin Delisle, n. 18. Riom, 30 nov. 1813.

(4) Coin Delisle, n. 7. Zach., t. 1, § 586, n. 4. Rolland, n. 1, v Stellionat, n. 5. Delv., p. 189. n. 3. Dur.. n. 448. Colmar. 31 mai 1820. Bourges, 19 juillet 1841. Dall.. n. 132. (6) Cass., 19 juin 1816.

Quid en cas d'échange, lorsqu'une personne livre un immeuble, sachant que cet immeuble ne lui appartient pas? On peut dire qu'en matière de contrainte par corps, il n'y a pas lieu de procéder par voie d'analogie; qu'il faut se renfermer strictement dans les termes de la loi; que l'éviction, dans le cas d'échange, entraine des conséquences moins graves que dans le cas de vente, car l'échangiste peut répéter l'immeuble qu'il a donné en contre-échange (1703); tandis que l'acheteur évincé est exposé à perdre, par suite de l'insolvabilité du vendeur, le prix qu'il a payé (1). — Mais ce raisonnement repose sur une erreur : D'abord, l'échange est une aliénation réciproque; dès lors, ce contrat peut rentrer dans le cas de stellionat prévu par l'art. 2059, 1er alinéa : ensuite, il n'est pas exact de dire, que l'échangiste trompé sur la qualité de son co-traitant, se trouve nécessairement à l'abri de tout dommage, puisqu'il a toujours la certitude de recouvrer sa chose: s'il a fait des impenses nécessaires, utiles ou voluptuaires, une indemnité ne lui sera-t-elle pas due? N'a-t-il pas le droit d'exiger le remboursement de ses frais d'actes? Sous ces divers rapports, sa position est, en tous points, semblable à celle de l'acquéreur évincé : dès lors, on ne voit point de raison pour lui refuser les garanties que la loi accorde à ce dernier (2).

Passons au troisième et au quatrième cas:

Il y a stellionat, porte l'art. 2059, 4e alinéa,

Lorsqu'on présente comme libre des biens hypothéqués, ou que l'on déclare des hypothèques moindres que celles dont ces biens sont chargés.

Remarquez ces mots : présenter, déclarer : il n'y a donc pas stellionat, lorsque le constituant se borne à garder le silence sur les hypothèques qui grèvent ses immeubles : une réticence frauduleuse ne suffit même pas, comme dans l'hypothèse qui précède, pour caractériser ce délit civil; il faut que le rôle du vendeur ou de l'emprunteur ait été actif, qu'il y ait eu déclaration ou affirmation mensongère (3).

Pourquoi cette différence entre le cas où l'on a conféré des droits sur un immeuble dont on savait n'être pas propriétaire, et celui où l'on a dissimulé, soit dans un acte de vente, soit dans un acte d'affectation hypothécaire, des hypothèques qui grevaient le fonds? l'acquéreur ou le préteur n'a-t-il pas eu la facilité de s'éclairer en se faisant délivrer un état d'inscription? Cette question a été soulevée au conseil d'État: M. Treilhard a répondu : qu'entre la vérification et l'instant où l'acte projeté se réalisera, des inscriptions,

(1) Dur., n. 448. Coin-Delisle, n. 5.

(2) Cass., 16 janvier 1810.

(3) Dur., n. 443 et 444. Zach., S 386, n. 8. Rolland, n. 11. Coin-Delisle, n. 1. Aix, 5 jan. vier 1813. Cass., 25 juin 1817.

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