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session antérieure non publique, d'une possession de l'invention à titre de secret de fabrique. Malgré la défaveur, au moins relative, qui frappe le secret de fabrique, aux yeux du législateur qui institue des brevets d'invention, une semblable possession crée un droit au profit de celui qui l'invoque. Quel est ce droit? Aux termes mêmes de la loi, ce ne saurait être le droit de faire annuler le brevet, car il suffit de se reporter à l'article 30 et à l'article 31 pour se convaincre qu'une exploitation antérieure et clandestine de l'invention n'est pas une cause de nullité du brevet. Le défaut de nouveauté, auquel on doit nécessairement penser, a, pour condition essentielle, la publicité. Or, la publicité, on l'a fort bien dit, est fondée sur une présomption de possession publique (1), et la connaissance personnelle, l'exploitation secrète sont précisément le contraire de la publicité, puisqu'elles sont, par définition, exclusives d'une présomption de possession publique (2). N'étant pas destructive de la nouveauté de l'invention, le fait de la possession antérieure n'est donc pas un obstacle à la validité du brevet et ne peut être invoqué, comme une cause de nullité, ni par le possesseur ni par un tiers. Les effets généraux du brevet subsistent, par conséquent, sous la réserve des droits acquis. Le droit acquis au profit de celui qui justifie d'une possession antérieure, c'est le droit de continuer l'exploitation de l'invention malgré le brevet, qui, sur ce point, est mis en échec. Il en résulte, pour le possesseur, une exception opposable au breveté, dans toute poursuite en contrefaçon, à fins pénales ou civiles. Sa jouissance de l'invention est licite et on assimilera volontiers sa situation à celle d'un porteur de licence, mais cette licence, il ne la doit point à une concession du breveté, il la tient du droit, respectueux des faits établis quand ils ne sont pas contraires à la loi.

8. Quelle sera la portée ? quelles seront les limites de cette exception, de cette licence d'une nature particulière? Pour les délimiter rigoureusement, une disposition légale serait assurément nécessaire (3). En son absence, on s'inspirera des conditions de la licence en général; on reconnaîtra, en conséquence, au possesseur antérieur le droit d'exploiter l'invention pour les besoins de son industrie qu'il peut agrandir librement, de vendre

(1) Pouillet, no 426.

(2) Voy. infra, no 127.

(3) La loi allemande règle cette question. Cf. Bonnet, op. cit., pages 289 et suivantes.

les produits de sa fabrication, de transmettre à ses héritiers, de céder l'invention qu'il pratique, à la condition toutefois que ses héritiers ou ayants droit soient en même temps ses successeurs dans son industrie. Nous entendons par là que le possesseur antérieur ne peut consentir ni cessions partielles ni concessions de licences. Son droit est purement personnel et ne peut être invoqué que par lui-même ou les continuateurs de sa personne. Il va de soi, pourtant, que les débitants de ses produits seront couverts par l'exception qui appartient à leur vendeur; dans cette mesure seulement, le possesseur confère une sorte de licence tacite (1).

9. A quelles conditions la possession antérieure constitue-t-elle un droit acquis? — Il faut d'abord, pour qu'elle soit admise, qu'elle soit bien établie, justifiée par des faits pertinents et concluants, d'où résulte la preuve que le possesseur connaissait, antérieurement à la demande de brevet, le secret de l'invention même qui en fait l'objet, qu'il l'a gardé clandestinement s'il n'en a fait usage dans son exploitation ; l'exécution de l'invention sera naturellement un fait plus concluant que la simple détention d'un exemplaire du produit breveté (2). Il faut encore et surtout que la possession se fonde sur un juste titre, qu'elle soit de bonne foi, non point que la possession doive nécessairement se rattacher au fait d'une invention antérieure; elle pourra être invoquée par celui qui aura acquis d'un autre le secret du procédé, à moins que cet autre ne soit en même temps et précisément l'auteur de l'inventeur breveté. En un mot, la possession frauduleuse ne constitue pas un droit acquis lorsqu'elle résulte d'une usurpation commise à l'encontre du breveté avant sa demande, d'un emprunt illicite ou dolosif qui lui aurait été fait, dans la période de conception ou d'essais de sa découverte (3); mais les cessionnaires du possesseur antérieur, dont le titre serait antérieur à la demande du brevet, jouiront des mêmes droits que leur auteur. On voit que la possession antérieure est assez inexactement dénommée, puisqu'elle exige des conditions de bonne foi et de juste titre qui sont étrangères à la simple possession.

(1) Ne semble-t-il pas qu'on arriverait aux mêmes conséquences en attribuant à l'exception du possesseur le caractère d'un moyen de nullité relative, personnel à l'excipant?

(2) Nancy, 22 juillet 1899; Gaz. Pal., 1900, I, 250. (3) Riom, 5 avril 1900; Gaz. Pal., 1000, II, 295.

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10. Le bénéfice de la loi peut être invoqué, d'après l'article 1er, au profit de « toute nouvelle découverte ou invention. dans tous les genres d'industrie ». La loi assimile à tort la découverte à l'invention: les deux mots ne sont pas synonymes, l'invention étant une création de l'esprit humain à l'aide des forces de la nature, et la découverte étant plutôt une révélation des lois et phénomènes de la nature; d'ailleurs, il n'est pas douteux que la découverte proprement dite soit étrangère aux prévisions du législateur, puisqu'il n'envisage expressément que le domaine de l'industrie, et que, d'autre part, la nullité du brevet est encourue s'il porte sur des principes, méthodes, systèmes, découvertes ou conceptions théoriques ou purement scientifiques dont on n'a pas indiqué les applications industrielles (art. 30, 32). La loi a été faite, en effet, dans l'intérêt de l'industrie et non de la science; elle ne protège que les inventions qui ont un caractère industriel. Il suit de là que les conceptions purement théoriques, les découvertes scientifiques, les inventions qui ne se rapportent pas à l'industrie, ne sont pas brevetables, et, par la même raison, on devra rejeter d'emblée une prétendue invention contraire aux lois de la nature, ainsi la découverte du mouvement perpétuel, parce qu'étant irréalisable, impraticable, elle est fatalement sans application dans l'industrie. La loi elle-même nous présente un exemple d'inventions étrangères au domaine de l'industrie : les plans et combinaisons de crédit ou de finances ne sont évidemment pas brevetables, et il n'était pas besoin d'édicter une nullité spéciale en ce qui les concerne.

11. Il ne suffit pas qu'une invention soit du domaine de l'industrie, qu'elle soit susceptible d'une application industrielle et que cette application ait été indiquée, pour mériter un brevet ; il faut, de plus, qu'elle soit nouvelle et qu'elle produise un résultat industriel. La nouveauté est un caractère essentiel de l'invention. brevetable; si l'invention est connue, elle n'existe plus au point de vue de la loi. On verra avec quelle rigueur ce principe doit

être appliqué et que la nouveauté requise est la nouveauté absolue, dans le temps et dans l'espace, non seulement en France, mais dans le monde entier, non seulement au point de vue de nos connaissances actuelles et pour les contemporains, mais dans tous les temps et pour l'industrie des civilisations mortes, dans la mesure où la connaissance nous en a été transmise. Bien plus, si l'invention était absolument nouvelle, au moment où elle a été faite, et qu'elle ait été divulguée depuis, dans les conditions que nous dirons, elle aura cessé d'être brevetable, au même titre que si elle était publiquement et universellement pratiquée depuis longtemps. 12. Une condition essentielle de la brevetabilité, c'est le résultat industriel. L'article 2 de la loi est, en effet, ainsi conçu : >> Seront considérées comme inventions ou découvertes nouvelles : >> L'invention de nouveaux produits industriels; - L'invention de >> nouveaux moyens ou l'application nouvelle de moyens connus, >> pour l'obtention d'un résultat ou d'un produit industriel. »

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Ce n'est pas là une définition de l'invention, et, d'ailleurs, la loi française n'en donne pas. Ce n'est pas, à proprement parler, un critérium pour l'appréciation de la brevetabilité, c'est plutôt l'indication, dans un cadre assez exact, des principales catégories d'inventions brevetables; mais, sur ce canevas, une longue jurisprudence s'est appliquée à déterminer, par l'étude de mille espèces variées, des divisions précises en établissant des distinctions, en formulant des règles dont l'application peut guider aujourd'hui l'inventeur et le juge. Nous nous contenterons d'énoncer quelques principes généraux en suivant le plan de l'article 2. 13. Un nouveau produit industriel. C'est un corps certain, un objet matériel caractérisé par ses qualités, par ses propriétés et non point par sa forme, et qui se différencie des produits existants et connus par ce caractère distinctif, de nature industrielle. Ainsi une matière colorante, produit chimique (1), un outil, un appareil, un meuble, un tissu, un jouet, produits mécaniques; mais un produit naturel ne sera pas brevetable, soit qu'il ait été nouvellement découvert, soit qu'on ait découvert ses propriétés naturelles inconnues. La loi ne protège que les inventions de l'homme, les créations dans lesquelles son activité entre comme élément.

(1) Exemples: l'oxyde d'antimoine pur et soluble (Riom, 5 avril 1900; Gaz. Pal., 1900, II, 295); le carbure de calcium C2Ca (Paris, 22 février 1901; Gaz. Pal., 1901, I, 518).

Le brevet pris pour un nouveau produit industriel a une portée toute particulière, car il a pour effet de réserver à son titulaire un droit exclusif d'exploitation sur ce produit, quel que soit le procédé qui serve à l'obtenir (1).

Si donc un tiers invente un procédé nouveau pour la préparation ou la fabrication du même produit, le breveté du produit sera en droit d'interdire à l'inventeur, même breveté, l'exploitation du procédé, car la seconde invention sera dépendante de la première, alors même qu'elle n'en constituerait pas un perfectionnement.

Mais l'étendue du brevet de produit ne va pas jusqu'à l'appropriation du résultat, c'est-à-dire des avantages caractéristiques du produit (2). Le résultat, en effet, n'est autre que le problème considéré dans sa solution (3); or, la solution donnée par l'inventeur constitue seule son invention, le problème lui-même, alors qu'il eût été le premier à le reconnaître, existait en dehors de lui et subsistera parce qu'il peut recevoir plusieurs solutions. Si le brevet délivré en interdisait la recherche, il serait un obstacle au progrès.

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14. Un nouveau moyen pour l'obtention d'un résultat ou d'un produit industriel, c'est un nouvel agent chimique, un nouvel organe mécanique, un nouveau procédé soit chimique, soit mécanique, dont l'application ou l'emploi servira à la préparation ou à la fabrication d'un produit industriel ou amènera un résultat industriel, que ces produit ou résultat soient nouveaux ou connus, peu importe. L'invention d'un nouveau moyen est assez rare; elle consistera plus fréquemment dans une nouvelle application d'un moyen déjà connu, et les exemples généralement cités par les auteurs ou dans les recueils de jurisprudence présentent souvent cette confusion. Citons, toutefois, comme nouvel organe mécanique: l'hélice; comme agent chimique : la toluidine substituée à l'aniline pour préparer la fuchsine; comme procédé : l'emploi du varech pour la fabrication de la soude.

15. Les moyens nouveaux pouvant être susceptibles de plusieurs applications, souvent même dans des industries différentes, il y a lieu de se demander si le brevet délivré pour le

(1) Pau, 14 janvier 1899; Gaz. Pal., 1899, I, 428.

(2) Paris, 22 juin 1898; Gaz. Pal., 1899, I, 261.

(3) Cf. Bonnet, op. cit., p. 48 et suivantes. (La Genèse de l'invention d'après les auteurs allemands.)

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