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elle étoit plus propre à faire impression sur l'esprit de la multitude. On se rappeloit encore l'espèce de fureur avec laquelle les Hussites et les Bohémiens avoient combattu pour la communion sous les deux espèces.

Luther, qui leur succéda, se montra bien éloigné d'attacher la même importance à cette controverse. Lors même qu'il eut levé l'étendard de la révolte contre l'Eglise romaine, il ne parloit jamais qu'avec horreur de Jean Hus et de Jérôme de Prague. Il méprisoit souverainement Carlostad, et tous ceux qui regardoient la communion sous une ou sous deux espèces comme une affaire importante. Il rangeoit cette dispute parmi les choses de néant, et se moquoit de Carlostad qui mettoit la reformation dans ces bagatelles.

Cet homme, toujours extrême, porta l'extravagance jusqu'à dire et écrire: « Si un concile par » hasard, ordonnoit ou permettoit de sa propre » autorité les deux espèces, nous ne les voudrions » pas prendre. Mais alors, en dépit du concile et de » son ordonnance, nous n'en prendrions qu'une, » ou nous ne prendrions ni l'une ni l'autre, et mau» dirions ceux qui prendroient les deux par l'au» torité d'un tel concile et d'un tel décret. »

Mais il n'en fut pas de même de Calvin, plus profond dans ses combinaisons et plus haineux dans ses ressentimens. L'exemple des Bohémiens lui rappeloit que cette misérable dispute étoit un moyen puissant d'agiter la multitude, et il ne manqua pas de représenter la soustraction du calice comme un des grands crimes de l'Église romaine.

A l'exemple de Calvin, Jurieu venoit de répéter dans son écrit sur l'Eucharistie tout ce qui

avoit été dit et réfuté mille et mille fois sur cette matière; et ce fut pour forcer les Calvinistes dans ce foible et dernier retranchement, que Bossuet composa son Traité de la communion sous les deux espèces. C'est alors qu'on vit s'engager pour la première fois ce long combat d'écrits polémiques entre deux hommes, dont l'un étoit assurément bien peu digne de lutter contre l'autre, et où l'on vit constamment le génie et la raison aux prises avec le délire et la fureur.

De toutes les questions qui séparent les Protestans de l'Eglise romaine, il n'en est pas une qui souffre moins de difficulté, et qu'il soit plus facile d'éclaircir que celle de la Communion sous une ou sous deux espèces.

Il ne s'agit au fond que d'un point de discipline, sur lequel on ne peut contester à l'Eglise le droit de changer sa pratique, comme, de l'aveu même des Protestans, elle l'a changée et a pu la changer dans l'usage du baptême.

Mais à l'époque où Bossuet écrivoit, les ministres protestans se voyoient en quelque sorte forcés de donner à la question de la communion sous les deux espèces plus d'importance qu'ils ne lui en accordoient peut-être eux-mêmes. Les instructions d'un grand nombre d'évêques et de théologiens avoient fait connoître les véritables sentimens de l'Eglise romaine sur une multitude d'usages particuliers qui n'appartiennent point au fond même de la doctrine. On n'osoit plus reproduire toutes ces triviales accusations de superstition et d'idolâtrie, dont les théologiens protestans avoient bercé les peuples du seizième siècle. Plus toutes ces ridicules imputations leur échappoient, plus ils s'at

tachoient fortement à maintenir la communion sous les deux espèces. C'étoit là une pratique sensible aux yeux de la multitude; et ils la regardoient comme le seul signe de ralliement qui pût encore leur assurer des disciples.

Bossuet entreprit de leur enlever cette dernière ressource, et il écrivit son Traité de la Communion sous les deux espèces.

Dans ce traité, Bossuet oppose aux Protes

tans :

La pratique de l'Eglise, qui, dans tous les temps, en remontant jusqu'aux siècles des martyrs, où, de l'aveu général, le christianisme étoit encore dans toute sa pureté primitive, a fréquemment administré la communion sous une seule espèce,

Bossuet leur opposoit encore un raisonnement qui n'admettoit aucune réplique de leur part, puisqu'il étoit fondé sur leurs propres principes et sur leurs propres exemples.

Les Protestans conviennent en effet avec les Catholiques qu'on n'est point obligé de faire dans l'administration des sacremens tout ce que JésusChrist a fait en les instituant.

C'est par cette raison qu'ils ne plongent pas dans l'eau ceux qu'ils baptisent, quoique Jésus-Christ ait dit, Baptisez, c'est-à-dire Plongez, et qu'il ait été lui-même baptisé par immersion ; qu'ils ne donnent pas la cêne à table, ni dans un souper, quoique ce soit ainsi que Jésus-Christ l'a donnée. Tout ce que Jésus-Christ a fait n'appartient donc pas à la substance du sacrement. Il faut considérer ce qui en est l'effet essentiel. Mais comment discernera-t-on ce qui constitue l'effet essentiel d'un sacrement,

si ce n'est par la pratique et par le sentiment de l'Eglise ?

Les prétendus réformés eux-mêmes n'ont point d'autre moyen de se conformer à l'intention principale que Jésus-Christ s'est proposée dans l'institution des sacremens; et puisqu'il y a dans l'administration du baptême et dans celle de la cêne beaucoup de circonstances où ils ne se règlent ni sur l'autorité de l'Ecriture, ni sur une parfaite conformité avec ce que Jésus-Christ a fait, son exemple n'est donc pas pour eux une règle invariable; et ils sont obligés, comme les Catholiques, à se conformer à la pratique et au sentiment de l'Eglise.

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« La partie la plus importante dans tous les sa» cremens, dit Bossuet, c'est la parole, qui donne » à l'action son effet. Jésus-Christ n'en a prescrit » aucune expressément pour l'Eucharistie dans son Evangile, ni les apôtres dans leurs épîtres. Jé» sus-Christ a seulement insinué, en disant : Faites » ceci, qu'il faut répéter ses propres paroles, par lesquelles le pain et le vin sont changés. Mais ce qui a déterminé invinciblement à ce sens, c'est » la tradition; c'est aussi la tradition qui a réglé les » prières qu'on doit joindre aux paroles de Jésus» Christ. »

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Aussi voit-on que la communion sous une seule espèce s'est établie sans bruit, sans contradiction et sans plainte, de même que s'est établi le baptême par simple infusion, et tant d'autres coutumes innocentes.

On étoit si unanimement convaincu que la toutepuissance du divin instituteur avoit placé le corps dans une seule des deux espèces, qu'on céda sans

contradiction aux considérations justes et raisonnables qui firent prévaloir peu à peu l'usage de ne donner la communion aux laïques que sous l'espèce du pain.

La crainte qu'on eut de répandre le précieux sang au milieu d'une multitude qui s'approchoit de la sainte table avec un empressement qui n'étoit pas exempt de confusion, surtout dans les grandes fêtes, fut probablement le premier motif qui détermina cette espèce de changement dans le rit eucharistique.

Il y avoit plusieurs siècles que les laïques ne communioient que sous une seule espèce, quand les Bohémiens s'avisèrent de réclamer contre cette coutume.

On ne voit pas même que Wiclef, quelque téméraire qu'il fût, en ait fait un sujet de reproche contre l'Eglise romaine.

Ce fut un maître d'école de Prague, nommé Pierre Dresde, qui le premier remua cette question. Il fut suivi de Jean Hus au commencement du quinzième siècle.

Encore doit-on remarquer que Jean Hus n'osa pas dire d'abord que la communion sous les deux espèces fût nécessaire; il lui suffisoit qu'on avouât qu'il étoit permis et expédient de la donner; mais il n'en déterminoit pas la nécessité; tant il étoit établi qu'il n'y en avoit aucune.

Aussi, lorsque les disciples de Calvin, dans le seizième siècle, adhérèrent par esprit de contradiction au sentiment de Jean Hus sur ce point de discipline, ne purent-ils trouver une plus haute origine que la fin du douzième siècle, pour repré

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